Présentation du roman.
La présente séquence didactique s’applique au cours de français 003 du niveau collégial. Elle s’articule autour du roman La fin de siècle comme si vous y étiez (moi, j’y étais)[1] de Brigitte Caron. Ce roman dresse un portrait humoristique et tranchant de la génération X. Éminemment postmoderne, il permet d’établir, par le biais d’exemples, les caractéristiques majeures de cette esthétique. De plus, il présente la critique littéraire dans son rôle de légitimation par l’intermédiaire d’un personnage principal qui s’adonne à ce travail. Enfin, il met en scène les oppositions entre la génération X et celle des baby-boomers ouvrant ainsi la porte à l’étude sociologique.
Trois problèmes de lecture.
La séquence résout trois problèmes de lecture qui touchent la compréhension de l’œuvre par les élèves. En suivant dans l’ordre les caractéristiques que nous avons exposées, l’élève devra :
- comprendre ce qu’est la postmodernité en littérature,
- saisir le rôle de la critique littéraire dans l’appareil de légitimation,
- comprendre ce qui oppose la génération X aux baby-boomers.
Objectifs d’apprentissage.
L’objectif général de la séquence est de fournir aux élèves les outils nécessaires au développement d’une lecture seconde[2] de l’œuvre de Brigitte Caron. Pour ce faire, il importe d’avoir une connaissance de ce qu’est la postmodernité littéraire, du rôle de la critique dans l’appareil de légitimation littéraire et des oppositions entre la génération X et les baby-boomers. Les six activités qui suivent visent à développer ces savoirs.
Activité 1 : Construction du bagage de lecture.
L’enseignant distribue un questionnaire d’une dizaine de questions ouvertes dans le but d’actualiser certaines connaissances qui rendront la lecture plus accessible à l’élève. Les questions peuvent prendre une apparence anecdotique pour stimuler l’affectivité des élèves, mais l’enseignant ne doit pas perdre de vue qu’elles visent aussi à remettre l’œuvre dans son contexte socioculturel. Voici des exemples de questions :
Q- Qu’est-ce qu’un baby-boomer? R- Un individu né entre 1945 et 1955.
Q- Qu’est-ce que Grande-Baleine? R- Un projet hydroélectrique qui a avorté.
Q- Qu’est-ce qu’une Firefly? R- une voiture compacte des années 90.
Le roman fait référence aux deux premiers éléments de façon explicite. Puis, la troisième question renvoie au sobriquet « Mouche à feux » que l’on donne à la voiture du personnage principal.
Activité 2 : La postmodernit…quoi?
L’activité qui suit a pour but de situer l’esthétique de la postmodernité littéraire[3] en vue de permettre une meilleure lecture du roman de Brigitte Caron par les élèves. Pour ce faire, l’enseignant projette l’épisode 67, « Garde partagée », de la série Rumeurs en invitant les élèves à être attentifs :
1) aux plans de la caméra et à l’enchainement des scènes,
2) aux relations entre les personnages,
3) à la relation entre les personnages et leur emploi.
En équipe, les élèves sont amenés à discuter de ce qu’ils ont vu en regard de ces trois points. Lors de la mise en commun, l’enseignant fait ressortir :
En 1) les effets de focalisation rapprochée et les enchainements rapides, à la manière du sketch (mélange de genres), des scènes selon le principe des récits enchâssés,
En 2) l’explosion de la cellule familiale, les relations amoureuses éphémères, les identités fragilisées, la vision pessimiste du monde et les amitiés fidèles,
En 3) l’instabilité de l’emploi, l’individualisme et le leadership autocratique de la baby-boomer patronne de la revue.
Une fois la discussion terminée, le professeur fait un tableau qui regroupe les caractéristiques de la postmodernité selon les trois angles analysés.
Activité 3 : En littérature maintenant.
Après avoir défini la postmodernité à partir de l’épisode de Rumeurs, le professeur conduit les élèves au transfert de leur nouvelle compétence vers la littérature. Cette fois, les élèves doivent repérer ce qu’il y a de postmoderne dans différents extraits de roman. L’enseignant distribue trois extraits en demandant aux élèves de travailler en groupe pour identifier et discuter des éléments de postmodernité qui s’y retrouvent. Pour faciliter la transition avec l’activité suivante, le professeur s’assurera de proposer des extraits qui démontrent une pénétration des discours non littéraires dans la littérature. Des extraits sont suggérés en annexe[4].
