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La cantatrice chauve

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
La cantatrice chauve
IONESCO, Eugène
Par Louis-Philippe Carrier


Nationalité de l'auteur : Autres
Genre : Théâtre
Courant : Autres
Siècle : 20e siècle
Groupe d'âge visé : Collégial
Auteur de la séquence : Louis-Philippe Carrier
Date du dépôt : Hiver 2004


POURQUOI FAIRE LIRE LA CANTATRICE CHAUVE AU CÉGEP ?

Parmi les nombreuses raisons possibles, nous en retiendrons trois :

1) Cette pièce est très drôle, donc plaisante à lire et à analyser. Nous pensons que là où il y a plaisir, les apprentissages sont plus durables.

2) Elle pose un problème de lecture de taille. L’absence d’histoire, au sens traditionnel du terme, et l’absurdité des situations et des dialogues déroutent le lecteur et l’obligent à réviser ses modes d’appréciation des textes littéraires. Le déséquilibre adaptatif ainsi causé, s’il est bien encadré par l’enseignant, sera des plus profitables pour l’élève.

3) Elle nourrit une réflexion sur le langage et le danger de l’enlisement dans la routine et la banalité. Cette réflexion nous semble très intéressante pour la formation personnelle de nos élèves qui sont encore devant tous les possibles et en pleine construction de leur identité. Si cette lecture peut les aider à prendre un certain recul par rapport à leur vie et à la société dans laquelle ils s’inscrivent, si elle peut les inciter à résister aux comportements automatiques et à remettre en question une utilisation approximative du langage, nous aurons le sentiment du devoir pédagogique accompli!

COMMENT ORIENTER LES ÉLÈVES ?

Afin d’orienter les élèves dans leur lecture, nous leur proposons trois défis de complexité croissante :

1) Percevoir la parodie dans le texte de Ionesco

2) Interpréter la critique sociale à travers la déconstruction du langage

3) Créer une scène absurde à la manière de Ionesco.

L’étude de la parodie des manuels d’anglais, entre autres, contribuera à réduire l’impression d’étrangeté que procure la pièce à cause de certaines formulations ou situations absurdes inspirées de ces textes très scolaires misant davantage sur la forme que sur le fond. L’étude de la parodie dans La cantatrice chauve est une piste intéressante à explorer pour l’apprivoisement du texte, mais elle ne suffit pas à satisfaire le besoin de sens des lecteurs. Pour mieux comprendre la pièce, il est nécessaire d’interpréter la critique sociale se manifestant par ce que Ionesco a appelé la « tragédie du langage ». Cette piste d’analyse permet de percevoir la signification profonde de la pièce non pas par ce qui est dit sur scène, mais par la façon dont les choses sont dites. Enfin, la création d’un pastiche permettra aux élèves de s’approprier les différentes notions vues en classe et d’expérimenter de nouveaux modes d’expression. Nous croyons qu’en donnant la chance aux élèves de s’exprimer sur des sujets qui les préoccupent et d’adopter un regard critique sur leur société, nous contribuons à faire d’eux de meilleurs citoyens, plus libres et plus engagés.

COMMENT TRAVAILLER CONCRÈTEMENT CE TEXTE DÉROUTANT AVEC EUX ?

La séquence didactique que nous proposons tient en dix ou onze cours. Elle est divisée en deux phases principales : l’appropriation et la création. La première comprend les activités de préparation à la lecture, d’apprivoisement et d’interprétation du texte. La seconde comprend les différentes étapes menant de la planification de l’écriture à la représentation des scènes créées à la manière de Ionesco.

Cours 1 (préparation à la lecture)

Au cours de cette période, les élèves se constitueront un horizon d’attente par l’observation du paratexte. Cette exploration sera structurée par les questions de l’enseignant. Ces questions porteront sur :

-les convergences et les divergences entre les différentes illustrations ayant servi à imager cette pièce dans plusieurs éditions ;
-l’ « aura » de chacun des deux termes mis en opposition dans le titre et l’effet ainsi créé ;
-le sens que peut prendre l’expression « anti-pièce » que Ionesco propose comme indication générique ;
-les stéréotypes associés aux Anglais sur lesquels l’auteur semble insister dans la didascalie initiale1 ;
-la structure des premières répliques.

