JUSTIFICATION DE LA PERTINENCE DE L’OEUVRE CHOISIE
Le buveur de Lune est un roman aux limites de la
biographie, du roman philosophique et du roman fantastique. On y rencontre
Pétur, qui décide d'entamer l'écriture de la vie de son père. On entre donc
dans le passé du fils pour découvrir la vie du paternel, mais aussi dans son
imaginaire : il a été mis au monde par une mère sismique et un père qui
boit du lait de lune, le ballon qui contenait l’âme de son père a été déclaré
possession nationale par un ambassadeur de France et à la suite de la victoire au
Scrabble du ministre de l’Économie, il se lance dans le surgelé de rat de mer.
À travers les péripéties et les récits métatextuels s’entrechoquent constamment
réel et imaginaire, et ce, par l’intermédiaire d’un langage poétique et de
thèmes profonds, dont l’approche de la mort, la solitude et la fuite du temps.
Tunström fait donc découvrir un univers parsemé de scintillements
magiques, mais aussi le monde artistique : on retrouve des références à
Boticelli, Wagner, René Char ainsi qu’à La jeune fille et la mort.
Finalement, Le buveur de Lune est une ouverture à l’imaginaire et à la
poésie, tout en ayant une touche d’humour et d’ironie.
SITUATIONS-PROBLEMES ET OBJECTIFS D’APPRENTISSAGE
Le roman de Tunström est pertinent dans une démarche de
résolution de problèmes littéraires dans la mesure où il présente des éléments
complexes dont l’interprétation peut être multiple, entre autres la place
qu’occupe l’imaginaire, l’entrecroisement des niveaux de récit et l’humour
particulier. Compte tenu de la relative subtilité de compréhension du roman et
de l’optique de coconstruction interprétative avec les élèves, cette séquence
didactique s’avère plus particulièrement pertinente pour des jeunes de la fin
du deuxième cycle du secondaire.
Cette séquence tente de résoudre les problèmes
suivants :
-
L’éclatement de la structure narrative par divers niveaux de
récit, ainsi que certaines analepses et prolepses.
-
L’interprétation des images créées par l’auteur et la
compréhension de la place de l’imaginaire au sein du roman.
-
Un humour qui repose sur des chaînes de causalité déroutantes et
exagérées.
Elle vise également
l’atteinte de ces objectifs d’apprentissage :
-
Maîtriser le métalangage lié au statut du narrateur et aux
niveaux narratifs dans le but de les appliquer au roman Le buveur de lune.
-
Délimiter les éléments réels des éléments imaginaires au sein
du récit de Pétur et en interpréter l’impact sur la compréhension du récit.
- Réaliser une chaîne de cause à effet à partir d’un extrait du
récit et en faire ressortir les éléments ironiques.
LA SEQUENCE
AVANT LA LECTURE
Activité 1 – Première application des concepts
Le but de cette activité est de présenter aux élèves les
concepts de narrateur homodiégétique et hétérodiégétique ainsi que les niveaux
de récit, soit extradiégétique, intradiégétique et métadiégétique (pour les
assises théoriques de ces concepts, consulter l’article Narratologie de
Christian Angelet et Jan Herman). Après avoir présenté les concepts aux élèves,
l’enseignant leur demande de les mettre en application avec un extrait des
Mille et Une Nuits (première à VIe nuit). Tout d’abord,
l’enseignant fait la première étape avec les élèves : un premier narrateur
hétérodiégétique raconte l’histoire de Schéhérazade, qui constitue le récit
premier, à un niveau extradiégétique. Les élèves, en équipes, retrouvent
ensuite les changements de narrateur et de niveau de récit à partir de la
première nuit en utilisant le métalangage approprié. En plénière, les réponses
sont mises en commun et justifiées.
Activité 2 – Modélisation
Cette activité vise à donner un exemple aux élèves de la
manière dont le roman devrait être lu pour en maximiser la compréhension.
L’enseignant lit la première partie du roman à voix haute devant les élèves en
expliquant les raisonnements qu’il effectue. Par exemple, il est important de
souligner un passage clé de la première partie, qui donne un aperçu du style de
l’auteur et introduit le récit :
Sur la lande, mes
personnages errent dans des contextes bien différents de ceux que semble exiger
un réalisme frustrant. Ici, ils surgissent aux limites du champ de vision, pour
disparaître à peine je fixe sur eux mon regard. Leurs caractères oscillent,
bref, je ne sais encore rien, car pour le moment la connaissance
m’effraie, celle qui se referme sur l’individu, et l’abandonne comme un livre
que l’on vient de terminer. (p. 12)
L’enseignant peut donner son interprétation du passage et
lancer quelques pistes par rapport à l’histoire qui commence, soit celle de
Pétur qui décide d’écrire le récit de son père, mais à travers un mélange entre
réalité et imaginaire.