Activité 4 : Pastiche d’une critique.
Maintenant que les élèves ont vu que le roman postmoderne est caractérisé par la présence des langages non littéraires (courriel, dessin, publicité), une question demeure : qu'est-ce qui fait qu’un roman est ou n’est pas littéraire? La critique joue un rôle important dans l’appareil de légitimation littéraire[5]. Le professeur donne à lire la critique de Nathalie Petrowski du roman Le bal des egos[6]. Ce fut le premier et le dernier livre de l’auteur.
Cette réalité parait aussi dans la fiction de Brigitte Caron. Dans la fin de siècle, l’écrivaine, Ninon Lafontaine, songe à cesser l’écriture à la suite d’une mauvaise critique. Or, Joanna Limoges, défend Ninon en publiant sa « Réponse à un vieux schnoque »[7]. Voilà une possible consigne d’écriture : mettez-vous dans la peau du vieux schnoque et, en vous inspirant du style et de la forme de « Réponse à un vieux schnoque », répondez à Joanna sous la forme d’un pastiche[8] d’environ 250 mots. Par la suite, justifier vos choix d’écriture[9] dans un texte de 200 mots. La consigne force l’élève à devenir un lecteur actif en ce sens qu’il complète l’univers du roman selon ses propres inférences[10]. De plus, le travail mettra en relief certaines grandes oppositions qui régissent les rapports entre la génération X et les baby-boomers.
Activité 5 : Le carrousel des narrateurs.
La « réponse à un vieux schnoque » marque un fossé entre les générations, mais il n’y a pas que Joanna qui s’en prend aux baby-boomers. L’alternance des narrateurs donne à voir tour à tour cinq ressortissants de la génération X qui éprouvent des difficultés liées aux conflits de générations.
Pour mettre l’accent sur les différences entre les personnages, l’enseignant divise la classe en cinq groupes. Chaque équipe doit mettre au point l’agenda d’un personnage pour une journée. Elles prennent exemple sur les ordres du jour qui marquent le début de chacun des chapitres du roman. Puis, cinq étudiants, un par groupe, viennent à l’avant de la classe. Chacun joue le rôle d’un des personnages et raconte sa journée aux quatre autres selon la forme de discours appropriée :
Joanna « la critique rock an’ roll » parle d’hédonisme sous la forme d’une chronique,Ninon « l’écrivaine » parle de quête intérieure sous la forme d’un journal intime.Patricia « la lesbienne socialiste » parle de révolte sous la forme d’un pamphlet.Dany « la petite fille naïve » parle du bonheur de la banlieue sous la forme d’un conte.Marc « l’héritier qui court après sa queue » parle de la quête d’un modèle masculin sous la forme d’un carnet de voyage.
De cette façon, en s’appropriant le quotidien des personnages, l’élève peut mieux saisir l’alternance des narrateurs et des genres qui se présente dans le roman.
Activité 6 : Génération X vs baby-boom.
Les personnages sont très différents les uns des autres, mais une chose les unit : leur ressentiment envers les baby-boomers. La narration partagée, en plus de relever d’une esthétique de la fragmentation, contribue à renforcer la charge contre les baby-boomers. Chaque narrateur est en fait le représentant d’un sous-groupe de la génération X. Chacun s’oppose aux baby-boomers à sa façon dévoilant ainsi différents aspects de la conjoncture générationnelle.
Cette dernière activité a pour objectif d’amener les élèves à utiliser les connaissances qu’ils ont acquises tout au long de la séquence. L’enseignant pose la question suivante : Quels sont les rapports de chacun des quatre personnages de la fin de siècle avec les baby-boomers? En quoi ces rapports sont-ils présentés de façon postmoderne dans le roman? Vous appuierez vos propos par des exemples tirés du roman. Le texte doit être d’une longueur de 900 mots et constitue l’épreuve synthèse de la séquence.
En répondant à la question, les élèves démontrent leur capacité à reconnaitre les éléments de postmodernité d’un texte tout en faisant preuve de leurs compréhensions des rapports intergénérationnels entre la génération X et les baby-boomers. Aussi, leur connaissance du rôle de la critique dans l’appareil de légitimation littéraire est aussi actualisée par l’intermédiaire de la relation des personnages de l’écrivaine (Ninon) et de la critique (Joanna) avec les baby-boomers.
