Présentation de la situation problème
Dans le cadre du cours Littérature québécoise (601-103-04), les élèves réfléchiront au fait que toute œuvre est influencée par l’époque et le milieu dans lesquels elle s’inscrit. Pour ce faire, nous proposerons, au début de la session, une séquence didactique qui sera répartie sur huit séances de deux heures et qui incitera les élèves à saisir et à expliquer comment le roman Maria Chapdelaine de Louis Hémon, publié en volume en 1916, soutient l’idéologie de conservation, en même temps qu’il la conteste.
Présentation de l’œuvre choisie et justification de sa pertinence
Maria Chapdelaine constitue un classique de la littérature québécoise auquel plusieurs enseignants recourent pour aborder le roman de la terre. Même si le contexte sociohistorique dans lequel il s’inscrit est très loin de la réalité quotidienne des élèves, peut-être savent-ils que l’Église avait une forte mainmise sur la population, ce qui risque de les inciter à considérer que les textes de l’époque étaient très conformistes. Puisqu’ils verront que le roman de Hémon présente à la fois les aspects positifs et négatifs de la colonisation, ils dépasseront ces préconceptions. De plus, l’œuvre choisie contribuera à la découverte du patrimoine culturel québécois puisqu’elle rend compte des valeurs et des croyances du Canada français de l’époque, ce qui permettra de mieux saisir les contextes sociopolitique et littéraire actuels. Finalement, le drame que vit Maria risque de provoquer un phénomène d’identification. Une telle participation du sujet lecteur témoignera d’une appropriation du texte qui favorisera la distanciation nécessaire au travail interprétatif.
Problèmes de lecture à résoudre : leur pertinence et leurs finalités didactiques
Au terme de la séquence didactique, les élèves seront en mesure de comprendre que le roman Maria Chapdelaine de Louis Hémon soutient l’idéologie de conservation en même temps qu’il la conteste. Pour résoudre ce problème de lecture initial, les élèves devront s’attarder aux deux problèmes suivants :
1. Cerner en quoi certains thèmes et personnages font qu’il y a conformité morale avec le discours dominant. Les élèves devront déterminer de quelle(s) manière(s) les valeurs et les croyances de la société canadienne-française de la première moitié du XXe siècle traversent le texte de manière à ce qu’il réponde à l’un des impératifs littéraires de l’époque : soutenir l’idéologie de conservation.
2. Saisir comment le réalisme permet à Hémon d’introduire un discours contre-hégémonique. Les élèves verront que le champ littéraire implique des rapports de force entre les tenants de l’idéologie dominante et ceux de la contre-hégémonie. Ils saisiront que le roman vise à montrer deux visions du monde qui sont défendues par des groupes différents.
Présentation des outils créés
Un petit réseau de références permettra aux élèves de se familiariser avec la littérature du terroir. Un extrait de La Terre paternelle (1847) de Patrice Lacombe illustrera en quoi le roman à thèse fait la promotion des valeurs appartenant à l’idéologie dominante. Puis, un passage de La Scouine (1918) d’Albert Laberge servira à constater de quelle(s) manière(s) l’auteur s’attaque aux thèmes privilégiés du terroir. Les deux textes choisis faciliteront le repérage des éléments conformistes et contestataires de l’œuvre de Hémon.
De plus, dans le cadre d’une évaluation formative, les élèves devront répondre à la tâche d’écriture suivante : « Transformez l’extrait “La complainte de la faux”, du chapitre XXII de La Scouine d’Albert Laberge, en un passage qui respecte les caractéristiques du roman de la terre ». Les critères à respecter concerneront l’intégration de thèmes relatifs au roman de la terre, la pertinence des éléments sélectionnés et le choix d’un titre représentatif de la production de l’élève.
Durant la lecture, les élèves complèteront un tableau-synthèse qui permettra de constater comment les principaux thèmes de Maria Chapdelaine se rapportent à l’idéologie de conservation ou à la contre-hégémonie. Il y aura quatre colonnes respectivement intitulées « thèmes », « personnages représentatifs », « valeurs véhiculées ou défendues » et « extraits significatifs ». Les thèmes traités seront le nomadisme, la sédentarité, la ville, la campagne et le travail de la terre (agriculture et défrichage). En ce qui concerne ce dernier, les élèves devront identifier les aspects positifs et négatifs sur lesquels l’auteur insiste.
