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Le Comte de Monte-Cristo

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
Le Comte de Monte-Cristo
DUMAS, Alexandre
Par Sophie Benoît


Nationalité de l'auteur : Française
Genre : Roman
Courant :
Siècle :
Groupe d'âge visé : Deuxième cycle secondaire
Auteur de la séquence : Sophie Benoît
Date du dépôt : Hiver 2012


 

 

 

Justification de lecture

Pour travailler le roman en cinquième année du secondaire, je propose de faire découvrir aux élèves l’une des œuvres les plus connues du patrimoine littéraire mondial, Le comte de Monte-Cristo [1], d’Alexandre Dumas père. Avec cette séquence didactique, je souhaite rendre accessible cette œuvre monumentale grâce à la lecture d’une version éditée à l’École des Loisirs dans la collection « Classiques abrégés ». Dépouillée de plus de mille pages de « digressions », l’œuvre, tout en conservant l’essentiel de ce qui la rend si captivante [2], devient physiquement plus attrayante et plus facile d’accès pour des élèves de seize ans.

 

 Problèmes

Le comte de Monte-Cristo est un roman extraordinaire… pour qui le comprend. Cette séquence sera donc construite autour du problème de la compréhension, ce que Dufays appelle les « difficultés techniques » en lecture, soit les obstacles du décodage, de la représentation mentale, du traitement des informations, des inférences et de la liaison d’indices [3], et qui se traduisent, ici, par trois problématiques :

1) Compréhension d’un récit complexe par le contenu :

Le comte de Monte-Cristo nous fait revenir au temps de Napoléon et de Louis XVIII, époque lointaine et méconnue des élèves. Le premier défi que pose la lecture du Comte de Monte-Cristo consiste donc en l’appropriation préalable du cadre sociohistorique dans lequel se déroule l’histoire, afin de permettre aux élèves de « mobilise[r les] connaissances antérieures susceptibles de les aider dans la compréhension [du] texte[4]. »

2) Compréhension d’un récit complexe par la forme :

Cette édition du comte de Monte-Cristo n’est pas une réécriture du roman de Dumas, mais une version abrégée. La caractéristique de la collection « Classiques abrégés » est de rendre « le texte même, abrégé de manière à laisser intacts le fil du récit, le ton, le style et le rythme de l’auteur. » Le vocabulaire très riche et la narration au passé simple peuvent constituer un obstacle pour de faibles lecteurs.

3) Compréhension des thèmes et des relations causales entre les personnages :

Le roman de Dumas s’articule autour d’un thème unique et assez simple, la vengeance, mais la pléthore de personnages qui peuplent cette histoire peut en compliquer la lecture, et il n’est pas facile de suivre la logique punitive du comte. Il faudra donc amener les élèves à comprendre les relations entre tous les personnages dont s’entoure le comte de Monte-Cristo, car ces relations sociales sont au cœur même de sa vengeance.

 

Avant la lecture 

Activité 1 : Découvrir l’œuvre

Avant de commencer la lecture, il est nécessaire de permettre aux élèves de faire connaissance avec l’œuvre. On peut d’abord activer leurs connaissances en les questionnant sur Alexandre Dumas. La plupart des élèves connaissent le titre de ses œuvres majeures, Les trois mousquetaires, notamment. Situer Le comte de Monte-Cristo dans l’histoire de la littérature, expliquer le roman-feuilleton et le comparer au feuilleton télévisé, parler de la figure excentrique d’Alexandre Dumas et de son œuvre titanesque sont tous des points d’entrée intéressants.

On peut ensuite demander aux élèves de situer géographiquement l’histoire du roman en leur demandant de trouver, sur une carte de la France, les iles d’Elbe, de Monte-Cristo et du Château d’If, et de chercher dans des livres ou sur Internet des photos de ces lieux.

Finalement, en guise d’entrée dans l’histoire d’Edmond Dantès, il serait pertinent de discuter avec les élèves de l’expression « La vengeance est un plat qui se mange froid », que l’on retrouve en quatrième de couverture. On peut leur demander de l’expliquer et de prédire en quoi la phrase complète au dos du roman, « La vengeance est un plat qui se mange froid, mais certains offensés l’assaisonnent avec un raffinement tel qu’ils l’élèvent au rang d’une gastronomie » est, selon eux, annonciatrice de l’histoire à venir.

 

Activité 2 : La lettre de dénonciation.

