JUSTIFICATIONS DE LA PERTINENCE DE L’ŒUVRE CHOISIE[1] :
Si j’ai choisi cette œuvre pour un cours de littérature québécoise au collégial, c’est que Ying Chen aborde des thèmes qui rejoignent bon nombre d’élèves de ce niveau, c’est-à-dire qu’elle parle de l’amour maternel et (malheureusement) du suicide. De plus, il faut dire que ces thèmes en englobent d’autres tout aussi intéressants à travailler, comme la vérité et le mensonge, la vengeance, l’amour et la haine, etc. Ce roman est également une manière d’élargir l’horizon des élèves du collégial sur le monde. En effet, Ying Chen – qui n’est pas d’origine québécoise, mais bien chinoise – marque son récit de son passage en Chine. Cet aspect du roman permet donc de rendre les élèves plus sensibles à une autre culture que la leur. Toujours d’un point de vue socioculturel, il est aussi possible de faire des parallèles entre deux sociétés différentes, celle chinoise et celle québécoise, d’une même époque et qui, par ailleurs, sont bien souvent préoccupées les mêmes thèmes, à la grande surprise des élèves. Finalement, cette œuvre est l’occasion de faire découvrir aux élèves l’existence d’une littérature migrante s’inscrivant dans la littérature québécoise.
PROBLÈME À RÉSOUDRE :
L’Ingratitude est un texte qui pose problème de lecture aux élèves parce qu’il oblige ces derniers à se référer à des notions concernant le courant postmodernisme présent dans la littérature québécoise. Je tiens à préciser que le roman de Ying Chen se situe également dans la littérature migrante, mais ici je m’attarderai seulement au postmodernisme dont est empreinte cette œuvre. Ce roman est accessible aux jeunes du collégial quant au sujet du récit et au vocabulaire utilisé. Toutefois, la richesse du texte se situe principalement dans sa forme, par la narration et la chronologie de ce dernier. Je vois donc ici un problème à résoudre pour les élèves dans leur lecture de L’Ingratitude, c’est-à-dire celui de la fragmentation du récit, ce qui correspond à l’une des caractéristiques du postmodernisme. Le but de cette séquence est d’amener les élèves à percevoir l’importance de l’esthétique (de la forme) dans une œuvre postmoderne. Il sera possible de remplir cet objectif à partir des deux angles suivants : 1) comprendre la narration et la chronologie; 2) interpréter L’Ingratitude. L’ensemble de la séquence est préparatoire à la compétence finale, c’est-à-dire « apprécier des textes de la littérature québécoise ». En fin de compte, les stratégies d’enseignement et d’apprentissage choisies permettent aux élèves d’acquérir de nouvelles connaissances (la narration et la chronologie) et de nouvelles habiletés (interpréter et argumenter) afin d’être en mesure de rédiger une dissertation critique. Aussi, les élèves apprendront de nouvelles notions concernant la littérature québécoise contemporaine, plus particulièrement en ce qui a trait au courant postmoderniste. Le déroulement de la séquence didactique est divisé en sept cours de deux heures chacun.
Avant la lecture (compréhension des procédés, la narration et la chronologie, pour les trois premiers cours) :
Cours 1
Avant la lecture, l’enseignant pose quelques questions aux élèves afin de découvrir ce qu’ils connaissent des traditions québécoises. Cette activité se fait à l’aide d’un questionnaire fourni par l’enseignant.
QUESTIONNAIRE :
Quels symboles rattachez-vous au Québec? Quelles traditions québécoises connaissez-vous (par exemple, la Saint-Jean-Baptiste)? Quelles expressions québécoises connaissez-vous? De quoi vous souvenez-vous au sujet de vos grands-parents? Etc.
Ensuite, ils ont à répondre à la question suivante : Que connaissez-vous de la Chine? Maintenant cette étape complétée, l’enseignant incite les élèves à partager leurs réponses à haute voix. Par la suite, il explique aux élèves qu’ils liront un roman de la littérature migrante, L’Ingratitude, c’est-à-dire un roman qui s’inscrit bien dans la littérature québécoise, mais qui a été écrit par une écrivaine d’origine chinoise. Cette approche permet à l’enseignant d’établir des liens entre la Chine et le Québec avec les élèves. Pour ce faire, la lecture de quelques extraits (à l’intérieur des chapitres 13, 16 ou 28 du roman) est de mise, car il s’agit de passages où l’on mentionne certaines traditions de la Chine. Afin de voir ce que les élèves retiennent de ces extraits, il est approprié de faire un échange sur ceux-ci. Cette première étape sert à comparer deux sociétés distinctes. Après cet exercice, il faut jeter la base des repères sociohistoriques de la Chine en établissant des parallèles avec le Québec de la même époque. En ce qui a trait à cette partie du cours, il est possible de leur présenter des extraits d’un documentaire : La légende du siècle (« Mao au pouvoir », « l’effondrement de communisme », etc.) qui met en place le contexte de la révolution culturelle chinoise. Pendant le visionnement, ils sont invités à prendre des notes.