Au terme de la séquence didactique, les élèves devront réaliser une activité d’écriture créative qui exigera de recourir à certains procédés d’argumentation. En voici la consigne : « Vous êtes un critique littéraire et, à la demande de l’archevêque de Québec, il vous faut déterminer si le roman Maria Chapdelaine devrait être admis dans la liste “des bons livres” en cette année 1916. Il vous revient donc de vérifier en quoi l’œuvre de Louis Hémon soutient ou non l’idéologie de conservation. L’archevêque souhaite que vous appuyiez vos propos sur des extraits significatifs du texte. Votre production sera d’environ 750 mots ». Les critères de correction de cette évaluation sommative concerneront le contenu critique et analytique, la structure du texte et la qualité du français.
Avant la lecture
La première séance concernera l’activation des connaissances antérieures relatives à la vie des colons grâce à la présentation d’un extrait vidéo tiré de la série télévisée Blanche. Certaines équipes devront déterminer les aspects positifs de la colonisation et d’autres en décriront les aspects négatifs. Le précadrage historico-culturel engendré nous permettra d’introduire un passage du chapitre XV (p. 182-188) de Maria Chapdelaine. Les élèves détermineront en quoi il y a, comme dans Blanche, présentation des deux côtés de la médaille en ce qui a trait à la colonisation. Bref, les élèves s’exerceront à rechercher les éléments qui soutiennent ou non l’idéologie de conservation. Cette notion sera expliquée lors d’un court exposé magistral sur le contexte sociohistorique des années 1850 à 1950.
La deuxième séance portera sur le roman à thèse. Après un bref exposé magistral, les élèves formeront des équipes et détermineront comment Patrice Lacombe, à la fin du premier chapitre de La Terre paternelle, exploite certains thèmes pour présenter une vision idyllique de la vie rurale. Après la plénière, les élèves analyseront le deuxième paragraphe du premier chapitre de Maria Chapdelaine dans lequel Hémon décrit la joie de vivre des colons malgré « un pays austère ». Chaque équipe devra se prononcer sur la question d’interprétation suivante : « Croyez-vous que l’extrait du premier chapitre de Maria Chapdelaine pourrait être introduit dans un roman à thèse? » Les élèves seront ainsi confrontés à une situation qui leur demandera de juger s’il convient ou non de recourir aux concepts vus lors de l’exposé magistral sur le roman à thèse.
Au cours de la troisième séance, La Scouine d’Albert Laberge servira de contrexemple au roman de la terre. Avec ce roman, nous inviterons la classe à s’interroger sur l’attaque à l’idéologie agriculturiste. Un passage du chapitre XXII, « la Complainte de la Faux », sera comparé à un paragraphe de Maria Chapdelaine (chapitre VI), tous deux décrivant le temps des foins. Des questions d’interprétation viseront à distinguer les effets produits par chacun des textes. Au cours de la deuxième heure, chaque élève transformera l’extrait « la Complainte de la Faux » en un passage qui respecte les caractéristiques du roman à thèse, ce qui favorisera l’appropriation des particularités thématiques et stylistiques de ce type d’écrits.
Pendant la lecture
Avant la quatrième séance, les élèves auront lu les chapitres I à XI de l’œuvre à l’étude. Ils seront conviés à se placer en équipe de quatre dont deux membres travailleront sur les descriptions et les propos de Samuel Chapdelaine et de François Paradis afin de déterminer s’ils sont, d’après les extraits ciblés, nomades ou sédentaires. Les autres coéquipiers s’attarderont à Laura Chapdelaine et à Eutrope Gagnon. Ensuite, les élèves effectueront de l’enseignement réciproque, c’est-à-dire que ceux qui auront étudié les personnages nomades expliqueront à leurs camarades en quoi certains passages révèlent que Samuel et François adhèrent à un tel mode de vie. Ceux qui auront analysé les personnages sédentaires feront de même. Puis, les élèves rempliront les deux premières cases du tableau-synthèse qui concernent le nomadisme et la sédentarité. Après la plénière, ils rédigeront individuellement un paragraphe pour expliquer en quoi l’un des personnages qu’ils ont inséré dans le tableau soutient ou non, par son mode de vie, l’idéologie de conservation.
Pour la cinquième séance, les élèves auront terminé la lecture de Maria Chapdelaine. Ils auront également complété le tableau-synthèse qui sera ramassé à la fin du cours en guise d’évaluation formative. Il y aura d’abord un bref retour sur les paragraphes rédigés précédemment. Puis, il sera question du réalisme de Louis Hémon, c’est-à-dire du souci de l’auteur de montrer les aspects positifs et négatifs de la colonisation. Après un retour sur le chapitre IV qui décrit le dur travail de défrichage, nous interrogerons les élèves au sujet de leurs impressions de lecture et de leur perception des conditions de vie des défricheurs. En dyade, ils détermineront en quoi le chapitre XII adhère à l’idéologie officielle en même temps qu’il s’y oppose puisqu’il y a à la fois valorisation de la campagne et de la ville. Lors de la plénière, le travail d’interprétation sera axé sur le rôle des discours hégémonique et contre-hégémonique dans le roman.