 Monsieur le procureur du roi est prévenu par un ami du trône, que le nommé Edmond Dantès, second du navire le Pharaon arrivé ce matin de Smyrne, a été chargé, par Murat, d'une lettre pour l'usurpateur, et, par l'usurpateur, d'une lettre pour le comité bonapartiste de Paris. On aura la preuve de son crime en l'arrêtant ; car on trouvera cette lettre ou sur lui, ou chez son père, ou dans sa cabine à bord du Pharaon. (CMC — 14)

Cette lettre de dénonciation est l’élément déclencheur des malheurs d’Edmond Dantès : c’est elle qui le fera enfermer au Château d’If jusqu’à son évasion, quatorze ans plus tard. Cependant, il n’est peut-être pas évident pour des adolescents de 16 ans de comprendre en quoi un échange de lettres peut être criminel. Pour saisir la teneur de cette lettre et la gravité des accusations qui y sont portées, l’enseignant devrait commencer la séquence par une activité sur la période historique ciblée par les évènements au début du roman. Si ces notions ont été vues en cours d’histoire, on peut demander aux élèves de se remémorer les évènements-clés de la Restauration et des Cent-Jours. Sinon, on leur demande une recherche sur le sujet, pour qu’ils en comprennent les principaux évènements. Ils devront ensuite indiquer les dates importantes de cette période sur une ligne du temps à laquelle ils se réfèreront par la suite, et lors de la lecture des premiers chapitres du roman, ils pourront y ajouter les faits saillants des mésaventures d’Edmond Dantès afin de bien situer l’histoire dans l’Histoire.

 

Pendant la lecture

Activité 3 : répertoire des personnages

Les élèves lisent le roman à la maison. Je suggère de diviser le roman en trois parties distinctes et de prévoir du temps en classe pour discuter avec les élèves après la lecture de chacune de ces parties.

Tout au long de la lecture, les élèves devront consigner dans un cahier tous les personnages rencontrés (leur nom et quelques caractéristiques spécifiques). Ils devront faire une nouvelle entrée dans ce cahier chaque fois qu’un nouveau personnage entre en scène, et s’assurer de bien noter la place qu’il occupe dans l’histoire (profession, relation avec les autres personnages, etc.)

 

La première partie comprend les dix premiers chapitres. C’est dans cette partie, qui ne dure que quelques jours, que se joue le drame : la dénonciation de Dantès comme agent bonapartiste par ses « amis », Danglars et Fernand, et son emprisonnement par Villefort au Château d’If.

Les chapitres importants sur lesquels il faudrait revenir en classe sont ceux qui parlent de royalisme et de bonapartisme (« Marseille. – L’arrivée » et plus particulièrement « Le substitut du procureur du roi » et « L’interrogatoire ») afin de s’assurer que les élèves comprennent ce qui incite Villefort à faire incarcérer Dantès malgré son innocence.

Le premier chapitre de cette partie sera exceptionnellement lu en classe afin de familiariser les élèves avec le vocabulaire employé et leur permettre de remarquer les références au bonapartisme dans l’entretien entre Dantès et M. Morrel. L’enseignant peut aussi explorer avec les élèves la richesse du champ lexical maritime de la première page, puisque les mots « vigie », « trois-mâts » et « bâtiment » peuvent ne pas être facilement associés par les élèves à l’image d’un navire.

 

Activité 4 (après la lecture de la première partie) 

Demander aux élèves d’identifier les responsables du malheur de Dantès (Danglars, Fernand, Caderousse et Villefort) et les raisons qui ont motivé la dénonciation et l’emprisonnement du jeune marin (jalousie pour les trois premiers, ascension sociale pour le second). Les élèves devront inscrire ces informations sur les fiches. On peut improviser un débat sur ce sujet : « Sont-ils tous également coupables? Pourquoi? »

 

La seconde partie commence avec « Le prisonnier furieux et le prisonnier fou » et se termine à la fin du chapitre « Le récit ». Ces pages relatent l’emprisonnement de Dantès, sa rencontre avec l’abbé Faria, son évasion après quatorze ans, la découverte du trésor de l’abbé et son retour à Marseille, où il apprend par Caderousse le sort qu’ont connu sa famille et ses amis.

L’enseignant devrait revenir en classe sur les deux derniers chapitres de cette partie, où l’abbé Busoni visite Caderousse. Qu’est-ce qui nous permet de deviner, dans ces pages, que l’abbé n’est autre que Dantès déguisé?

