Présentation de l'œuvre et identification des problèmes à résoudre
L'enseignant qui souhaite susciter l'intérêt de ses élèves, leur permettre d'acquérir des connaissances culturelles et des habiletés de lecture, leur donner l'occasion de développer leur esprit critique et des compétences interprétatives aura de la facilité et du plaisir à travailler avec le roman Anna et Mister God [1] de l'auteur anglais Fynn. Cette œuvre résiste à une lecture d'un trait, sans recherche et sans soutien, et aborde un sujet délicat, bien souvent mis de côté de nos jours dans nos écoles : Dieu. Ce thème représente certainement le problème central de ce texte. C’est pourquoi il fera l’objet d'un débat. Par ailleurs, Anna et Mister God obligera les lecteurs à s'adapter à deux registres de langue et à se questionner sur le livre comme objet. Enfin, cette séquence introduira en classe la notion de stéréotype.
Activité 1
Avant de présenter le roman aux adolescents, l’enseignant lira à voix haute l'avant-propos du livre afin de créer diverses attentes chez les élèves et de les préparer aux réflexions d’ordre spirituel qu’il contient. L’auteur de cet avant-propos y explique la nature des « livres-ha! » L’enseignant et les élèves devront nommer des livres qu'ils considèrent comme des « livres-ha! » et prendre en note les titres mentionnés avec l’intention de revenir ultérieurement sur ce réseau de textes afin de confirmer si les œuvres qui y sont inscrites sont comparables, pour une raison ou une autre, à Anna et Mister God. Ensuite, l'enseignant terminera la lecture de l'avant-propos et interrogera les élèves sur les liens entretenus par l’auteur Fynn [2] et Vernon Sproxton à qui l’on doit la rédaction de l’avant-propos [3]. Ce moment sera propice pour traiter de l'utilisation du pseudonyme en écriture et à parler du cas « Romain Gary/Émile Ajar », de ses œuvres, du Prix Goncourt et son importance dans le milieu littéraire. Ce sera également l'occasion de traiter brièvement de narratologie, car les élèves auront tout intérêt, s'ils veulent comprendre le roman, à faire la différence entre le personnage (Fynn âgé de 19 ans), le narrateur (Fynn âgé de 22 ans) et l'auteur (Fynn qui a vu son manuscrit publié alors qu'il était dans la cinquantaine).
Activité 2
Les élèves liront le premier chapitre à la suite duquel ils devront faire des recherches afin de bien comprendre la dynamique du quartier dans lequel évoluent les personnages. Afin de vérifier le travail de recherche des élèves, l'enseignant leur demandera d'écrire une nouvelle (400-500 mots) qui se situera dans le quartier des docks londonien vers 1930. Au cours suivant, l'enseignant pourra lire quelques-unes des nouvelles des élèves. Ce serait aussi une formidable occasion pour le passeur culturel qu'il est de parler de l'auteur Charles Dickens, car « [d]ans tous les livres de Dickens, Londres occupe une part importante de l'œuvre. On découvre au fil des histoires des descriptions remarquablement vivantes […] de l'East End [4]. » S'il le désire, l'enseignant pourra même lire un extrait d'Oliver Twist [5]. De cette façon, les élèves se créeront une image mentale du quartier de Fynn, d'Anna et de leurs amis, et pourront placer plus facilement les personnages en contexte lors de la reprise de la lecture. À la clôture de l'activité, l'enseignant pourra demander aux élèves de nommer d'autres auteurs anglais [6]. Il sera pertinent à ce moment-là de faire la différence entre littératures anglaise et américaine, différence marquée par la culture et le temps.
Activité 3
La lecture des premiers chapitres du roman confrontera les élèves au problème des registres de langue. L’enseignant demandera à la classe de lui fournir différents exemples de chacun des registres. De ces exemples ressortiront plusieurs expressions vieillies et/ou typiquement françaises relevant d'un registre familier ou populaire. La tenue de cette activité participera à la création d'une habitude de recherche et de décodage des mots chez les élèves, stratégie essentielle à la compréhension des œuvres littéraires. Les élèves se placeront donc en équipe de deux personnes afin de créer un glossaire. Ils vont relever les mots qu'ils ne comprennent pas [7] dans les trois premiers chapitres du roman et en noter la définition en utilisant un dictionnaire, Internet, les explications des personnages et/ou le contexte.
Activité 4
Les élèves poursuivront la lecture du roman jusqu’au chapitre neuf. Sachant qu'« [i]l est intéressant de changer de démarche à chaque étape du parcours [8] », nous proposons à ce moment la tenue d'un débat en classe portant sur Dieu dont il est question tout au long du roman. Mentionnons que « l'adolescence est […] l’âge crucial où la littérature peut répondre à une recherche légitime et exacerbée de valeurs, de références, de repères. […] La fiction joue à cet égard un rôle fondateur pour les jeunes. Elle leur permet de se mettre à distance et ainsi de construire un autre point de vue sur le monde, sur les autres, sur eux-mêmes [9].»
Pour que le débat soit efficace et qu'il constitue un véritable apprentissage, il sera essentiel que l'enseignant en rappelle d'abord les caractéristiques [10]. La discussion que nous souhaitons provoquer dans cette activité nous porte à choisir le « débat d'opinion sur fond de controverse [qui vise] non pas une décision, mais une mise en commun des diverses positions dans le but à la fois d'influencer la position de l'autre et de préciser, voire de modifier, la sienne propre [11] » et de poser les questions suivantes aux élèves : « Comment Anna perçoit-elle Dieu? Pourquoi? » Il sera important que l'enseignant mène le débat d'une main de maitre. Il devra, globalement, donner du sens à l'activité [12]. Pour cela, l'enseignant reliera quelques passages du roman avant de commencer le débat [13]. Il se préparera aussi une série de questions supplémentaires relatives au roman pouvant permettre au débat de progresser [14].
