CHOIX DE L’OEUVRE

Cette séquence didactique a été conçue à partir du roman Quatre Soldats d’Hubert Mingarelli. Ce roman présente l’avantage d’être très accessible à des élèves de troisième secondaire, autant sur le plan de la langue que des thèmes. Le roman raconte, dans une langue simple et d’un ton naïf, l’évolution de l’amitié entre quatre soldats russes durant la guerre de 1919 contre la Pologne. Les élèves ayant déjà, pour la plupart, été mis en contact avec de nombreuses productions culturelles en lien avec la guerre (cinéma, littérature, actualité), il est d’autant plus facile de les intéresser à la lecture en partant de leurs références. Enfin, la grande qualité du texte a été reconnue par l’institution littéraire en 2003, avec l’obtention du prix Médicis.

PROBLÈME DE LECTURE

Les activités de cette séquence gravitent autour d’un problème de lecture propre au roman à l’étude que nous formulons par la question suivante : Dans Quatre soldats, d’Hubert Mingarelli, les personnages parviennent à se détacher du monde en guerre en créant des liens d’amitié. Comment est-ce possible? Chacune des activités de la séquence permettra aux élèves d’apporter à cette question quelques éléments de réponse et d’enrichir leur lecture du roman.

AVANT LA LECTURE

Activité 1 : Mise en contexte

Objectifs :

Présenter le roman à l’étude aux élèves, situer le contexte historique du roman et de l’histoire, montrer aux élèves la reconnaissance institutionnelle de l’œuvre et de l’auteur.

Activités :

1. Présentation de l’œuvre, de l’auteur, et du prix littéraire et de sa signification par l’enseignant.
2. Recherche en équipe concernant les guerres de frontière entre les pays européens et la Russie à l’issue de la Première Guerre mondiale.

Justification :

Ici, les recherches ne servent pas à illustrer précisément le texte ni à informer les élèves sur le texte. Elles servent essentiellement à « interpeler les élèves, à susciter leur motivation[1] ». L’ajout d’information sur le texte par la recherche et l’intervention de l’enseignant prépare la lecture. Connaitre la double signification des prix littéraires – reconnaissance sociale et argument commercial – aide l’élève à développer son sens critique dans sa relation au livre.

Activité 2 : Anticipation

Objectifs :

Faire en sorte que les élèves comprennent l’importance des choix faits par l’auteur dans l’écriture de son roman. Montrer l’impact de ces choix sur la suite de l’histoire.

Activité :

1. Lecture aux élèves du début du roman (les pages 7 à 10) par l’enseignant, jusqu’au mot salaud. Les élèves, avec peu d’indices, seront portés à croire qu’on lit une histoire de guerre.
2. Écriture d’un texte anticipant la suite du premier chapitre.
3. Lecture du reste du premier chapitre.
4. Questionnaire pour confronter leur anticipation avec l’histoire du roman :

Lisez les deux extraits suivants :

« Alors, comme un seul homme, Pavel et moi avons couru vers le fossé […] » p. 10

« […] nous sommes entrés tous les quatre dedans [la cabane] et j’ai pensé : voilà, j’ai fini d’être seul dans le monde, et j’avais raison » p. 16.

1.   Est-ce que l’issue du chapitre 1 ressemble à ce que vous aviez imaginé, ou est-elle différente? Pourquoi?

2.   En vous appuyant sur ces extraits ou sur d’autres passages du premier chapitre, dites quel sera selon vous le thème principal du roman. Appuyez votre hypothèse sur des indices tirés du texte.

Justification :

Il s’agit donc d’une activité d’interprétation dans laquelle ils doivent « comprendre, donner un sens à des signes[2] » et ainsi retenir une lecture plutôt qu’une autre. Les élèves arriveront à la conclusion que ce premier chapitre annonce l’histoire d’une amitié plutôt qu’une histoire de guerre.

PENDANT LA LECTURE

Activité 3 : Cahier de lecture réflexive

Objectif :

Résoudre les problèmes de lecture mineurs rencontrés par les élèves au cours de la lecture. Faire en sorte que les élèves prennent l’habitude de faire une lecture parfois plus réflexive, tout en laissant une place à l’émotion.

Activité :

Dans un cahier qui les suivra durant toute la séquence, les élèves notent leurs réactions personnelles. Ils répondent aussi à des questions précises de compréhension :

Après la lecture du chapitre 3

1.   Quelle information apporte le chapitre 2 pour mieux comprendre le déroulement de l’histoire? [Problème à résoudre : Le saut temporel du chapitre 2 : l’hiver passe.]