Réponses possibles : Le mensonge à propos de la mort d’Edmond Dantès et de la présence de l’abbé pour lui offrir les derniers sacrements sur son lit de mort, l’histoire du diamant qu’un compagnon de prison de Dantès lui aurait légué en témoignage de sa reconnaissance pour l’avoir soigné lors d’une maladie, le prétendu désir de Dantès de partager le diamant en plusieurs parts pour ses « amis », les réactions très émotives de l’abbé lorsqu’il apprend le sort qu’on connu Mercédès et le père Dantès.

 

Activité 5 (après la lecture de cette partie) :

Le sujet de la culpabilité est tout à fait pertinent à aborder avec les élèves après la lecture de ces chapitres. On peut leur demander de discuter de cet échange entre l’abbé Busoni et Caderousse : « — Mais lequel des deux le dénonça, lequel des deux fut le vrai coupable? – Tous deux, monsieur, l’un écrivit la lettre, l’autre la mit à la poste. – […] le plus coupable, n’est-ce pas l’instigateur? » (CMC – 92-93)

On peut aussi discuter avec les élèves du cadeau fait à Caderousse : méritait-il la générosité de l’abbé? Était-il moins coupable que les autres, puisqu’il n’a pas participé activement à l’arrestation de Dantès?

 

La dernière partie, la plus longue, commence avec le chapitre « Italie. – Simbad le Marin » et se poursuit jusqu’à la fin du roman. Dantès est devenu le comte de Monte-Cristo et il se prépare à châtier ceux à qui il doit tous ses malheurs.

Dans le premier chapitre de cette partie, le récit reprend en 1838, près de dix ans après l’évasion de Dantès. On peut le faire remarquer aux élèves et leur expliquer, puisque la version abrégée n’en fait nullement mention, que les neuf années qui se sont écoulées ont été employées par le comte à parfaire sa connaissance du monde et à planifier sa vengeance.

En classe, parler du chapitre « Simbad le Marin » où se manifeste une nouvelle identité de Dantès. Encore une fois, des indices permettent de deviner la véritable identité du mystérieux homme : son repère sur l’ile de Monte-Cristo, sa pâleur étrange, comme celle d’un homme « enfermé depuis longtemps dans un tombeau » (CMC – 102), et cette remarque de Simbad, « un vœu que j’ai fait dans un temps où je ne pensais guère pouvoir l’accomplir ». (CMC – 103)

 

Aussi : en fonction des difficultés des élèves, l’enseignant peut cibler des scènes-clés des trois parties du roman et présenter en classe leur adaptation cinématographique. Le visuel aidera certainement les élèves à se faire des représentations plus justes de l’univers dans lequel se déroule l’histoire. Il est entendu que la télésérie de 1998 dans laquelle joue Gérard Depardieu est la plus facilement accessible, mais elle se permet malheureusement de grandes digressions par rapport à l’œuvre originale. Ma suggestion est de chercher sur YouTube la série de 1979, impossible à trouver ailleurs, qui est extrêmement fidèle et dont les répliques sont souvent mot pour mot celles du roman. Un internaute du nom de « montecristohaydee » l’a mise en ligne dans son entièreté, je ne saurais jamais assez l’en remercier. 

 

Après la lecture

Activité 6 : La vengeance du comte

Lorsque le roman a été lu, on divise les élèves en équipes et on assigne à chaque groupe l’un des quatre coupables. Les équipes devront comparer leurs notes sur les personnages rencontrés dans l’histoire et déterminer ceux qui jouent un rôle-clé dans l’histoire de leur coupable assigné (Haydée n’est importante que dans l’histoire de Morcerf et Franz d’Epinay ne fait partie que de celle de Villefort, par exemple). Pour mettre en relation le coupable et les personnages qui l’entourent, les élèves devront créer une carte euristique semblable à celle déposée en annexe, mais à plus petite échelle puisque le centre n’en sera pas Monte-Cristo, mais Danglars, Caderousse, Morcerf ou Villefort. 

Une fois les relations établies entre tous les personnages qui entourent le coupable, les élèves auront à retracer la chronologie de la vengeance du comte de Monte-Cristo pour cette personne. Ils devront positionner sur une ligne du temps tous les acteurs et toutes les actions qui ont mené à l’assassinat de Caderousse, au suicide de Morcerf, à la folie de Villefort et à la ruine et à l’emprisonnement de Danglars.