Cours 2
Le cours suivant, l’enseignant donne des explications concernant un journal de bord que les élèves auront à rédiger durant leur lecture. Les consignes à retenir pour tenir le journal de bord sont également explicitées dans un document écrit. Ce journal de bord est une évaluation formative et sert d’outil préparatoire aux débats interprétatifs à la fin de cette même séquence. Les consignes du journal de bord sont : Après chacun des chapitres du roman, rédigez quelques phrases résumant l’action; vos impressions de lecture (vos sentiments par rapport au récit, vos commentaires sur l’écriture de l’auteure, vos passages préférés, etc.); les liens que vous faites avec les cours en rapport à ce roman. L’enseignant fournit un exemple de ce qu’est un journal de bord en le faisant circuler dans la classe. Toutefois, le principal objectif de ce deuxième cours est d’aborder les procédés de la narration et de la chronologie en lien avec le postmodernisme. Il est donc approprié de revoir avec les élèves les notions dont ils se souviennent concernant ces deux procédés pour les amener à les explorer davantage. À vrai dire, les élèves ont une conception stéréotypée de ces procédés; ils croient souvent que le récit est construit de façon linéaire et que le narrateur est un « il ». Pour remémorer les notions de narration et de chronologie aux élèves, comme ils les conçoivent, il est possible d’étudier avec eux un texte dans lequel ils peuvent se repérer facilement. Par exemple, Trente arpents (œuvre qu’ils pourraient avoir lue en début de session), un roman du terroir qui possède une narration et une chronologie bien simples. Pour ce faire, une moitié de la classe tente de relever des éléments de la narration à l’aide d’un questionnaire qui leur facilite la recherche dans le texte.
QUESTIONNAIRE (narration) :
Qui est le narrateur du récit? Le narrateur est-il un « je » ou un « il »? Y a-t-il plus qu’un narrateur? Y a-t-il des dialogues? Y a-t-il beaucoup de descriptions? Etc.
Quant à l’autre moitié de la classe, elle s’occupe de relever les éléments de la chronologie, également à l’aide d’un questionnaire. Pendant ce temps, l’enseignant circule entre les deux groupes.
QUESTIONNAIRE (chronologie) :
Est-ce que le récit semble cohérent? Y a-t-il des retours dans le passé? Quels sont les modes et temps verbaux utilisés? Comment commence le récit? Etc.
Après cette activité, les élèves de chaque groupe sont invités à venir inscrire au tableau leurs découvertes pour chacun des procédés en suivant la structure du questionnaire. Par la suite, l’enseignant reprend ces différentes découvertes et les rattache aux termes déjà existants de la narration et de la chronologie. Afin de mieux comprendre l’idée de fragmentation, l’enseignant demande aux élèves, en dyade, de réécrire un passage de Trente arpents en modifiant la narration et à la chronologie. La consigne de la rédaction est la suivante : Servez-vous de la fin du roman pour écrire l’incipit de celui-ci en faisant d’Euchariste Moisan le narrateur. Cette rédaction doit être remise au plus tard au troisième cours. Les élèves réalisent ainsi qu’il est possible de changer l’ordre des évènements dans un même récit et, par conséquent, de jouer avec la narration.
Pendant la lecture :
Cours 3
Durant cette période, l’enseignant reprend les termes vus par rapport à la narration et à la chronologie lors du dernier cours. En fait, il suit la même procédure qu’au dernier cours avec les premiers chapitres de L’Ingratitude. Cependant, il le fait en grand groupe. Cette fois-ci, l’enseignant prend le temps de détailler les passages ciblés pour expliciter les notions de narration et de chronologie : les modes et temps verbaux, la focalisation, les prolepses, etc. Par la suite, les élèves doivent en faire autant en équipe de quatre avec les chapitres suivants, c’est-à-dire que l’équipe 1 se charge de relever ces différents éléments à travers le chapitre 4 et ainsi de suite. À la fin de cette activité, les élèves présentent au reste de la classe leur travail. Après cette activité, les élèves sont en mesure de repérer les éléments respectifs à la narration et à la chronologie ainsi que de comprendre leur rôle dans la fragmentation d’un récit. Il est nécessaire de changer les préconceptions des élèves; leur montrer qu’il existe d’autres façons de construire un récit, ce qui les prépare mieux au travail d’interprétation.
