Justification de la pertinence
de l’oeuvre choisie
Cette séquence didactique porte
sur L'ainé des orphelins
de Tierno Monénembo. Elle est destinée aux
étudiants du système collégial québécois et s'inscrit bien dans le cours de la
formation générale « Littérature et imaginaire » (601-102-04). Elle s'échelonne
sur environ cinq semaines de cours. L'ainé des orphelins porte sur le génocide rwandais ayant eu lieu en 1994.
Il s'agit donc d'une représentation du monde qui ne peut pas laisser les
étudiants indifférents. Elle offre aussi la possibilité de les mettre en
contact avec la littérature africaine probablement peu connue d’eux. Cette
œuvre s'inscrit dans l'opération « Écrire par devoir de mémoire », conçue par
l'association Arts et Médias d'Afrique et considérée comme un évènement
littéraire pour l'Afrique francophone en 2000. De plus, Tierno Monénembo est
considéré comme ayant réussi sur le plan esthétique à dire l'indicible,
une des principales qualités du roman.
Situations-problèmes
- La
structure narrative éclatée et déroutante en raison des nombreuses analepses et
ellipses.
- L'ambigüité
du ton du narrateur-enfant à travers le thème de l'enfance en contexte de
guerre civile.
Objectifs d'apprentissage
-
Comprendre les notions de temporalité narrative, de narrateur
et de focalisation.
-
Faire des liens entre le fond et la forme dans une œuvre
littéraire.
-
Comprendre et approfondir la thématique de l'enfance à travers
le ton du narrateur-enfant.
Avant la lecture
Activité 1 – Recherche sur
l'histoire du Rwanda
Les trois premières activités de
la séquence visent à replacer dans son contexte historique l'œuvre au
programme, car connaitre les évènements du génocide rwandais et leurs causes
est essentiel pour comprendre le roman. Les étudiants effectuent d'abord une
recherche préalable à la maison afin d'acquérir des connaissances sur
l'histoire du Rwanda et de faire ressortir les discours contradictoires sur les
massacres de 1994, ce qui leur fera adopter un regard critique sur les
productions cinématographiques et littéraires portant sur le génocide rwandais.
Durant le cours, les étudiants partagent les résultats de leur recherche en
petits groupes et font part des informations recueillies à l'ensemble de la
classe à partir desquelles un document synthèse sur l'histoire du Rwanda sera
entamé. L'enseignant(e) fait ensuite une brève présentation de l'auteur et du
projet d'écriture dans lequel le roman s'inscrit. Cela ouvrira la porte à
l'explication de la polémique autour de la représentation d'un génocide dans la
littérature.
Activité 2 – Visionnage de Chronique
d'un génocide annoncé
La première partie du
documentaire Chronique d'un génocide annoncé, d'une durée de 63 minutes, est présentée
aux élèves. Ce documentaire fait un bon survol des évènements. Durant le
visionnage, les étudiants auront à remplir un questionnaire qui viendra
compléter leurs notes sur l'histoire du Rwanda et servira à les garder
concentrés. Le but premier de cette projection n'est pas de les divertir, mais
de leur donner des outils pour mieux comprendre l'univers romanesque dans
lequel ils se plongeront. Les questions à compléter iront en ce sens : Quelles
sont les deux ethnies qui s'opposent? Quels sont les deux partis politiques ou
regroupements militaires qui les représentent? Décrivez-les brièvement.
Qu'est-ce qui a déclenché les massacres? Quel évènement impliquant la
communauté internationale est à l'origine de cet élément déclencheur? Quelle
est l'implication sous-entendue de la France dans les évènements? Etc.
Activité 3 – Discussion
éthique
Cette troisième activité vise à
réinvestir l'engagement émotif et cognitif des étudiants provoqué par le
documentaire afin de mettre en place une discussion éthique sur leur point de
vue des évènements et leur reprise dans la fiction. Ils mettront donc à profit
leur esprit critique. La discussion est orchestrée par l'enseignant(e) autour
des questions suivantes (auxquelles s'ajoute la sous-question essentielle «
Pourquoi? ») : Est-ce qu'une œuvre sur le génocide rwandais est plus valable
lorsqu'elle a été écrite par un Africain? Devrions-nous ne pas écrire des
œuvres de fiction sur les génocides? Est-il plus moral de ne pas en parler pour
ne pas risquer de dénaturer les véritables évènements? Considérant que le genre du roman est basé sur la
fiction dans une visée de divertissement, est-il approprié de l'utiliser pour
parler du génocide? D'après ce
que vous connaissez désormais de l'histoire du Rwanda, croyez-vous que les
Hutus avaient raison d'en vouloir aux Tutsis? Dans quelle mesure les Occidentaux
ont-ils joué un rôle dans ces conflits ethniques? Comment considérez-vous le comportement de la
communauté internationale durant le génocide? Etc.
