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Paroles

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
Paroles
PRÉVERT, Jacques
Par Myriam Lamoureux


Nationalité de l'auteur : Française
Genre : Poésie
Courant : Surréalisme
Siècle : 20e siècle
Groupe d'âge visé : Collégial
Auteur de la séquence : Myriam Lamoureux
Date du dépôt : Automne 2007


Justification de la pertinence de l’oeuvre choisie 

 

Cette séquence didactique sur Paroles de Jacques Prévert a été conçue pour le deuxième cours de français de la formation générale au collégial québécois : Littérature et imaginaire[1]. Écrits entre 1930 et 1944, au moment de la montée du nazisme et des événements tragiques de la Seconde Guerre mondiale, les poèmes et les textes en prose de Prévert renvoient à plusieurs représentations d’un monde en péril par la médiation littéraire. L’ensemble du recueil répond ainsi à la compétence générale du cours, soit « expliquer les représentations du monde contenues dans les textes littéraires de genres variés et de différentes époques ».

 

Situations-problèmes et objectifs d'apprentissage 

 

La lecture d’un recueil de poèmes pose plusieurs difficultés à des néophytes en raison de la discontinuité propre à cette forme littéraire. Malgré la simplicité de certains poèmes dans Paroles, la lecture de cette œuvre ne semble pas plus aisée compte tenu de la disparité des textes en ce qui concerne la longueur variable, l’alternance entre prose et poésie et la structure définie ou non. À ces éléments déstabilisants du recueil s'ajoute la forme même du poème, qui brise le rythme d’une lecture linéaire par l’interruption du vers et le dévoilement partiel du sens. Cette séquence didactique est donc construite de manière à guider les élèves dans leur lecture du recueil. Toutefois, le problème générique ne sera pas résolu sans un approfondissement et un regroupement des thèmes dans Paroles. À la première difficulté d’ordre formel, un second obstacle peut alors se présenter au lecteur : la représentation du monde dans la poésie de Prévert est parfois brutale, voire choquante pour la morale de certains. En effet, l’auteur ne ménage pas ses mots pour dénoncer la guerre, la religion et toutes les formes d’oppression.

 

Les deux problèmes de lecture cernés visent principalement un objectif d’apprentissage : apprécier la poésie en tant qu’expérience de la condition humaine. Bien entendu, cet objectif suppose d’autres apprentissages qui ont pour but d’améliorer la compétence de lecture des élèves. Par exemple, pour apprécier réellement l’œuvre, l’élève devra connaître le contexte socio-historique qui influence la représentation du monde dans la poésie de Prévert. Il devra aussi reconnaître les grands thèmes et établir des liens entre les textes pour avoir une vue d’ensemble du recueil. Ce but ne pourra être atteint que si l’élève parvient à différencier les diverses formes d’écriture dans Paroles : texte narratif, poème, texte « vignette », jeux poétiques, etc.

 


Avant la lecture 

 

Activité 1 – Qu’est-ce que la poésie représente pour moi ?

 

Pour situer la conception de la poésie chez ses élèves, l’enseignant donnera à lire en classe six à huit poèmes écrits à différentes époques. Je suggère de prendre quelques poèmes représentatifs d’une forme poétique ou d’un mouvement littéraire[2]. Les élèves liront d’abord individuellement chaque texte et choisiront celui qui représente le plus le genre poétique selon eux en écrivant les raisons qui motivent leur choix. Regroupés en équipes de quatre, ils discuteront ensuite des textes en expliquant chacun leur tour pourquoi ils ont choisi un poème plutôt qu’un autre. Idéalement, l’équipe devrait établir un consensus à la fin de la discussion selon les arguments apportés par chaque membre. Une discussion en grand groupe viendra compléter cette activité qui vise avant tout la prise de conscience chez l’élève de ses connaissances antérieures. La conception initiale de la poésie chez l’élève, qui est peut-être formée de stéréotypes et d’un jugement négatif, sera ainsi confrontée à celle des autres dans le conflit cognitif. À la fin de l’activité, l’enseignant doit insister sur le fait qu’il n’y a pas une seule réponse sur ce qu’est la poésie et que le lecteur doit être réceptif au poème avant d’en expliquer le sens.