Tout au long de cette exploration, le professeur invitera les apprenants à formuler des hypothèses quant à la forme que pourra prendre la pièce en s’inspirant des indices du paratexte. Il présentera également quelques compléments d’information pour aider les élèves à se constituer un horizon d’attente réaliste. Après les avoir mis en appétit, l'enseignant invitera ses élèves à commencer la lecture de la pièce.

Cours 2 (autour de l’œuvre)

Cette période sera consacrée au contexte d’émergence de la pièce et à sa genèse. L’enseignant distribuera un questionnaire sur la biographie de Ionesco, le contexte sociohistorique et la réception de la pièce. Les élèves tenteront d’y répondre et leurs réponses seront validées par un bref exposé magistral participatif.

Ensuite, le professeur distribuera des extraits de L’anglais sans peine2, le manuel d’apprentissage de l’anglais qui a largement inspiré Ionesco pendant l’écriture de La cantatrice chauve. La forme de ces leçons sera comparée à celle des répliques des Smith au cours de la première scène. Les observations des élèves trouveront un écho dans l’extrait de Notes et contre-notes3 dans lequel Ionesco explique la genèse de sa pièce.

Cours 3 (impressions de lecture)

Au début du cours, les élèves devront remettre une page d’impressions de lecture à l’enseignant. Celui-ci les invitera à remplir une grille leur permettant de mettre en relief, pour chaque scène, la longueur, les personnages impliqués, les principaux mouvements dramatiques, le rythme et la tonalité. L’élaboration de cette grille servira à activer leurs connaissances sur la pièce et à leur fournir un outil d’analyse et de repérage efficace. Ensuite, le professeur animera une plénière sur les impressions de lecture. La mise en commun des impressions de lecture permettra à chaque élève de réaliser qu’il n’est pas seul à avoir été dérouté par le texte. Dans le même ordre d’idée, l’enseignant leur présentera une vidéo dans laquelle des artisans du théâtre québécois discutent de leur rapport à l’œuvre de Ionesco et de leurs premiers contact avec ce genre de théâtre4. Cette vidéo permettra aux élèves de réaliser que même les professionnels du théâtre ont eu un premier contact difficile avec cette œuvre, ce qui est susceptible de les rassurer un peu.

Cours 4 (parodie et comique)

Au début de cette période, les élèves auront à comparer les fables de la scène VIII à des fables de La Fontaine pour en dégager les éléments convergents et divergents à la base de la parodie. En équipes, ils devront ensuite, à partir de ce qui les ont le plus fait rire dans la pièce, formuler une théorie sur le comique et expliquer les principes qui en sont à la base. Après, chaque équipe recevra un extrait différent de l’essai sur le rire d’Henri Bergson5. Ils devront comprendre le principe énoncé par le théoricien, trouver des exemples de La cantatrice chauve pour l’illustrer et préparer une présentation destinée au reste de la classe. Cet exercice permettra aux élèves de bien se familiariser avec les procédés comiques afin de pouvoir les réutiliser lors de l’activité de création.

Cours 5 (tragédie du langage)

Afin de mettre en relief la particularité du traitement de l’absurde dans la pièce de Ionesco, l’enseignant proposera deux extraits de textes absurdes à comparer avec la scène XI de La cantatrice chauve : le début de L’étranger de Camus et la fin de l’acte 1 de En attendant Godot, de Samuel Beckett. De la comparaison de ces textes émergera l’idée suivante : Dans les textes de Camus et de Beckett, le langage est utilisé pour exprimer l’absurdité de l’existence humaine alors que dans celui de Ionesco, le langage n’exprime rien, mais il illustre l’absurdité du comportement des hommes. Ensuite, les élèves auront à observer les didascalies, ce qui mettra en lumière le malaise associé à l’incommunicabilité se traduisant notamment par les nombreux silences et la monté fulgurante de l’agressivité. Ces observations seront suivis d’un exercice sur la logique. L’enseignant présentera trois principes élémentaires de logique6 aux élèves après quoi ils devront trouver les plus de contre-exemples possible en prenant bien soin d’indiquer, chaque fois, quel principe est bafoué.