* Il est cependant à noter que la version de l’œuvre que nous étudions est une édition très abrégée de l’histoire et que certains éléments qui, dans le roman original, permettaient de voir clairement les machinations du comte sont parfois ici à peine mentionnés. Au besoin, on peut remettre aux élèves des extraits du texte original [5] pour compléter une information ou clarifier une relation causale (je pense, par exemple, à deux chapitres qu’il serait pertinent de faire lire aux élèves dans leur version d’origine, soit « Toxicologie », où Monte-Cristo instruit Madame de Villefort sur le poison dont elle se servira plus tard pour décimer sa famille, et « L’expiation », qui présente le moment où M. de Villefort perd la raison).

 

Activité 7 : Texte argumentatif / débat

On sait que Dantès, évadé de prison et devenu riche, ne cherche qu’à se venger de ceux qui lui ont injustement fait passer quatorze années enfermé au Château d’If. Après la mort de Caderousse et de Morcerf et la déchéance de Villefort, c’est à Danglars, ruiné, que Monte-Cristo s’attaque avec l’intention de le faire mourir de faim. Sans doute le comte a-t-il gardé le « meilleur » pour la fin puisqu’il avait lui-même accusé le banquier, lors de sa visite à l’auberge de Caderousse, d’être le plus coupable de ses quatre ennemis (« Le plus coupable, n’est-ce pas l’instigateur? » [CMC – 93]). Cependant, contre toute attente, il lui pardonne :

 « Je suis celui que vous avez vendu, livré, déshonoré; […] je suis celui sur lequel vous avez marché pour vous hausser jusqu’à la fortune […] et qui cependant vous pardonne, parce qu’il a besoin lui-même d’être pardonné, je suis Edmond Dantès! » (CMC – 340)

La version abrégée du roman ne nous permettant malheureusement pas de parfaitement comprendre le repentir de Dantès ni le besoin qu’il éprouve de pardonner Danglars, il est important, pour la réalisation de cette activité – et si cela n’a pas été fait à l’activité précédente –, de faire lire aux élèves les dernières pages de la version originale du chapitre « L’expiation » (reproduites en annexe).

On comprend donc, à la lecture de la version originale, qu’avec la mort d’Édouard de Villefort, un enfant innocent, le désir de vengeance du comte meurt aussi (« Il comprit qu’il venait d’outrepasser les droits de la vengeance; il comprit qu’il ne pouvait plus dire : “Dieu est pour moi et avec moi.” », lit-on dans ce chapitre.)

Une première question de débat pourrait se formuler ainsi : « Le comte de Monte-Cristo nomme Danglars comme le plus coupable de ses quatre ennemis. Cependant, il lui pardonne, car “il a besoin lui-même d’être pardonné”. Expliquez. »

Cependant, je propose également le rapprochement suivant, qui nous permet d’aller plus loin dans la réflexion : si Danglars a écrit la lettre de dénonciation, c’est l’action de Fernand qui a mené l’innocent Edmond Dantès en prison. Danglars a eu l’idée; Fernand l’a exécutée. Des années plus tard, lorsqu’il exécute sa vengeance, Dantès donne l’idée du poison à Madame de Villefort, qui s’en sert pour empoissonner sa famille, dont l’innocent enfant Édouard. Dantès a pensé au poison; madame de Villefort l’a utilisé.

On peut donc montrer ce parallèle aux élèves et les amener à argumenter, dans un débat ou par écrit, sur la question de la culpabilité de Dantès par rapport à celle de Danglars, et sur celle des exécuteurs par rapport à celle des instigateurs (qui est le plus coupable, celui qui pense ou celui qui agit ?)

Cette activité vise à exercer le sens argumentatif des élèves en les amenant à débattre de justice. Nombreuses sont les œuvres où un personnage choisit de se substituer à la justice (celle de Dieu comme celle des hommes) pour accomplir lui-même sa vengeance, et on peut faire le rapprochement avec certaines œuvres cinématographiques : V pour Vendetta, Les sept jours du talion, etc.

On pourrait aussi amener les élèves à sortir de l’œuvre de Dumas pour écrire une lettre ouverte dans laquelle ils prendront position sur la légitimité de la démarche d’autoréparation des héros qui choisissent d’exercer eux-mêmes leur justice plutôt que de laisser à Dieu ou aux tribunaux le soin de juger et de punir les coupables.

