Cette séquence didactique sur Paroles de
Jacques Prévert a été conçue pour le deuxième cours de français de la formation
générale au collégial québécois : Littérature et imaginaire. Écrits
entre 1930 et 1944, au moment de la montée du nazisme et des événements
tragiques de la Seconde Guerre mondiale, les poèmes et les textes en prose de
Prévert renvoient à plusieurs représentations d’un monde en péril par la médiation
littéraire. L’ensemble du recueil répond ainsi à la compétence générale du
cours, soit « expliquer les représentations du monde contenues dans les textes
littéraires de genres variés et de différentes époques ».
Situations-problèmes et objectifs d'apprentissage
La lecture d’un recueil de poèmes pose plusieurs
difficultés à des néophytes en raison de la discontinuité propre à cette forme
littéraire. Malgré la simplicité de certains poèmes dans Paroles, la
lecture de cette œuvre ne semble pas plus aisée compte tenu de la disparité des
textes en ce qui concerne la longueur variable, l’alternance entre prose et poésie
et la structure définie ou non. À ces éléments déstabilisants du recueil
s'ajoute la forme même du poème, qui brise le rythme d’une lecture linéaire par
l’interruption du vers et le dévoilement partiel du sens. Cette séquence
didactique est donc construite de manière à guider les élèves dans leur lecture
du recueil. Toutefois, le problème générique ne sera pas résolu sans un
approfondissement et un regroupement des thèmes dans Paroles. À
la première difficulté d’ordre formel, un second obstacle peut alors se présenter
au lecteur : la représentation du monde dans la poésie de Prévert est parfois
brutale, voire choquante pour la morale de certains. En effet, l’auteur ne ménage
pas ses mots pour dénoncer la guerre, la religion et toutes les formes d’oppression.
Les deux problèmes de lecture cernés visent
principalement un objectif d’apprentissage : apprécier la poésie en tant qu’expérience
de la condition humaine. Bien entendu, cet objectif suppose
d’autres apprentissages qui ont pour but d’améliorer la compétence de lecture
des élèves. Par exemple, pour apprécier réellement l’œuvre, l’élève devra connaître
le contexte socio-historique qui influence la représentation du monde dans la
poésie de Prévert. Il devra aussi reconnaître les grands thèmes et établir des
liens entre les textes pour avoir une vue d’ensemble du recueil. Ce but ne
pourra être atteint que si l’élève parvient à différencier les diverses formes
d’écriture dans Paroles : texte narratif, poème, texte «
vignette », jeux poétiques, etc.
Avant
la lecture
Activité 1 – Qu’est-ce que la poésie représente
pour moi ?
Pour situer la conception de la poésie chez ses élèves,
l’enseignant donnera à lire en classe six à huit poèmes écrits à différentes époques.
Je suggère de prendre quelques poèmes représentatifs d’une forme poétique ou d’un
mouvement littéraire.
Les élèves liront d’abord individuellement chaque texte et choisiront celui qui
représente le plus le genre poétique selon eux en écrivant les raisons qui
motivent leur choix. Regroupés en équipes de quatre, ils discuteront ensuite
des textes en expliquant chacun leur tour pourquoi ils ont choisi un poème plutôt
qu’un autre. Idéalement, l’équipe devrait établir un consensus à la fin de la
discussion selon les arguments apportés par chaque membre. Une discussion en
grand groupe viendra compléter cette activité qui vise avant tout la prise de
conscience chez l’élève de ses connaissances antérieures. La conception
initiale de la poésie chez l’élève, qui est peut-être formée de stéréotypes et
d’un jugement négatif, sera ainsi confrontée à celle des autres dans le conflit
cognitif. À la fin de l’activité, l’enseignant doit insister sur le fait qu’il
n’y a pas une seule réponse sur ce qu’est la poésie et que le
lecteur doit être réceptif au poème avant d’en expliquer le sens.
Activité 2 – Le surréalisme
L’enseignant présentera le mouvement surréaliste
en comparant la représentation du monde chez les peintres (Magritte, Dali,
etc.) à celle des écrivains réunis autour d’André Breton à l’aide d’images et
de courts extraits. Pendant ce court exposé magistral, l’enseignant sollicitera
la participation des élèves en leur demandant, par exemple, de trouver des
similitudes entre les œuvres picturales et les textes. Pour compléter la présentation,
l’enseignant proposera un atelier d’écriture sur le cadavre exquis. Ce jeu d’écriture,
inventé par le groupe de Breton, représente bien l’esprit collectif et la part
de hasard dans la poésie surréaliste. En plus de faciliter la compréhension de
l’esthétique surréaliste, le cadavre exquis implique concrètement les élèves
dans leur apprentissage et constitue un élément déclencheur pour les intéresser
à la poésie. En conclusion, l’enseignant pourra montrer le dessin collectif de
1928 intitulé « Cadavre exquis »
et donner la définition du jeu dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme.