 

Activité 2 – Le surréalisme

 

L’enseignant présentera le mouvement surréaliste en comparant la représentation du monde chez les peintres (Magritte, Dali, etc.) à celle des écrivains réunis autour d’André Breton à l’aide d’images et de courts extraits. Pendant ce court exposé magistral, l’enseignant sollicitera la participation des élèves en leur demandant, par exemple, de trouver des similitudes entre les œuvres picturales et les textes. Pour compléter la présentation, l’enseignant proposera un atelier d’écriture sur le cadavre exquis. Ce jeu d’écriture, inventé par le groupe de Breton, représente bien l’esprit collectif et la part de hasard dans la poésie surréaliste. En plus de faciliter la compréhension de l’esthétique surréaliste, le cadavre exquis implique concrètement les élèves dans leur apprentissage et constitue un élément déclencheur pour les intéresser à la poésie. En conclusion, l’enseignant pourra montrer le dessin collectif de 1928 intitulé « Cadavre exquis[3] » et donner la définition du jeu dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme[4].

 

Activité 3 – Prévert et l’art pictural

 

Cette dernière activité préparatoire à la lecture fait correspondre une fois de plus l’art pictural à la poésie. L’enseignant présentera les collages de Prévert[5] qui sont créés par une juxtaposition d’éléments hétéroclites comme dans les œuvres surréalistes. Pour amener les élèves à faire un lien entre l’image composite du collage et la poésie de Prévert, l’enseignant leur lira le poème « La promenade de Picasso », tiré de Paroles. Les élèves travailleront ensuite en équipes de quatre à partir des pistes de lecture suivantes :

 

  • Quelles expressions rattachées à la pomme la rendent « humaine » (personnification) ?
  • Quelles associations d’idées découlent du mot « pomme » ?
  • Pourquoi le projet du « peintre de la réalité » est impossible ?
  • Qu’est-ce qui différencie Picasso du « peintre de la réalité » ?
  • Que signifie le vers « les terrifiants pépins de la réalité »?
  • Quels liens pouvez-vous faire avec le projet littéraire des surréalistes?

 

Pour connaître les réponses des élèves, l’enseignant fera le tour des équipes lors de la discussion en grand groupe. Par les échanges autour de ce poème, les élèves pourront saisir davantage la construction d’une autre réalité par la poésie. Celle-ci sera rattachée à l’esthétique surréaliste, mais aussi à l’univers de Picasso qui sera présenté par le tableau Nature morte à la pomme (1937).

 

Pendant la lecture 

 

les textes qui seront vus à chaque cours devront avoir été lus préalablement 

 

Activité 4 – Le contexte de publication de Paroles 

 

Pour entrer véritablement dans Paroles, l’enseignant retracera le contexte de publication de cette œuvre qui rassemble des textes écrits entre 1930 et 1944. Au moment où il publie Paroles, Prévert est reconnu par le public pour ses chansons et ses scénarios de films. La place qu’il occupe dans le champ culturel explique donc en grande partie la structure de son premier livre. En effet, celui-ci se présente comme un « collage » de divers textes prosaïques et poétiques. L’apport du narratif dans Paroles peut ainsi être attribué aux autres formes d’art que Prévert travaillait parallèlement à l’écriture poétique. Après cette présentation du contexte de publication, les élèves seront invités à se prononcer sur les difficultés et les plaisirs qu’ils ont éprouvés à la lecture. L’enseignant leur demandera s’ils ont préféré les textes narratifs (« La pêche à la baleine », « Souvenirs de famille » et «Événements») ou les textes « vignettes[6] » (« La belle saison », «Alicante », « Le jardin », « L’automne » et « Paris at night »). Pour approfondir les textes narratifs, les élèves travailleront en équipe de deux sur des éléments textuels propres au récit : personnages, narrateur, temps du récit, descriptions, etc. Ils devront aussi trouver des passages dans lesquels Prévert s’inspire du surréalisme pour établir des liens avec la théorie vue précédemment. Finalement, des photos de Robert Doisneau[7] accompagneront les textes « vignettes » qui sont, en quelque sorte, des photographies en mots d’un moment pris sur le vif. Les élèves remarqueront ainsi la différence dans la représentation du réel entre les deux types de textes vus pendant l’activité.