 

Conclusion

Même s’il n’en a pas été question dans cette séquence, il me semble primordial d’enseigner la compréhension en lecture à l’aide d’œuvres passionnantes parce qu’un élève sera toujours plus intéressé à s’investir dans une lecture qui le rejoint émotivement que dans une simple lecture « scolaire » [6]. Enseigner la littérature au secondaire, c’est partager sa passion pour les livres, donner aux élèves l’envie de se faire raconter une histoire. « Ce dont il faut convaincre l'élève […], c'est qu'il va trouver du plaisir dans un livre. Car, comment l'enfant pourra-t-il faire tous les efforts nécessaires pour apprendre à lire, utiliser ses lectures à des fins variées et, finalement, se doter de solides habitudes de lecture s'il ne sait pas qu'il peut y trouver du plaisir? [7] » Le comte de Monte-Cristo, que j’ai lu pour la première fois, en version intégrale, alors que je n’avais que quinze ans, est toujours demeuré mon coup de cœur malgré la complexité de l’histoire – mais j’étais une bonne lectrice. Le comte de Monte-Cristo ne doit donc pas être vu uniquement comme un outil pour enseigner la compréhension en lecture, même si la compréhension est le premier but poursuivi par cette séquence. Il importe aussi, en fait, que le travail de compréhension soit lui aussi perçu comme un outil qui mène vers un but final, lequel serait, simplement, le plaisir de lire [8].

 



Bibliographie

Dufays, Jean-Louis, Louis Gemenne et Dominique Ledur, Pour une lecture littéraire, Bruxelles : De Boeck, 2005, 370 pages.

Dumas, Alexandre, Le comte de Monte-Cristo, Paris : L’École des loisirs (coll. Classiques abrégés), 2000, 347 pages.

Gervais, Flore, « Didactique du plaisir de lire : didactique de la littérature-jeunesse », Québec français, n° 100, 1996, p. 48-50.

Langlais, Pauline, « La littérature au secondaire : un plaisir à cultiver », Québec français, n° 109, 1998, p. 26-27.

Pennac, Daniel, Comme un roman, Paris : Gallimard (Folio), 1992, 198 pages.

Simard, Claude, « Le choix des textes littéraires : une question idéologique », Québec français, n° 100, 1996, p. 44-47.

 



Annexe

Fin du chapitre « L’expiation »

version originale (origine : Wikisource)

Il enleva l’enfant dans ses bras, le serrant, le secouant, l’appelant; l’enfant ne répondit point. Il colla ses lèvres avides à ses joues, ses joues étaient livides et glacées; il palpa ses membres roidis; il appuya sa main sur son cœur, son cœur ne battait plus.

L’enfant était mort.

Un papier plié en quatre tomba de la poitrine d’Édouard.

Villefort, foudroyé, se laissa aller sur ses genoux : l’enfant s’échappa de ses bras inertes et roula du côté de sa mère.

Villefort ramassa le papier, reconnut l’écriture de sa femme et le parcourut avidement.

Voici ce qu’il contenait :

« Vous savez si j’étais bonne mère, puisque c’est pour mon fils que je me suis faite criminelle ! »

« Une bonne mère ne part pas sans son fils ! »

Villefort ne pouvait en croire ses yeux; Villefort ne pouvait en croire sa raison. Il se traîna vers le corps d’Édouard, qu’il examina encore une fois avec cette attention minutieuse que met la lionne à regarder son lionceau mort.

Puis un cri déchirant s’échappa de sa poitrine.

— Dieu ! murmura-t-il, toujours Dieu !

Ces deux victimes l’épouvantaient, il sentait monter en lui l’horreur de cette solitude peuplée de deux cadavres.

Tout à l’heure il était soutenu par la rage, cette immense faculté des hommes forts, par le désespoir, cette vertu suprême de l’agonie, qui poussait les Titans à escalader le ciel, Ajax à montrer le poing aux dieux.

Villefort courba sa tête sous le poids des douleurs, il se releva sur ses genoux, secoua ses cheveux humides de sueur, hérissés d’effroi, et celui-là, qui n’avait jamais eu pitié de personne, s’en alla trouver le vieillard, son père, pour avoir, dans sa faiblesse, quelqu’un à qui raconter son malheur, quelqu’un près de qui pleurer.

Il descendit l’escalier que nous connaissons et entra chez Noirtier.