Activité 3 – Prévert et l’art pictural
Cette dernière activité préparatoire à la lecture
fait correspondre une fois de plus l’art pictural à la poésie. L’enseignant présentera
les collages de Prévert
qui sont créés par une juxtaposition d’éléments hétéroclites comme dans les œuvres
surréalistes. Pour amener les élèves à faire un lien entre l’image composite du
collage et la poésie de Prévert, l’enseignant leur lira le poème « La promenade
de Picasso », tiré de Paroles. Les élèves travailleront ensuite en
équipes de quatre à partir des pistes de lecture suivantes :
- Quelles
expressions rattachées à la pomme la rendent « humaine » (personnification) ?
- Quelles
associations d’idées découlent du mot « pomme » ?
- Pourquoi le
projet du « peintre de la réalité » est impossible ?
- Qu’est-ce qui
différencie Picasso du « peintre de la réalité » ?
- Que signifie
le vers « les terrifiants pépins de la réalité »?
- Quels liens
pouvez-vous faire avec le projet littéraire des surréalistes?
Pour connaître les réponses des élèves, l’enseignant
fera le tour des équipes lors de la discussion en grand groupe. Par les échanges
autour de ce poème, les élèves pourront saisir davantage la construction d’une
autre réalité par la poésie. Celle-ci sera rattachée à l’esthétique surréaliste,
mais aussi à l’univers de Picasso qui sera présenté par le tableau Nature
morte à la pomme (1937).
Pendant
la lecture
les textes qui seront vus à chaque cours
devront avoir été lus préalablement
Activité 4 – Le contexte de publication de
Paroles
Pour entrer véritablement dans Paroles, l’enseignant
retracera le contexte de publication de cette œuvre qui rassemble des textes écrits
entre 1930 et 1944. Au moment où il publie Paroles, Prévert est
reconnu par le public pour ses chansons et ses scénarios de films. La place qu’il
occupe dans le champ culturel explique donc en grande partie la structure de
son premier livre. En effet, celui-ci se présente comme un « collage » de
divers textes prosaïques et poétiques. L’apport du narratif dans Paroles peut
ainsi être attribué aux autres formes d’art que Prévert travaillait parallèlement
à l’écriture poétique. Après cette présentation du contexte de publication, les
élèves seront invités à se prononcer sur les difficultés et les plaisirs qu’ils
ont éprouvés à la lecture. L’enseignant leur demandera s’ils ont préféré les
textes narratifs (« La pêche à la baleine », « Souvenirs de famille » et «Événements»)
ou les textes « vignettes »
(« La belle saison », «Alicante », « Le jardin », « L’automne » et « Paris at
night »). Pour approfondir les textes narratifs, les élèves travailleront en équipe
de deux sur des éléments textuels propres au récit : personnages, narrateur,
temps du récit, descriptions, etc. Ils devront aussi trouver des passages dans
lesquels Prévert s’inspire du surréalisme pour établir des liens avec la théorie
vue précédemment. Finalement, des photos de Robert Doisneau
accompagneront les textes « vignettes » qui sont, en quelque sorte, des
photographies en mots d’un moment pris sur le vif. Les élèves remarqueront
ainsi la différence dans la représentation du réel entre les deux types de
textes vus pendant l’activité.
Activité 5 – La morale du lecteur et la
distance critique sur le thème de la violence
Pour cette activité sur la formation du sujet
lecteur, les élèves écouteront les poèmes « La grasse matinée » et « L’orgue de
barbarie» récités par Serge Reggiani.
L’enseignant leur demandera de porter attention à l’interprétation de l’acteur
puisqu’ils devront eux-mêmes lire un poème à voix haute lors de la table ronde
(activité 8). Après l’écoute, l’enseignant posera la question suivante aux élèves:
« Est-ce que ces poèmes vous choquent ? Expliquez pourquoi.» Les élèves, qui
discuteront de cette question en équipes de quatre, tenteront d’abord de cerner
ce qui heurte leur morale dans ces poèmes. Par la suite, l’enseignant leur
fournira des pistes de lecture pour qu’ils relèvent les procédés d’écriture qui
orientent le jugement moral du lecteur dans la description de la violence. Ce
second regard posé sur le texte viendra peut-être modifier ou confirmer les
premières réactions de l’élève. Pour compléter l’activité, deux autres poèmes
seront lus et commentés à voix haute pour montrer la différence entre une
violence destructrice (« L’ordre nouveau ») et une violence propre à la vie («
La batteuse »). Ce modelage fait par l’enseignant aidera les élèves à préparer
leur lecture et leur analyse d’un poème pour la table ronde.