 

Activité 5 – La morale du lecteur et la distance critique sur le thème de la violence

 

Pour cette activité sur la formation du sujet lecteur, les élèves écouteront les poèmes « La grasse matinée » et « L’orgue de barbarie» récités par Serge Reggiani[8]. L’enseignant leur demandera de porter attention à l’interprétation de l’acteur puisqu’ils devront eux-mêmes lire un poème à voix haute lors de la table ronde (activité 8). Après l’écoute, l’enseignant posera la question suivante aux élèves: « Est-ce que ces poèmes vous choquent ? Expliquez pourquoi.» Les élèves, qui discuteront de cette question en équipes de quatre, tenteront d’abord de cerner ce qui heurte leur morale dans ces poèmes. Par la suite, l’enseignant leur fournira des pistes de lecture pour qu’ils relèvent les procédés d’écriture qui orientent le jugement moral du lecteur dans la description de la violence. Ce second regard posé sur le texte viendra peut-être modifier ou confirmer les premières réactions de l’élève. Pour compléter l’activité, deux autres poèmes seront lus et commentés à voix haute pour montrer la différence entre une violence destructrice (« L’ordre nouveau ») et une violence propre à la vie (« La batteuse »). Ce modelage fait par l’enseignant aidera les élèves à préparer leur lecture et leur analyse d’un poème pour la table ronde.

 

Activité 6 – Une poésie engagée : contre la guerre, la religion, l’autorité

 

Pour avoir une vision d’ensemble du recueil, les élèves devront faire des liens thématiques et stylistiques entre différents poèmes lus avant le cours[9]. Les réponses données par les élèves lors du retour en grand groupe pourront être complétées par des précisions sur le contexte socio-historique (la Seconde Guerre mondiale) et sur la position de Prévert par rapport à la guerre, à la religion et à l’autorité. Ces thèmes, liés aux procédés stylistiques qui soutiennent la rhétorique du poète, seront abordés par la notion d’engagement social en poésie. Les élèves devront finalement écrire un court texte dans lequel ils expliqueront comment les thèmes traités dans Paroles les rejoignent ou non et en quoi ils sont encore d’actualité. Cet exercice a pour but de faire réfléchir les élèves sur la pertinence de l’œuvre dans leur formation culturelle et historique.

 

Activité 7 – Une poésie engagée (suite) : pour l’amour, la liberté, la beauté, la solidarité, etc.

 

L’engagement social de la parole poétique contre la guerre, la religion et les différentes formes d’autorité sera complété par le parti pris pour l’amour, la liberté, la beauté, la solidarité, l’enfance et le jeu chez Prévert[10]. L’enseignant lira quelques poèmes à voix haute pour faire entendre la beauté poétique de certains vers. À mon sens, l’enseignement de la poésie ne peut se réduire à la lecture silencieuse, car la dimension orale est partie intégrante du texte poétique. De par sa grande liberté, la poésie est aussi un jeu[11]. Ce thème dans Paroles sera récupéré en atelier d’écriture à partir de la consigne suivante : «En vous inspirant de la construction d’un poème cité en exemple (voir la note 11), écrivez à votre tour un poème qui respecte le style ludique de Prévert. Décrivez ensuite l’effet créé dans les deux textes et comparer votre pastiche au poème de départ. » Cette activité, qui complète l’engagement de la parole en poésie, implique concrètement les élèves dans l’expérimentation créative du langage. Le commentaire justificatif qui accompagne la création a pour but de vérifier leur compréhension du poème original et de réécrire leur texte au besoin. L’activité peut se conclure par une exposition des pastiches sur les murs de la classe ou par une lecture à voix haute sur une base volontaire.

 

Après la lecture 

 

Activité 8 – Table ronde (évaluation sommative)

 

Selon le nombre d’élèves inscrits au cours, l’activité d’évaluation sommative sous forme de table ronde peut être répartie sur deux périodes (division du groupe). En équipe de deux, les élèves choisiront un poème qui n’aura pas été abordé en classe[12]. À la maison, ils devront préparer un court exposé oral pour la table ronde. Leur présentation inclura une lecture à voix haute et une explication du poème. L’enseignant doit insister sur l’importance de bien préparer sa lecture puisque celle-ci témoigne aussi d’une compréhension de la structure et du sens du poème. Pour la seconde partie de l’exposé oral (explication du poème), l’enseignant guidera ses élèves en attirant leur attention sur des éléments à considérer lors de l’analyse : thèmes, énonciation, forme (prose, vers, etc.), procédés d’écriture, références externes, personnages, vocabulaire, etc. À la fin de leur explication, les étudiants devront rattacher le poème retenu à un autre poème de Paroles en établissant un lien thématique ou stylistique. Cette dernière consigne a pour but de rassembler les poèmes en une lecture cohérente du recueil. En établissant des liens entre des textes épars, les élèves seront plus familiers avec l’univers poétique de Prévert et ils développeront leur compétence de lecteur avec la structure composite du recueil. Il serait bien aussi de demander à chaque élève d’intervenir au moins une fois, par une question ou un commentaire, pour que l’activité soit dynamique.