2.   Qui est le narrateur de ce récit? Est-il présent ou absent? [Problème à résoudre : Bénia est un narrateur présent, mais il demeure très effacé et inactif dans tout le récit (hormis au premier chapitre)]

Après la lecture du chapitre 25

3.   Un évènement important survient au chapitre 20. Lequel? Pourquoi est-il important? Croyez-vous que l’histoire prendra une nouvelle direction? [Problème à résoudre : L’arrivée d’un cinquième soldat, Evdokim, influence l’avancement de l’histoire.]

Après la lecture du chapitre 40

4.   Décrivez chaque soldat en une courte phrase. Qu’est-ce qui différentie le plus Pavel et Kyabine? [Problème à résoudre : Les soldats ont des caractères distincts qui ont des effets sur le groupe d’amis.]

Justification :

Utiliser ce cahier est une manière pour l’enseignant d’instaurer une lecture guidée[3] avec ses élèves tout en leur laissant une liberté et une autonomie suffisantes. La lecture de l’élève n’est pas interrompue, sa participation psychoaffective trouve un lieu d’expression et de partage, et son attention est portée momentanément sur des points d’analyse précis.

Activité 4 : Débat interprétatif sur les symboles de l’amitié

Objectifs :

Montrer aux élèves que certains objets, dans les textes littéraires, ont une valeur symbolique. Faire en sorte qu’ils reconnaissent les objets symboliques, parfois caractéristiques de la culture russe, qui maintiennent l’équilibre instauré dans le cercle d’amitié des soldats.

Activité :

Les élèves participent à un débat interprétatif sur la valeur symbolique de certains lieux et de certains objets partagés par les soldats et leur apport au cercle d’amitié. Pour préparer le débat, ils répondent aux questions suivantes :

1.   Qu’est-ce que les quatre soldats vivent?

[Réponse attendue : Les soldats partagent des moments entre eux : ils vont à l’étang, à la gare abandonnée, ils jouent aux dés, bref, ils vivent une relation d’amitié.]

2.   Pourquoi ne sommes-nous pas étonnés de la formation d’un cercle d’amitié qui grandit avec l’avancement de l’histoire?

[Réponse attendue : Nous ne sommes pas étonnés parce que tous les évènements concernent directement les soldats. Ils partagent des moments et des objets en se maintenant à l’écart de l’armée et des autres soldats.]

3.   Quels sont les lieux et les objets partagés par les quatre soldats? Nommez au moins trois lieux et trois objets. Quelle est selon vous l’utilité de ces lieux et de ces objets?

[Réponse attendue : L’étang, la gare et la cabane sont les lieux qu’ils partagent. La montre, les dés et le thé sont trois objets qu’ils partagent. Les lieux et la montre sont des secrets. Seuls ceux qui les partagent font partie du cercle d’amitié. Le thé est le symbole du rassemblement. Tous ces éléments participent au maintien de l’amitié.]

Justification :

Cette activité permet à l’enseignant de mesurer l’interprétation que font les élèves des liens d’amitié tissés entre les personnages et leur capacité d’identifier la valeur symbolique de certains objets, « d’appréhender les discours symboliques[4] ». Si les élèves ne remarquent pas d’entrée de jeu la valeur symbolique du thé, ce qui est probable, l’enseignant pourra y remédier en expliquant la signification sociale du thé en Russie[5] et en expliquant la valeur du thé dans le texte en ciblant des passages. Les élèves voient « que la littérature véhicule l’héritage culturel de différents peuples[6] ».

Activité 5 : Les caractéristiques des personnages

Objectif :

Amener les élèves à comprendre l’apport du caractère des personnages dans l’équilibre de la relation d’amitié (Kyabine, Pavel, Evdokim). Amener les élèves à constater que des textes peuvent être mis en relation avec d’autres afin de mieux les comprendre.

Activités :

5.1 Pavel et Kyabine

Les élèves comparent les personnages de Pavel et Kyabine à George et Lennie dans un extrait du roman Des Souris et des Hommes, de John Steinbeck, dans lequel les personnages sont décrits et prennent brièvement la parole dans un dialogue[7]. Une question guide leur réflexion : Après la lecture de l’extrait du roman de Steinbeck et des chapitres 37 et 40 du roman de Mingarelli, dites quels personnages ont des traits communs. Trouver aussi une ressemblance majeure et une différence entre la relation d’amitié de George et Lennie et celle de Pavel et de Kyabine.

Justification :

Les élèves devraient identifier le couple intelligence/simplicité d’esprit comme une ressemblance entre ces couples de personnages, et comprendre que cette différence entre les personnages de Quatre Soldats influence le type de relation d’amitié.