Quand Villefort entra, Noirtier paraissait attentif à écouter, aussi affectueusement que le permettait son immobilité, l’abbé Busoni, toujours aussi calme et aussi froid que de coutume.

Villefort, en apercevant l’abbé, porta la main à son front. Le passé lui revint comme une de ces vagues dont la colère soulève plus d’écume que les autres vagues.

Il se souvint de la visite qu’il avait faite à l’abbé le surlendemain du dîner d’Auteuil et de la visite que lui avait faite l’abbé à lui-même le jour de la mort de Valentine.

— Vous ici, monsieur ! dit-il; mais vous n’apparaissez donc jamais que pour escorter la Mort ?

Busoni se redressa; en voyant l’altération du visage du magistrat, l’éclat farouche de ses yeux, il comprit ou crut comprendre que la scène des assises était accomplie; il ignorait le reste.

— J’y suis venu pour prier sur le corps de votre fille, répondit Busoni !

— Et aujourd’hui, qu’y venez-vous faire ?

— Je viens vous dire que vous m’avez assez payé votre dette; et qu’à partir de ce moment, je vais prier Dieu qu’il se contente comme moi.

— Mon Dieu ! fit Villefort en reculant, l’épouvante sur le front, cette voix, ce n’est pas celle de l’abbé Busoni !

— Non.

L’abbé arracha sa fausse tonsure, secoua la tête, et ses longs cheveux noirs, cessant d’être comprimés, retombèrent sur ses épaules et encadrèrent son mâle visage.

— C’est le visage de M. de Monte-Cristo ! s’écria Villefort les yeux hagards.

— Ce n’est pas encore cela, monsieur le procureur du roi, cherchez mieux et plus loin.

— Cette voix ! Cette voix ! où l’ai-je entendue pour la première fois ?

— Vous l’avez entendue pour la première fois à Marseille, il y a vingt-trois ans, le jour de votre mariage avec mademoiselle de Saint-Méran. Cherchez dans vos dossiers.

— Vous n’êtes pas Busoni ? vous n’êtes pas Monte-Cristo ? Mon Dieu, vous êtes cet ennemi caché, implacable, mortel ! J’ai fait quelque chose contre vous à Marseille, oh ! malheur à moi !

— Oui, tu as raison, c’est bien cela, dit le comte en croisant les bras sur sa large poitrine; cherche, cherche !

— Mais que t’ai-je donc fait ? s’écria Villefort, dont l’esprit flottait déjà sur la limite où se confondent la raison et la démence, dans ce brouillard qui n’est plus le rêve et qui n’est pas encore le réveil; que t’ai-je fait ? dis ! parle !

— Vous m’avez condamné à une mort lente et hideuse, vous avez tué mon père, vous m’avez ôté l’amour avec la liberté, et la fortune avec l’amour !

— Qui êtes-vous ? qui êtes-vous donc ? mon Dieu !

— Je suis le spectre d’un malheureux que vous avez enseveli dans les cachots du château d’If. À ce spectre sorti enfin de sa tombe Dieu a mis le masque du comte de Monte-Cristo, et il l’a couvert de diamants et d’or pour que vous le reconnaissiez qu’aujourd’hui.

— Ah ! je te reconnais, je te reconnais ! dit le procureur du roi; tu es…

— Je suis Edmond Dantès !

— Tu es Edmond Dantès ! s’écria le procureur du roi en saisissant le comte par le poignet; alors, viens !

Et il l’entraîna par l’escalier, dans lequel Monte-Cristo, étonné, le suivit, ignorant lui même où le procureur du roi le conduisait, et pressentant quelque nouvelle catastrophe.

— Tiens ! Edmond Dantès, dit-il en montrant au comte le cadavre de sa femme et le corps de son fils, tiens ! regarde, es-tu bien vengé ?…

Monte-Cristo pâlit à cet effroyable spectacle; il comprit qu’il venait d’outrepasser les droits de la vengeance; il comprit qu’il ne pouvait plus dire :

— Dieu est pour moi et avec moi.

Il se jeta avec un sentiment d’angoisse inexprimable sur le corps de l’enfant, rouvrit ses yeux, tâta le pouls, et s’élança avec lui dans la chambre de Valentine, qu’il referma à double tour…

— Mon enfant ! s’écria Villefort; il emporte le cadavre de mon enfant ! Oh ! malédiction ! malheur ! mort sur toi !

