La séquence didactique que nous proposons s’articule autour d’un journal de bord dans lequel les étudiants devront, suivant l’avancement du cours et l’acquisition de nouvelles connaissances, noter les modifications relatives à leur rapport à l’œuvre. L’outil à deux fonctions : aider les élèves à structurer leur pensée grâce à l’écriture et leur faire vivre une expérience métacognitive au cours de laquelle ils pourront s’observer évoluer en tant qu’apprenants. C’est aussi un moyen d’évaluation efficace puisqu’il rend compte de l’implication des étudiants tout au long de la séquence ainsi que de la progression de chacun.

Le premier texte que les élèves auront à lire, avant même d’entamer Le chemin des passes-dangereuses, est l’introduction-manifeste que Bouchard place au début de son œuvre. Celle-ci attire l’attention des élèves sur les principaux enjeux de la pièce, notamment la prise de parole qui est au cœur de l’action dramatique. Elle est éclairante pour la compréhension des idées que Bouchard développe dans la pièce. Il est aussi important, avant la lecture de l’œuvre, de présenter les caractéristiques de la tragédie classique puisque l’auteur donne l’appellation générique « tragédie routière » à son œuvre. Il s’agit de questionner les étudiants sur cette appellation pour guider leur première lecture sans trop la restreindre par la théorie. On pourra utiliser le premier acte d’Antigone d’Anouilh pour illustrer la fatalité inhérente à la tragédie.

Après la première lecture de l’œuvre, on pourra amorcer une analyse de la stéréotypie chez les trois protagonistes. On cherchera par cette activité à montrer aux étudiants que l’auteur met en scène trois êtres soudés par les liens familiaux, mais isolés par leur univers culturel différent. Une activité de création amenant les étudiants à imaginer et à raconter une journée dans la vie d’un des personnages avant l’accident peut être très efficace pour saisir pleinement l’éloignement qui sépare les personnages.

La seconde lecture devrait se faire dans l’optique d’analyser la dynamique relationnelle qui se développe entre les trois frères dans l’œuvre. Il faudra observer avec les étudiants les attitudes et les comportements des personnages par rapport à la prise de parole. Sont-ils réticents ? Enthousiastes ? Il faudrait aussi faire jouer des passages de la pièce de théâtre par les étudiants afin qu’ils saisissent pleinement les jeux de langage créés par Bouchard dans son œuvre. Les passages où les frères se parlent sans se répondre et sans s’écouter semblent les plus importants à faire jouer. Cette activité montrera aux étudiants les différences d’attitudes entre les protagonistes quant à la prise de parole. Elle permettra également d’illustrer le lent apprivoisement qu’ils effectuent, entre eux, d’abord, et par rapport à leur père assassiné, ensuite. Alors qu’Ambroise souhaite tout dire, mais y parvient difficilement, Victor est à l’aise avec la parole et Carl préfère le silence.

L’activité suivante est une table ronde où l’on tentera, avec les étudiants, de faire ressortir le stéréotype du poète et les préjugés sur la poésie qu’on retrouve dans la culture québécoise. On est en droit de croire que la plupart des étudiants du collégial ne lisent pas de poésie et ont forgé leur opinion à partir de ce stéréotype. On pourra appuyer la discussion par quelques extraits de la nuit de la poésie, en particulier ceux où Claude Gauvreau récite ses poèmes en langage exploréen. Cela pourra mettre en lumière certains des éléments qui participent aux préjugés sur la poésie et les poètes coupés du monde réel. Ce qu’on tente de dégager par cette activité est le malaise qu’on peut avoir par rapport à cette forme de langage qui échappe aux règles de la rationalité. On pourra mettre en place un réseau de textes avec, entre autres, Race de monde de Victor-Lévy Beaulieu ou Une saison dans la vie d’Emmanuelle de Marie-Claire Blais. On analysera ensuite le meurtre du père dans la pièce de Bouchard. Il se dégagera notamment de l’analyse que le personnage est un poète stéréotypé qui prend cette parole dérangeante et qui rend ses fils malheureux.

On effectue ensuite un travail en équipe où les étudiants doivent noter systématiquement les éléments qui créent un effet d’irréalité dans l’œuvre. Il s’agira, pour les étudiants, de voir ce qui participe à cette impression que nous laisse la pièce de se dérouler dans une autre réalité. On peut penser au sentiment qu’ont les protagonistes de toujours marcher sans jamais bouger. On notera aussi le fait qu’ils ne parviennent jamais à s’entendre sur l’heure qu’il est. Finalement, on pourra amener les étudiants à considérer le fait que les personnages sont morts depuis le début de la pièce de théâtre.

L’étape suivante de cette séquence didactique est la présentation, par l’enseignant, des principales caractéristiques du théâtre postmoderne au Québec. L’œuvre de Bouchard participe à ce mouvement. Pensons à la dislocation culturelle ou à l’égarement des personnages dans un monde qui les dépasse et auquel ils ont de la difficulté à s’identifier. Je crois important de présenter cela à la fin de la séquence pour éviter les erreurs de surinterprétation qui pourrait advenir si l’on présentait ce segment au début.

La séquence didactique se termine par la présentation d’exposés oraux au cours desquels les étudiants exposeront, au reste du groupe, le contenu de leur journal de bord. Ces présentations permettront de faire une mise en commun des différentes formes de compréhension de l’œuvre.