5.2 Evdokim

L’enseignant revient sur deux passages du texte. Il demande aux élèves de les relire (page 82 : les soldats refusent d’accueillir Evdokim, page 109 : Evdokim ne dérange pas les quatre soldats). Les élèves doivent répondre aux deux questions suivantes :

1. Pourquoi les soldats (par l’intervention de Pavel) ne veulent-ils pas accueillir le jeune Evdokim?
2. À la lecture des deux derniers passages, on voit bien que les quatre soldats changent d’opinion à l’égard du jeune Evdokim. Qu’est-ce qui explique cette évolution?

Justification :

Par cette activité, les élèves comprennent le refus des soldats de prendre en charge Evdokim comme un refus de prendre une responsabilité en raison de son jeune âge (p. 82), voient l’importance de la première conversation avec Evdokim, concernant ces expériences de vie, pour son acceptation dans le groupe (p. 86-88), et dégagent le statut particulier qu’apporte à Evdokim sa connaissance de l’écriture (p. 90-92).

Activité 6 : Écriture et amitié

Objectifs :

Faire en sorte que les élèves soient en mesure de tisser des liens entre deux thématiques. Plus précisément, aider les élèves à voir comment l’écriture permet aux personnages de se valoriser, tout en renforçant les liens d’amitié.

Activité :

Après la lecture du chapitre 40, les élèves étudient en groupe un des quatre problèmes suivants et mettent les réponses en commun dans un tableau récapitulatif :

1. Qu’est-ce qu’apporte à Evdokim la capacité d’écrire?
2. Pourquoi les quatre soldats demandent-ils à Evdokim d’écrire?
3. Pourquoi Evdokim devient-il si précieux pour les quatre soldats?
4. Qu’est-ce qu’apporte le fait qu’Evdokim décrive les péripéties des soldats?

Justification :

Le travail sur le thème de l’écriture prépare les élèves à bien comprendre le dénouement du roman et la réflexion sur la pérennité de l’amitié dont il est question dans le récit.

APRÈS LA LECTURE

Activité 7 : Réaction

Objectif :

Faire réagir les élèves au texte, en donnant des espaces distincts à l’émotivité et à la rationalité.

Activité :

Les élèves écrivent deux textes dans leur journal de lecture :

1. Texte subjectif. Réaction personnelle à partir des indices suivants:

« Que des pauvres lettres alignées il avait su écrire, le gosse Evdokim, alors je me suis mis à furieusement penser à ce qu’ils allaient devenir, l’étang et les chevaux morts, l’habileté de Sifra et tous ceux qui meurent et qui sont nos frères » p. 202.

a) Quel est l’effet sur vous, lecteur, de savoir qu’Evdokim ne sait pas vraiment écrire? Croyez-vous que l’histoire de l’amitié des quatre soldats est perdue? Croyez-vous que l’amitié est perdue?

b) En ayant en tête le début et la fin du roman (chapitres 1 et 50), dites les raisons qui selon vous ont poussé Bénia à raconter cette histoire.

2.  Texte objectif. Rédaction d’un texte explicatif en réponse à la question suivante :

Dans Quatre soldats, d’Hubert Mingarelli, les personnages parviennent à se détacher du monde en guerre en créant des liens d’amitié. Comment est-ce possible?

Justification :

Dans le texte explicatif, la réponse à question posée est l’aboutissement logique de tout le travail de cette séquence. Laisser un espace à la réaction affective de l’élève permet d’articuler jusqu’en fin de séquence les deux pôles de la lecture littéraire : lecture psychoaffective et mise à distance critique.

[1] Jean-Louis Dufays, Stéréotype et lecture, Liège, Mardaga, 1994, p. 315.

[2] Marlène Lebrun, Posture critique et geste anthologique : faire vivre la littérature à l’école, Fernelmont (Belgique), Intercommunications et E.M.E, 2005, p. 64.

[3] Michel Thérien, « Définition du littéraire et oeuvres à proposer aux jeunes », dans Monique Noël-Gaudreault et al., Québec, Nuit blanche, 1997,  p. 27.

[4] Marlène Lebrun, Posture critique et geste anthologique, op. cit., p. 64.

[5] http://www.admirable-tea-boutique.com/ceremonie_the_chanoyu_gong_fu_cha_the_marocain_menthe_samovar.htm

[6] Ministère de l’éducation, Programme de formation de l’école Québécoise, enseignement secondaire premier cycle, Québec, Gouvernement du Québec, 2006, p. 87.

[7] John Steinbeck, Des souris et des hommes, Paris, Gallimard (coll. Folio plus), 1955, p. 28-31.