Bibliographie
Textes à l’étude :
CARON, Brigitte, La fin de siècle comme si vous y étiez (moi, j’y étais), XYZ, Montréal, 1997.DICKNER, Nicolas, Nikolski, Alto, Nota Bene, Montréal, 2005.GAUTHIER, Louis, Anna, Bibliothèque Québécoise, 1999.LANGLOIS, Isabelle, Rumeurs, Cristal Film et Sphère Média Plus, épisode 67, saison 3.PETROWSKI, Nathalie, « Le bal des wannabe », La presse, 20 octobre 1992, A5.SIMARD, Matthieu, amoureux et autres niaiseries, roman à sketches, Stanké, Montréal, 2004.
Textes théoriques :
FALARDEAU, Érick, « Piste d’entrée en littérature ou en lecture? », Enjeux, no 58, déc. 2003, p. 83-94.LANGLADE, Gérard, « La question du sujet lecteur en didactique de la lecture littéraire », Lettres, langage et arts, Université Toulouse-Le Mirail, 2006.PETITJEAN, André, « Pastiche et parodie : enjeux théoriques et pédagogiques », Pratiques, 1984, 42, p.13.REUTER, Yves, « Le champ littéraire : textes et institution », Pratiques, 1981, 32, p. 5-29.SIMARD, Claude, Éléments de didactique du français, Saint-Laurent (QC), Les Éditions ERPI, 1997.SIMARD, Denis, « Comment favoriser une approche culturelle de l’enseignement? », Vie pédagogique, 124.TAUVERON, A.-M, « Le commentaire justificatif après l’écriture d’invention ou travailler la prise de distance avec son texte », Pratiques, 127, 2005, p. 113-132.
Textes dans Internet :
SAINT-AMOUR, Yohann, « La littérature québécoise et la condition postmoderne », dans http://www3.sympatico.ca/effetpourpre/txt_st-amour2.htm, 18 décembre 2006.
[1] Brigitte Caron, La fin de siècle comme si vous y étiez (moi, j’y étais), XYZ, Montréal, 1997.
[2] Claude Simard, Éléments de didactique du français, Saint-Laurent (QC), Les Éditions ERPI, 1997, p. 54.
[4] 1) Matthieu Simard, Échecs amoureux et autres niaiseries, roman à sketches, Stanké, Montréal, 2004, p. 81-83. Ce premier extrait incorpore le courriel au genre romanesque. Il s’agit de trois pages intitulées « Fwd :Re :Re :Re : Salut! » qui racontent comment le personnage en vient à tromper sa copine. Deux éléments de postmodernité ressortent : le mélange des genres et les relations amoureuses éphémères.
2) Louis Gauthier, Anna, Bibliothèque Québécoise, 1999, p. 19-22. Ce deuxième extrait présente un personnage qui s’ennuie depuis la perte de sa femme. Dans un chapitre qui s’intitule « La douche », nous voyons le dessin de la main de l’auteur. Ici, la postmodernité parait par le biais d’un personnage à l’identité fragilisée et par la présence du dessin dans le roman.
3) Nicolas Dickner, Nikolski, Alto, Nota Bene, Montréal, 2005, p. 198-201. Ce troisième extrait met en scène un élève qui étudie en archéologie des déchets et qui apprend la destruction d’un site d’enfouissement. Il entend la nouvelle à la télé. Cette fois le caractère postmoderne de l’extrait tient en ce qu’il présente une société où les déchets sont considérés comme un objet du patrimoine. C’est là une vision bien pessimiste du monde. Plus encore, le « flash d’information » qui rapporte la nouvelle est précédé d’une publicité de rasoir. Le fait de passer de rasoir à déchet en quelques instants et sans transition est un signe de parcellarisation postmoderne.
[5] Yves Reuter, « Le champ littéraire : texte et institution », Pratiques, 1981, 32, p. 5-29.
[6] Nathalie Petrowski, « Le bal des wannabe », La presse, 20 octobre 1992, A5.
[7] Brigitte Caron, op.cit., 201-203.
[8] Petitjean, « Pastiche et parodie : enjeux théoriques et pédagogiques », Pratiques, 1984, 42.
[9] A.-M Tauveron « Le commentaire justificatif après l’écriture d’invention ou travailler la prise de distance avec son texte », Pratiques, 2005, 127, p. 113-132.
[10] Gérard Langlade, « La question du sujet lecteur en didactique de la lecture littéraire », Lettres, langage et arts, Université Toulouse-Le Mirail, 2006, p. 2.