Cours 6 (métaphysique et présentation du projet d'écriture)

Afin de bien faire comprendre que l’absurde au théâtre n’est pas synonyme de « vide de sens », le professeur présentera l’excellente entrevue avec Ionesco réalisée en 1976 par la Société Radio-Canada. Dans cette entrevue, l’auteur de La cantatrice chauve exprime très clairement la portée métaphysique de son théâtre.

Après avoir conclu l’analyse de la pièce, le temps sera venu de laisser la plume aux élèves. Nous leur ferons d’abord faire un remue-méninges sur ce qui leur paraît absurde dans la vie qui les entoure. Des éléments soulevés, ils en choisiront un autour duquel ils feront un réseau7 afin de tirer profit des associations libres d’idées autour de leur thème central. Nous leur présenterons ensuite une fiche de planification qu’ils devront remplir en précisant : l’ancrage dans le réel (c’est-à-dire l’élément, à l’état brut, qu’ils ont perçu dans la vraie vie et qui leur sert de point de départ) et ses caractéristiques, l’agent grossissant (c’est-à-dire la transformation qu’ils font subir au réel pour en accentuer l’absurdité) et ses caractéristiques, les principaux procédés formels à utiliser (au moins trois), les principales phases de la progression (début, milieu, fin), ainsi qu’une explication sommaire du projet avec justification de leurs choix. Pour leur permettre de s’approprier cet outil, nous leur présenterons une ou deux vidéos réalisées par les Chick n’ Swell8 et leur demanderons de remplir les fiches en fonction de ce qu’ils auront vu.

Cours 7 (rédaction individuelle)

Lors de cette période, les élèves travaillent individuellement sur leur texte.

Cours 8 (mise en commun et travail d’équipe)

Au cours de cette période, les élèves se regroupent en équipes de quatre et partagent leurs créations. En équipe, ils choisissent le texte qui leur semble le plus prometteur et le peaufinent.

Cours 9 (création d’équipe et préparation des présentations)

Ce cours est le dernier avant les présentations. Les élèves emploient ce temps pour terminer l’écriture de leur scène et préparer les présentations.

Cours 10 (présentations)

Ce cours est le dernier de la séquence. Il est consacré aux présentations des élèves. Après les présentations, les étudiants devront rédiger un commentaire sur la prestation d’une autre équipe en considérant la cohérence du fond et de la forme.

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1 Un extrait d’Astérix chez les Bretons pourrait être présenté pour préciser les stéréotypes associés aux Anglais.
2 Voir surtout les leçons 25, 48, 69, 83, 87, 88, 90 et 94 dans Albert Cherel, L’anglais sans peine, Bruxelles, 1977 (1952), Assimil (Méthode quotidienne Assimil), 532 p.
3 Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, Paris, 1962, Gallimard (Pratique du théâtre), p.155-160.
4 Jocelyn Barnabé, Ionesco, Radio-Canada (Scènes de la vie culturelle), 1996, 33 min.
5 Henri Bergson, Le rire, Paris, 2002 (1924), Presses Universitaires de France, 157 p.
6 Le principe d’identité, le principe de contradiction et le principe du tiers exclu.
7 L’idée est proposée par Gabriele Lusser Rico dans son livre Writing the Natural Way, Los Angeles, Houghton Mifflin Company, Tarcher, 1983, 232 p.
8 Ce trio d'humoristes québécois a réalisé plusieurs courts-métrages exploitant l'absurde. Il est possible de se procurer deux DVD contenant ces courts-métrages.


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