Pendant la lecture, l’enseignant demeure disponible pour les élèves désireux de le rencontrer à son bureau afin d’assurer un suivi par rapport à leur journal de bord.
Cours 4 (interprétation de L’Ingratitude pour les quatre derniers cours)
Lors du quatrième cours, l’enseignant vérifie la compréhension des élèves en ce qui a trait aux nouveaux procédés appris par le biais d’une activité d’écriture créative, ce qui sert également d’évaluation formative. L’écriture créative donne la chance aux élèves d’apprendre concrètement les procédés enseignés : la narration et la chronologie. Voici la consigne de cette rédaction : Vous êtes la mère (ou le père) de Yan-Zi. Vous vivez donc un deuil, car vous avez perdu votre fille. Rédigez un texte où vous racontez votre deuil en tenant compte des notions de narration et de chronologie[2]. Durant la dernière demi-heure du cours, l’enseignant demande aux élèves d’échanger leur copie et de partager au reste de la classe leur production littéraire dans le but de voir les multiples façons qui existent pour écrire le même passage d’un roman.
Après la lecture :
Cours 5 et 6
Afin de faire ressortir l’aspect interprétatif du travail de lecture, je pense qu’un débat interprétatif est de mise. Au cours 5, l’enseignant prend le temps de dire aux élèves en quoi consiste ce débat interprétatif, en quoi il est utile et comment ils le préparent. De plus, l’enseignant remet un document qui explique aux élèves les étapes à suivre pour la préparation du débat et le déroulement de celui-ci. Deux débats sont à faire puisque la classe sera divisée en deux groupes. C’est dans ce cours que les élèves se servent de leur journal de bord, c’est-à-dire que la période est consacrée à la préparation de leur débat à l’aide de cet outil, de leurs notes de cours ainsi qu’avec leurs pairs. Durant la préparation du débat, l’enseignant guide les élèves dans la procédure à suivre. Voici les deux questions sur lesquelles les élèves doivent débattre : 1. Pensez-vous que la narration aurait été la même si la mort de Yan-Zi, la narratrice, n’avait pas été accidentelle, mais bien planifiée comme elle souhaitait le faire? 2. Pensez-vous que la chronologie, donc la construction temporelle du récit, rend l’œuvre plus signifiante? Le débat interprétatif est une autre activité qui sert l’objectif principal, celui d’amener les élèves à comprendre l’importance de l’esthétique dans une œuvre postmoderne, en passant par deux procédés qui en font partie, soit la narration et la chronologie. Cela dit, les élèves étudient de plus près la fragmentation du récit dans L’Ingratitude. Au terme de la préparation des débats, ils auront une bonne connaissance de cette œuvre littéraire.
Cours 7
C’est donc cette période qui est consacrée aux débats interprétatifs. Tout d’abord, le premier groupe (la moitié de la classe) est celui qui débat sur la première question. Il dispose d’une heure pour débattre. Ce faisant, l’autre groupe sert de public. La deuxième heure du cours est réservée au groupe suivant. À chaque débat, l’enseignant joue le rôle de l’animateur. Quant aux équipes présentes pour chacun des débats, celle pour et celle contre, elles ont droit de parole à tour de rôle. Pour simplifier la procédure, chaque équipe a quatre représentants afin de défendre leur position. Pour ce qui est des élèves-observateurs (et non pas le groupe-public), ils ont pris part à la préparation du débat. Cependant, ils ont le droit de noter des arguments durant le débat et d’en faire part à leur équipe.
[1] Bien mentionner aux élèves que le roman qu’ils liront n’est pas une histoire vraie, mais qu’il s’agit bien d’une autofiction, c’est-à-dire que l’auteure s’est inspirée de certains éléments de son propre vécu, mais que l’on ne peut affirmer ce qui est tiré de ses expériences et ce qui ne l’est pas.
[2] Il faut toutefois mentionner aux élèves, lors du troisième cours, de cesser leur lecture après le chapitre 28 afin qu’ils ne reprennent pas les pensées que partage la mère de Yan-Zi à sa fille incinérée. Il ne restera que sept chapitres (35 pages) pour terminer le roman avant le cours 5.