 

 

Bibliographie 

 

Œuvre à l’étude :

 

PRÉVERT, Jacques, Paroles, Paris, Gallimard (folio plus), 1997 [1949], 315 p.

 

Ouvrages et articles consultés :

 

Dossier « Prévert en liberté », Magazine littéraire, no 355, juin 1997, p. 16-62.

 

DOISNEAU, Robert, Rue Jacques Prévert, Paris, éditions Hoëbeke, 1992, 123 p.

 

BRETON, André et Paul ELUARD, Dictionnaire abrégé du surréalisme, Paris, José Corti, 1991 [1938], 75 p.

 

PRÉVERT, Jacques, Imaginaires, Genève, Albert Skira éditeur, 1970, 109 p.

 

ROY, Bruno, Imaginer pour écrire : ateliers d’écriture et enseignement de la poésie, Montréal, éditions Nouvelle optique, 1984, 211 p.

 

TAUVERON, Anne-Marie, « Le commentaire justificatif après l’écriture d’invention ou travailler la prise de distance avec son texte », Pratiques, no 127, 2005, p. 113-132.



[1] Ce cours obligatoire dans la formation des élèves québécois s’adresse à la fois à des jeunes en formation technique et à ceux qui se destinent à des études universitaires.

[2] Par exemple, l’enseignant pourrait faire lire un poème d’amour de Ronsard, un sonnet de Nelligan, un poème épique de Victor Hugo, un poème plus hermétique de Mallarmé, un poème en prose de Baudelaire et un calligramme d’Apollinaire.

[3] Cette œuvre réalisée par André Breton, Max Morise, Pierre Naville, Benjamin Péret, Jacques Prévert, Jeannette Tanguy et Yves Tanguy est exposée au MOMA à New York :

www.moma.org/collection (site consulté le 15 décembre 2007).

[4] André Breton et Paul Eluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme, Paris, José Corti, 1991 [1938], 75 p.

[5] Des collages sont reproduits dans Jacques Prévert, Imaginaires, Genève, Albert Skira éditeur, 1970, 109 p.

[6] J’ai choisi l’expression « texte vignette » pour désigner les courts poèmes de Prévert qui ne sont pas des haïkus, mais qui saisissent habilement l’instant présent et fuyant.

[7] Robert Doisneau, Rue Jacques Prévert, Paris, éditions Hoëbeke, 1992, 123 p. Voir entre autres aux pages 95 à 98 pour une séquence d’images sur le poème « Le jardin ».

[8] Collection Jacques Prévert, volume no 7, textes lus par Serge Reggiani et chantés par Sarah Boreo, Disques Jacques Canetti, 1993.

[9] « Chanson dans le sang », « La lessive », « Le cancre », « La crosse en l’air », « Écritures saintes », « La cène », « La rue de Buci maintenant », « Familiale », « L’effort humain » et « L’épopée ».

[10] Les élèves devront avoir lu les poèmes suivants avant le cours : « Sables mouvants », « Le paysage changeur », « L’école des beaux-arts », « Immense et rouge », « Pour faire le portrait d’un oiseau », « Chanson des escargots qui vont à l’enterrement » et « Quartier libre ».

[11] Par exemple, les poèmes « Premier jour », « Le message », « Le bouquet », « L’amiral », « Cortège » et « Déjeuner du matin » possèdent tous une structure ludique qui crée un effet chez le lecteur.

[12] Voici une liste de poèmes suffisamment longs et complexes pour être analysés en table ronde : « Histoire du cheval », « L’accent grave», « Pater Noster », « Rue de Seine », « Fleurs et couronnes », « Cet amour », « Page d’écriture », « Le désespoir est assis sur un banc », « Chanson du geôlier », « Fête foraine », « Barbara », « Le contrôleur » et « Le combat avec l’ange ».


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