Ces questions rejoignent la
polémique de la littérature entre le devoir de mémoire et l'interdit de l'indicible,
les discours divergents sur le génocide rwandais ainsi que les reproches faits
à la communauté internationale.
Pendant la lecture
Activité 4 – Temporalité
narrative
Cette quatrième activité a pour
objectif de faire comprendre les principales notions de temporalité narrative
aux étudiants, afin qu'ils puissent les appliquer à l'œuvre à l'étude durant
leur lecture.L'enseignant(e) fait un exposé sur le temps de la narration, le
temps de l'histoire et le temps du récit, l'organisation temporelle, ainsi que
les types d'anachronies. Ces notions seront ensuite illustrées par un extrait
du roman, soit les onze premières pages qui permettront aux étudiants
d'associer en équipe chacune des nouvelles notions au texte. À partir de ce
même extrait, les étudiants commencent en classe à tracer deux lignes du temps,
une du temps de l'histoire et une du temps du récit, exercice qui devra être
réalisé tout au long de leur lecture afin de clarifier l'organisation déroutante
des évènements. L'étude de cet extrait donnera l'occasion à l'enseignant(e) de
mentionner également la particularité de l'utilisation du narrateur-enfant et
de demander aux étudiants de soulever durant leur lecture les passages où le
personnage principal et narrateur du roman adopte le ton d'un enfant, se
comporte comme tel et vice-versa.
Activité 5 – La francophonie
et la Francophonie
Cette activité a pour but de
présenter brièvement aux étudiants la francophonie,
c'est-à-dire l'ensemble des locuteurs francophones, et la Francophonie, soit l'ensemble
des pays francophones d'un point de vue politique. En questionnant les
étudiants sur le sujet, l'enseignant(e) active leurs connaissances antérieures
et se sert de leurs interventions pour procéder à un exposé informel. Après un
historique de la langue française en Europe, l'enseignant(e) aborde le
métissage de la langue, ce qui permettra de se rapporter au roman où l'auteur
emploie des mots en kinyarwanda. Ensuite, l'enseignant(e) présente la
Francophonie grâce à des
supports visuels cartographiques. Cette présentation leur fera réaliser qu'ils
font eux aussi partie de la francophonie, que cela est une part de leur culture
et les relie à d'autres peuples partout dans le monde.
Après la lecture
Activité 6 – Sujet lecteur
L'objectif de cette activité est
de travailler leur position de sujet lecteur. La littérature ne doit pas être
considérée par les élèves exclusivement comme une intellectualisation de
théories formelles, mais « […] comme un lieu d'expérience intime, de
reconfiguration personnelle et de socialisation des expériences de lecture et
d'écriture dans une sorte de communauté interprétative.
» Pour ce faire, l'enseignant(e) supervise une période d'échange libre sur leurs
impressions de lecture, sous forme de tables rondes. La discussion se fait
autour des questions suivantes : Avez-vous aimé le roman? Qu'avez-vous trouvé
de particulier dans ce roman? Qu'est-ce qui vous a touché, choqué, dérouté…?
Est-ce que Faustin mérite la peine de mort? Est-il justifié qu'il soit jugé à
la cour comme un adulte? Aviez-vous deviné que les parents de Faustin étaient
morts? Etc.
Chacune des questions implique la
sous-question « Pourquoi? ». La justification de leurs réponses permet de voir
leur niveau de compréhension et d'enclencher l'intellectualisation du texte.
L'enseignant(e) commente ensuite les interventions des étudiants de manière à y
rattacher les problèmes de lecture à résoudre et à relier une lecture
analytique à leur lecture naïve, équilibre idéal de la lecture littéraire.