Et il voulut s’élancer après Monte-Cristo; mais, comme dans un rêve, il sentit ses pieds prendre racine, ses yeux se dilatèrent à briser leurs orbites, ses doigts recourbés sur la chair de sa poitrine s’y enfoncèrent graduellement jusqu’à ce que le sang rougît ses ongles; les veines de ses tempes se gonflèrent d’esprits bouillants qui allèrent soulever la voûte trop étroite de son crâne et noyèrent son cerveau dans un déluge de feu.

Cette fixité dura plusieurs minutes, jusqu’à ce que l’effroyable bouleversement de la raison fût accompli.

Alors il jeta un grand cri suivi d’un long éclat de rire, et se précipita par les escaliers.

Un quart d’heure après, la chambre de Valentine se rouvrit, et le comte de Monte-Cristo reparut.

Pâle, l’œil morne, la poitrine oppressée, tous les traits de cette figure ordinairement si calme et si noble étaient bouleversés par la douleur.

Il tenait dans ses bras l’enfant, auquel aucun secours n’avait pu rendre la vie.

Il mit un genou en terre et le déposa religieusement près de sa mère, la tête posée sur sa poitrine.

Puis, se relevant, il sortit, et rencontrant un domestique sur l’escalier :

— Où est M. de Villefort ? demanda-t-il.

Le domestique, sans lui répondre, étendit la main du côté du jardin.

Monte-Cristo descendit le perron, s’avança vers l’endroit désigné, et vit, au milieu de ses serviteurs faisant cercle autour de lui, Villefort une bêche à la main, et fouillant la terre avec une espèce de rage.

— Ce n’est pas encore ici, disait-il, ce n’est pas encore ici !

Et il fouillait plus loin.

Monte-Cristo s’approcha de lui, et tout bas :

— Monsieur, lui dit-il d’un ton presque humble, vous avez perdu un fils; mais…

Villefort l’interrompit; il n’avait ni écouté ni entendu.

— Oh ! je le retrouverai, dit-il; vous avez beau prétendre qu’il n’y est pas, je le retrouverai, dussé-je le chercher jusqu’au jour du dernier jugement.

Monte-Cristo recula avec terreur.

— Oh ! dit-il, il est fou !

Et, comme s’il eût craint que les murs de la maison maudite ne s’écroulassent sur lui, il s’élança dans la rue, doutant pour la première fois qu’il eût le droit de faire ce qu’il avait fait.

— Oh ! assez, assez comme cela, dit-il, sauvons le dernier.

En rentrant chez lui, Monte-Cristo rencontra Morrel, qui errait dans l’hôtel des Champs-Élysées, silencieux comme une ombre qui attend le moment fixé par Dieu pour rentrer dans son tombeau.

— Apprêtez-vous, Maximilien, lui dit-il avec un sourire, nous quittons Paris demain.

— N’avez-vous plus rien à y faire ? demanda Morrel.

— Non, répondit Monte-Cristo, et Dieu veuille que je n’y aie pas trop fait !

 


 

[1] Les renvois à l’œuvre, dans cette séquence didactique, seront indiqués entre parenthèses dans le corps du texte par l’abréviation CMC suivie du numéro de la page.

[2] « Certaines œuvres nous ont marqués et nous nous les rappelons avec plaisir. C'est ce plaisir de la lecture d'œuvres littéraires que les élèves du secondaire doivent découvrir. » Pauline Langlais, « La littérature au secondaire : un plaisir à cultiver », Québec français, n° 109, 1998, p. 27.

[3] Jean-Louis Dufays et al, Pour une lecture littéraire, Bruxelles : De Boeck, 2005, p. 136.

[4] Ibid, p. 137

[5] Libre de droits, la version originale du Comte de Monte-Cristo est disponible dans son intégralité sur Wikisource à l’adresse suivante : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Comte_de_Monte-Cristo

[6] Daniel Pennac l’a si bien dit et redit dans Comme un roman, notamment dans cette phrase qu’il emprunte à Kafka : « On ne fera jamais comprendre à un garçon qui, le soir, est au beau milieu d’une histoire captivante […] qu’il lui faut interrompre sa lecture et aller se coucher. » (p. 68)

[7] Flore Gervais, « Didactique du plaisir de lire : didactique de la littérature-jeunesse », Québec français, n° 100, 1996, p. 50.

[8] Voir à ce sujet « Le choix des textes littéraires : une question idéologique », de Claude Simard, dans  Québec français, n° 100, 1996, p. 46-47.

 

 

 


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