Activité 5
La classe vient de terminer le roman. À ce point, il sera nécessaire pour l'enseignant d'évaluer le travail de compréhension et d'interprétation des élèves. Il leur demandera donc d'écrire un texte à propos d'Anna. Attention, il ne s'agira pas de poursuivre l'histoire, mais d'expliquer les origines d'Anna, sa vie de zéro à six ans (avant sa rencontre avec Fynn). L'élève sera le narrateur et il aura comme contrainte d'écrire son récit au passé simple. Il devra cependant inclure des dialogues ou des monologues dans lesquels Anna s'adressera aux lecteurs ou à d'autres personnages. Pour bien représenter Anna, l'élève devra donc avoir saisi la nature du personnage et se souvenir de la façon dont elle s'exprimait dans le roman. Avant de commencer le travail, l'enseignant abordera la notion de stéréotype. Les élèves devront, au moment d'entreprendre l'écriture de leur récit, avoir compris l'importance des stéréotypes en littérature. Pour se faire, l'enseignant fera montre des liens entre Anna et d'autres personnages principaux qui sont des enfants qui meurent après avoir appris sur le genre humain et après avoir livré leur message. L’enseignant pourra parler du Petit Prince [15] et d’Oscar et la dame rose [16], par exemple. Il fera la démonstration aux élèves que ces personnages partagent plusieurs caractéristiques physiques et psychologiques [17]. L'enseignant cèdera la parole aux élèves qui pourront proposer d’autres exemples de personnages stéréotypés, ou encore des stéréotypes de genres et de sous-genres. Le moment sera idéal pour l'enseignant qui désire traiter des contes. Il pourra spécifier aux élèves que le roman qu'ils viennent de lire n'est pas un conte, mais qu’il partage avec les contes cette tendance philosophique, cet aspect moralisateur.
Conclusion
Cette situation problème aura permis aux élèves de prendre conscience de leur pouvoir en tant que lecteur. Certes, l'enseignant leur aura enseigné des connaissances, mais en fin de compte, ce sont les élèves qui auront fait le travail, qui auront acquis de nouvelles habiletés, voire des compétences. Comprendre et interpréter une œuvre philosophique, participer à un débat et produire deux textes en faisant appel à ses nouvelles connaissances constitue, à notre avis, un travail complet et pertinent. Anna et Mister God est une œuvre d'une grande qualité qui peut participer au rehaussement culturel des adolescents du Québec et d'ailleurs.
[1] Fynn, Anna et Mister God, Paris, Seuil, 1976, 199 p.
[2] L’enseignant pourra consulter le site suivant s’il le désire. Cependant, il s’agit d’une page personnelle provenant d’une personne inconnue. On y présente supposément le « vrai Fynn » qui serait Sydney George Hopkins : The real Fynn, [en ligne]. http://www.finchden.com/sgh/index.htm [site consulté le 5 avril 2011].
[3] Questions proposées : « Croyez-vous que Sproxton a véritablement rencontré l'auteur? Cela vous donne-t-il davantage le gout de lire l'œuvre? Si Fynn existe réellement, pensez-vous qu'il a vécu avec Anna ou pourrait-il s'agir d'une histoire inventée? Croyez-vous que Fynn et Sproxton puissent être une seule et même personne? »
[4] Maisons d'écrivains (blog), Charles Dickens – Londres, [en ligne]. http://maisonsecrivains.canalblog.com/archives/2009/12/24/16030282.html [site consulté le 11 avril 2011].
[5] Charles Dickens, Oliver Twist, Harlow, Pearson Education, 118 p.
[6] Exemples : Agatha Christie, Ian Flemming, J.K. Rowling, William Shakespeare, John Webster, Oscar Wild, etc.
[7] Exemples : « panpan », « se tailler », « nippes », « tripier », « c'est son œil », « chiche », etc.
[8] Jean-Louis Dufays, Louis Gemenne et Dominique Ledur, Pour une lecture littéraire, Bruxelles, De Boeck, 2005 p. 227.
[9] Michel Defourny [dir.], Une entrée en littérature, [en ligne]. http://www.bibliotheques.be/library/documents/Publications/CF_entree_literrature(3).pdf [document consulté le 7 avril 2011].
[10] À ce sujet, nous lui suggérons de lire le texte suivant : Joaquim Dolz et Bernard Schneuwly, « Récit d'élaboration d'une séquence : le débat public », dans Pour un enseignement de l'oral. Initiation aux genres formels à l'école, Paris, ESF, 1998, p. 27-46.
[11] Id., p. 28.
[12] Id., p. 46.
[13] Notre suggestion : lire les passages qui contiennent explicitement des définitions et des explications à propos de Dieu, de l’Église et de la religion. Dans notre édition (Seuil, 1976), on en trouve aux pages 26, 34 et 35, 44, 53, 57 et 61.
[14] Exemples : « Pourquoi pensez-vous qu'Anna veuille croire à ce point en Dieu? Quel(s) but(s) poursuivait l'auteur en écrivant ce roman? Pourquoi pensez-vous que plusieurs personnages de ce roman se montrent réfractaires aux propos d'Anna? Que pensez-vous de la relation entretenue entre Fynn et Anna? Etc. »
[15] Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Paris, Folio, (1943), 2007, 97 p.
[16] Éric-Emmanuel Schmitt, Oscar et la dame rose, Paris, Magnard, 2007, 115 p.
[17] Exemples : ils sont tous jeunes et frêles; ils sont conscients de leur destin, sereins face à la mort; ils sont très intelligents; ils surprennent et dérangent souvent les adultes par leurs propos; etc.