Activité 7 – Structure
narrative éclatée : forme porteuse de sens
Cette activité
a pour objectif de faire voir aux étudiants que la forme choisie par l'auteur
lors de l'écriture d'une œuvre est porteuse de sens. À la suite d'un retour sur
les lignes du temps et de leur correction par les pairs, les étudiants
répondent en duo à un questionnaire qui leur fera tirer des conclusions sur la
structure narrative et sa portée. Les questions iront en ce sens :
- En
comparant votre ligne du temps de l'histoire et votre ligne du temps du récit,
que remarquez-vous?
Réponse attendue
: Les événements de la diégèse sont racontés selon un ordre inversé
d'occurrence.
- Quel
évènement ayant traumatisé Faustin nous est caché tout au long du roman et dans
quel état a-t-on retrouvé le personnage principal à la suite de cet évènement?
Réponse attendue
: Le massacre de ses parents auquel il a survécu. On l'a retrouvé accroché à sa
mère comme un nouveau-né lui tétant les seins (deuxième naissance).
- Lorsque
Faustin dit à Funga et à Claudine que ses parents sont toujours vivants,
croyez-vous qu'il s'agisse véritablement d'un mensonge?
Réponse
attendue : Non, Faustin a effacé cet évènement traumatisant de sa mémoire. Il
croit donc dire la vérité.
- Quel
lien contradictoire peut-on faire entre l'opération « Écrire par devoir de
mémoire » dans lequel s'inscrit ce roman et le personnage principal ?
Réponse
attendue : Faustin est amnésique par instinct de survie depuis les massacres du
génocide.
- Pourquoi
l'histoire de Faustin nous est-elle racontée sous la forme de sauts dans le
temps?
Réponse
attendue : Parce qu'elle est racontée à l'image de la mémoire de Faustin qui
lui revient progressivement par bribes, il saute par-dessus les épisodes qu'il
ne s'avoue pas à lui-même, qu'il ne veut pas croire.
L'enseignant(e) corrige et
discute des réponses pour bien expliquer l'amnésie partielle de Faustin qui se
reflète dans l'ordre des évènements et qui se dissout tranquillement pour
révéler le nœud de l'intrigue à la fin du roman. Cette activité vise à rendre
les étudiants capables de relier le fond et la forme.
Activité 8 – Narrateur,
focalisation et réécriture
Pour compléter
l'étude de la narration, l'enseignant(e) explique les trois types de narrateurset
les trois types de focalisations. Les explications s'appuient sur un extrait de
L'ainé des orphelins (p. 37-38) où le
personnage principal devient le captif d'un enfant-soldat du Front patriotique
rwandais (FPR) auquel les étudiants doivent associer ces nouveaux éléments
théoriques. Les étudiants effectuent ensuite un atelier d'écriture.
Consigne : En adoptant le point de vue du
soldat du FPR, réécrivez la rencontre du soldat et de Faustin des pages 37 et
38 (« Puis vint un jour où mes pensées furent plus claires […] je me crus
autorisé à un peu de familiarité.»). Pour que votre réécriture soit plausible,
vous devez vous inspirer de ce que vous avez appris des deux personnages tout
au long de votre lecture. Votre texte devra contenir environ 400 mots et
adopter le type de narrateur et de focalisation du roman, soit le narrateur-sujet
(soldat) et la focalisation interne.
Les étudiants auront donc la
démonstration concrète que le choix de focalisation de la part de l'auteur peut
grandement modifier un texte. En plus d'évaluer de manière formative la
compréhension des notions enseignées, cet exercice introduit le thème de
l'enfance.