Activité 6 – Une poésie engagée : contre la
guerre, la religion, l’autorité
Pour avoir une vision d’ensemble du recueil, les élèves
devront faire des liens thématiques et stylistiques entre différents poèmes lus
avant le cours. Les réponses
données par les élèves lors du retour en grand groupe pourront être complétées
par des précisions sur le contexte socio-historique (la Seconde Guerre
mondiale) et sur la position de Prévert par rapport à la guerre, à la religion
et à l’autorité. Ces thèmes, liés aux procédés stylistiques qui soutiennent la
rhétorique du poète, seront abordés par la notion d’engagement social en poésie.
Les élèves devront finalement écrire un court texte dans lequel ils
expliqueront comment les thèmes traités dans Paroles les
rejoignent ou non et en quoi ils sont encore d’actualité. Cet exercice a pour
but de faire réfléchir les élèves sur la pertinence de l’œuvre dans leur
formation culturelle et historique.
Activité 7 – Une poésie engagée (suite) :
pour l’amour, la liberté, la beauté, la solidarité, etc.
L’engagement social de la parole poétique contre
la guerre, la religion et les différentes formes d’autorité sera complété par
le parti pris pour l’amour, la liberté, la beauté, la solidarité, l’enfance et
le jeu chez Prévert.
L’enseignant lira quelques poèmes à voix haute pour faire entendre la beauté poétique
de certains vers. À mon sens, l’enseignement de la poésie ne peut se réduire à
la lecture silencieuse, car la dimension orale est partie intégrante du texte
poétique. De par sa grande liberté, la poésie est aussi un jeu.
Ce thème dans Paroles sera récupéré en atelier d’écriture à
partir de la consigne suivante : «En vous inspirant de la construction d’un poème
cité en exemple (voir la note 11), écrivez à votre tour un poème qui respecte
le style ludique de Prévert. Décrivez ensuite l’effet créé dans les deux textes
et comparer votre pastiche au poème de départ. » Cette activité, qui complète l’engagement
de la parole en poésie, implique concrètement les élèves dans l’expérimentation
créative du langage. Le commentaire justificatif qui accompagne la création a
pour but de vérifier leur compréhension du poème original et de réécrire leur
texte au besoin. L’activité peut se conclure par une exposition des pastiches
sur les murs de la classe ou par une lecture à voix haute sur une base
volontaire.
Après
la lecture
Activité 8 – Table ronde (évaluation
sommative)
Selon le nombre d’élèves inscrits au cours, l’activité
d’évaluation sommative sous forme de table ronde peut être répartie sur deux périodes
(division du groupe). En équipe de deux, les élèves choisiront un poème qui n’aura
pas été abordé en classe.
À la maison, ils devront préparer un court exposé oral pour la table ronde.
Leur présentation inclura une lecture à voix haute et une explication du poème.
L’enseignant doit insister sur l’importance de bien préparer sa lecture puisque
celle-ci témoigne aussi d’une compréhension de la structure et du sens du poème.
Pour la seconde partie de l’exposé oral (explication du poème), l’enseignant
guidera ses élèves en attirant leur attention sur des éléments à considérer
lors de l’analyse : thèmes, énonciation, forme (prose, vers, etc.), procédés d’écriture,
références externes, personnages, vocabulaire, etc. À la fin de leur
explication, les étudiants devront rattacher le poème retenu à un autre poème
de Paroles en établissant un lien thématique ou stylistique. Cette
dernière consigne a pour but de rassembler les poèmes en une lecture cohérente
du recueil. En établissant des liens entre des textes épars, les élèves seront
plus familiers avec l’univers poétique de Prévert et ils développeront leur compétence
de lecteur avec la structure composite du recueil. Il serait bien aussi de
demander à chaque élève d’intervenir au moins une fois, par une question ou un
commentaire, pour que l’activité soit dynamique.
Bibliographie
Œuvre à l’étude :
PRÉVERT,
Jacques, Paroles, Paris, Gallimard (folio plus), 1997 [1949], 315
p.
Ouvrages et articles consultés :
Dossier «
Prévert en liberté », Magazine littéraire, no
355, juin 1997, p. 16-62.
DOISNEAU,
Robert, Rue Jacques Prévert, Paris, éditions Hoëbeke, 1992, 123
p.
BRETON, André
et Paul ELUARD, Dictionnaire abrégé du surréalisme, Paris, José
Corti, 1991 [1938], 75 p.
PRÉVERT,
Jacques, Imaginaires, Genève, Albert Skira éditeur, 1970,
109 p.
ROY, Bruno, Imaginer
pour écrire : ateliers d’écriture et enseignement de la poésie,
Montréal, éditions Nouvelle optique, 1984, 211 p.
TAUVERON, Anne-Marie, « Le commentaire justificatif après
l’écriture d’invention ou travailler la prise de distance avec son texte », Pratiques, no
127, 2005, p. 113-132.
Cette œuvre réalisée
par André Breton, Max Morise, Pierre Naville, Benjamin Péret, Jacques Prévert,
Jeannette Tanguy et Yves Tanguy est exposée au MOMA à New York :