Après la lecture
À la sixième séance, nous proposerons une piste d’interprétation à laquelle les élèves devront réfléchir à l’intérieur de groupes de discussion : « Peut-on dire que Maria est présentée comme le symbole de la survivance canadienne-française en Amérique? » L’objectif est de comprendre en quoi, malgré son réalisme, l’œuvre de Louis Hémon soutient l’idéologie de conservation. Nous profiterons du retour en grand groupe pour faire un court exposé magistral sur la récupération idéologique que permet l’épisode de l’intervention des voix. Les élèves devront cibler les passages qui font référence aux grandes valeurs canadiennes-françaises. Nous vérifierons donc, avant l’évaluation sommative, si tous ont bien cerné les caractéristiques du roman de la terre. D’ailleurs, nous remettrons à chacun son tableau-synthèse afin de revenir sur les principaux aspects traités ou sur les éléments qui auront suscité certaines difficultés.
Les septième et huitième séances seront consacrées à la consolidation des acquis puisque nous soumettrons la classe à une évaluation sommative. Celle-ci consistera en la rédaction d’un texte qui vise, en début de session, à amener les élèves vers la production d’une dissertation critique par le biais d’un travail sur l’argumentation étant donné qu’il s’agit de convaincre l’archevêque de Québec d’inclure ou non Maria Chapdelaine dans la liste des « bons livres ». Cela leur permettra de faire la démonstration de leur compétence métatextuelle par un retour sur leur compréhension.
BIBLIOGRAPHIE
Œuvres du corpus
HÉMON, Louis, Maria Chapdelaine. Récit du Canada français, préface d'Aurélien Boivin, Montréal, BQ, 1990 [1916], 221 p.
LABERGE, Albert, La Scouine, Montréal, Typo, 1993 [1918], 142 p.
LACOMBE, Patrice, La Terre paternelle, préface d’André Vanasse, Montréal, BQ, 1993 [1847], 87 p.
Articles et ouvrages de didactique
DAUNAY, Bertrand, « De l’écriture palimpseste à la lecture critique », dans Recherches, no 18 (1993), p. 93-130.
DUFAYS, Jean-Louis, Stéréotype et lecture, Liège, Mardaga, 1994, 375 p.
FALARDEAU, Érick, « Quelle place pour les lecteurs dans nos classes de littérature? », à paraitre dans Québec français, automne 2004.
LANGLADE, Gérard, « Fiche de synthèse : pour élaborer des séquences didactiques en français », dans Anne ARMAND et al., La séquence didactique en français, Bertrand-Lacoste / CRDP de Toulouse, Paris / Toulouse, 1992, 173 p.
---, « Sortir du formalisme, accueillir les lecteurs réels », dans Le Français aujourd’hui, no 145 (2004), p. 85-96.
LEDUR, Dominique, « Lecture littéraire et enseignement professionnel : faut-il former des “héritiers”? », dans Pour une lecture littéraire 2. Bilan et confrontations. Actes du colloque Louvain-la-Neuve (3-5 mai 1995), Bruxelles, De Boeck & Duculot, 1996, p. 328-338.
PETITJEAN, André, « Pastiche et parodie : enjeux théoriques et pédagogiques », dans Pratiques, no 42 (1984), p. 3-33.
POIRIER PROULX, Lise, La résolution de problèmes en enseignement. Cadre référentiel et outils de formation, Paris / Bruxelles, De Boeck & Larcier (coll. « Perspectives en éducation »), 1999, 178 p.
PORTINE, Henri, « Lecture-écriture et reformulations », dans Yves REUTER [textes réunis], Les interactions lecture-écriture. Actes du colloque Théodile (Lille, novembre 1993), Bern, Peter Lang S. A. (coll. « Exploration »), 1994, p. 351-368.
ROPÉ, Françoise, « Synthèse des recherches en didactique portant sur les interactions lecture-écriture », dans Yves REUTER [textes réunis], Les interactions lecture-écriture. Actes du colloque Théodile (Lille, novembre 1993), Bern, Peter Lang S. A. (coll. « Exploration »), 1994, p. 191-218.
SAINT-PIERRE, Lise, « Quoi faire pour que les élèves étudient mieux et davantage? », dans Pédagogie collégiale, vol. VI, no 4 (mai 1993), p. 22-27.
Se connecter