Activité 9 – Thème de
l'enfance et narrateur-enfant
Cette activité a pour objectif
d'étudier la représentation du thème de l'enfance dans l'œuvre et de voir
l'effet provoqué par l'utilisation d'un narrateur-enfant. Le groupe s'entend
d'abord sur la définition d'un enfant, puis l'enseignant(e) questionne les
étudiants sur leur perception de Faustin. Agit-il comme un enfant? Pense-t-il
comme tel? Pourquoi? Les étudiants devront appuyer leurs réponses sur des
passages du roman qu'il leur avait été demandé de repérer au cours de leur
lecture. L'enseignante analyse à voix haute en expliquant son raisonnement
analytique (modelage) un extrait où Faustin agit en adulte à la suite de la
perte de son innocence provoquée par le génocide et un autre
où il aimerait être encore un enfant sans le pouvoir. Après ces illustrations,
les étudiants s'exécutent en comparant deux passages narrés par un
narrateur-enfant, soit celui où Faustin raconte d'un ton neutre les atrocités
des massacres parmi les crânes pour un film de la BBC (p.105-109) et un passage
du Pavillon des miroirs
de Sergio Kokis où le personnage principal
décrit lui aussi d'un ton neutre l'extrême pauvreté des villageois brésiliens
(p. 262-267). Cet exercice permet aux étudiants de voir comment l'utilisation
d'un narrateur-enfant de la part de l'auteur rend beaucoup plus touchantes et
choquantes ces descriptions d'horreur sans détour. La comparaison avec l'œuvre
de Kokis les met aussi en contact avec l'intertextualité en leur faisant voir
comment des textes peuvent se faire écho.
Activité 10 – Dissertation
La dernière activité est une
dissertation explicative
qui vise à réinvestir l'ensemble des apprentissages faits au cours de la
séquence.
Consigne : Montrer dans une dissertation
explicative d'au moins 800 mots comment les choix narratifs de Tierno Monénembo
dans l'écriture de L'ainé des orphelins ont un grand impact sur le sens et la réception de l'œuvre.
Cette consigne de dissertation
offre plus d'une possibilité aux étudiants, ils peuvent traiter des deux
problèmes résolus durant l'étude de l'œuvre, soit de la narration faite par un
enfant ou bien de l'éclatement de la structure narrative.
Bibliographie
I. Oeuvres à l'étude
KOKIS, Sergio, Le pavillon des miroirs, Montréal, XYZ Éditeur, 1995, 371p.
LACOURSE, Danièle et Yvan PATRY [réalisateurs], Chronique d'un génocide annoncé (Série Rwanda). Partie 1, Production Alter-Ciné Inc., Montréal, 1996, 63 minutes.
MONÉNEMBO, Tierno, L'ainé des orphelins, Éditions du Seuil, 2000, 156p.
II. Études
a.
Monographie
PILOTE, Carole, Guide littéraire, Montréal, Beauchemin (Chenelière éducation), 2007,
144p.
b. Articles et partie de
monographie
BAYARD, P., Qui a tué Roger Acroyd?, cité dans Anne Rouxel, « Pratiques de lecture :
quelles voies pour favoriser l'expression du sujet lecteur ? », dans Le
français aujourd'hui, no157
(juin 2007), p. 65-73.
BAZIÉ, Isaac, « Au seuil du chaos : devoir de mémoire,
indicible et piège du devoir dire», dans Présence Francophone, no63 (2004), p.28-43.
BIBEAU, Gilles « À quoi sert une langue ? », dans Québec
français, no146 (été 2007),
p.60-61.
DELCROIX, Maurice et Fernand HALLYN [dir], « Chapitre XII :
Narratologie », dans Introduction aux études littéraires. Méthodes du texte, Duculot, Paris/Louvain-la-Neuve, 1990, p. 168-201.
FALARDEAU, Érick, « Quelle place pour les lecteurs dans nos
classes de littérature ? », dans Québec français, no135 (automne 2004), p.38-41.
LANGLADE, Gérard, « La lecture subjective », dans Québec
français, no145 (printemps
2007), p.71-73.
LANGLADE, Gérard, « Et le sujet lecteur dans tout ça ? »,
dans Enjeux, no51/52,
(juin/décembre 2001), p.53-62.
SEMUJANGA, Josias, « Les méandres du récit du génocide dans
l'Aîné des orphelins », dans Études littéraires, vol 35, no1 (hiver 2003), p.101-115.
TÊTU, Michel, Qu'est-ce que la Francophonie ?, Vanves, Hachette Édicef, 1997, 317p.
c.
Documents électroniques
Ministère de l'éducation, des loisirs et des sports, «
Description de la formation générale», [en ligne], http://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/Cahiers/DescFG.asp
[Site consulté le 16 décembre 2007].
Organisation internationale de la francophonie, [en ligne], www.francophonie.org
[consulté le 17 décembre 2007].
Chronique d'un génocide annoncé (Série Rwanda). Partie 1, réalisé par Danièle
Lacourse et Yvan Patry, Production Alter-Ciné Inc., Montréal, 1996, 63 minutes.