PENDANT LA LECTURE
Activité 3 – Cercles de lecture
Le but de cette activité est de permettre à l’élève de
participer à un débat interprétatif portant sur une œuvre commune, de se
distancier de sa lecture en passant de la participation à la
formulation d’un jugement critique et de réagir à un texte littéraire en
justifiant ses impressions de lecture. Tout d’abord, le roman est divisé en
quatre parties afin que les élèves remplissent un carnet de bord à la fin de
chacune d’elles. Ils devront y inscrire leurs impressions ainsi qu’un
commentaire critique. L’enseignant peut diriger la réflexion en donnant des
pistes, dont l’analyse des personnages ou des lieux, la critique d’un extrait
en particulier, l’analyse des références intertextuelles ou l’explication des
réflexions suscitées par les thèmes. Il ne s’agit pas ici de restreindre les
productions des élèves, mais bien de leur donner un certain cadre afin d’éviter
qu’ils ne se limitent à une appréciation générale et en surface. Après la
lecture de chaque partie et l’écriture du commentaire critique, les élèves, en
équipes de cinq, mettent en commun leurs appréciations et leurs analyses afin
de constater les diverses interprétations possibles. En plénière, l’enseignant
fait un retour sur les éléments qui ont été soulevés afin de résumer
l’interprétation générale qui ressort de chacune des quatre divisions du roman,
tout en apportant certaines pistes de réflexion et en répondant aux questions
soulevées par les élèves.
APRÈS LA LECTURE
Activité 4 – Analyse de la structure
narrative
Le but de cette activité est de faire un transfert des
connaissances étudiées lors de la première activité tout en permettant aux
élèves d’utiliser des outils narratologiques afin de mieux comprendre et
interpréter l’œuvre à l’étude. Ils devront donc faire ressortir les divers
niveaux de récit et analyser le statut du narrateur en utilisant le langage
approprié. Le récit premier et le récit second devront être retracés (le récit premier
étant celui de Pétur en train d’écrire la vie de son père et le récit second,
celui de la vie du père), mais seulement deux métarécits devront être trouvés
(l’œuvre en contient plusieurs, dont ceux du baptême de Pétur (pp. 45-49),
de la naissance d’Halldór (pp. 57-62), de la rencontre entre l’oncle
Thorsteinn et sa femme (pp. 133-136) et de la conception de Pétur
(pp. 220-228)). Encore une fois, l’accent doit être porté sur les
justifications des élèves: selon l’interprétation qu’ils font, il est possible
que les narrateurs n’aient pas le même statut à l’intérieur des récits
métadiégétiques ou que ces derniers soient perçus différemment. Il est donc
plus intéressant de comparer les réponses des équipes que de tenter de formuler
une réponse unique. À partir des contributions des élèves, il est ensuite
possible de compiler les récits et de diriger en plénière une discussion sur
l’impact que ceux-ci peuvent avoir sur la lecture du roman et interpréter leur
fonction au sein de l’histoire.
Activité 5 – Travail sur un extrait
Cette activité vise à interpréter un extrait et à en faire
ressortir un second niveau de lecture avec les élèves. En équipes de trois ou
quatre élèves, ils confrontent leurs idées et tentent d’analyser le passage des
pages 34 et 35. Après avoir laissé quelques minutes aux élèves pour qu’ils
discutent de l’extrait, l’enseignant distribue un questionnaire (les
réponses attendues ou les pistes de réponse sont en italique):
1)
Pourquoi l’auteur met-il entre guillemets l’expression "être
sur la Lune ?" Pour montrer que c’est le terme utilisé pour désigner un
jeu imaginaire auquel Pétur et son père ont l’habitude de jouer.
2)
Quel procédé linguistique l’auteur utilise-t-il pour
accentuer l’effet de surprise de Pétur? La répétition de l’adverbe soudain.
3)
Quels indices nous indiquent que les deux personnages
sont réellement sur la Lune? Le père l’affirme, la présence d’astronautes en
combinaison blanche, l’expression de Pétur (et c’était vrai), la description
des créatures : le visage dissimulé derrière d’épais hublots de verre.
4)
Qu’est-ce qu’un "musée de voix" et comment expliquez-vous
que l’auteur utilise cette expression? C’est un magnétophone; parce qu’il
décrit l’univers de fiction à travers les yeux d’un enfant.
5)
Qu’est-ce qui fait comprendre au lecteur que les
personnages ne sont pas réellement sur la Lune? Lorsque le père explique la
situation : ce sont des Américains qui s’entraînent pour un voyage sur la
Lune.
6)
Quel effet la déclaration du père provoque-t-elle chez
le lecteur? On se rend compte qu'on était dans l’imaginaire de Pétur,
mais qu’il y avait une explication logique derrière la situation.
7)
Qu’est-ce que Pétur veut dire lorsqu’il affirme que la
vie n’est pas ce à quoi elle ressemble? Que parfois, nous interprétons la réalité
à notre façon, ce qui peut créer des situations comme celle qu’a vécue Pétur.
En plénière, l’enseignant fait un retour sur les réponses
des élèves et dirige la discussion vers le questionnement que pose l’extrait, à
savoir si l’unique nature des choses n’est matérialisée que dans le récit
qu’on en fait (p. 175), en faisant le lien avec la fin du roman.
Activité 6 – Analyse de l’humour par la
causalité
Le but de cette activité est de permettre aux élèves de
mieux comprendre l’humour utilisé par l’auteur et de se familiariser avec l’ironie.
Tout d’abord, l’enseignant fait avec les élèves un premier exemple à partir du
roman, en utilisant la relation entre Pétur et la fille de l’ambassadeur.
L’enseignant retrace la suite de causalité ayant mené à une relation entre
Pétur et Juliette. Après la construction de la chaîne de causalité, une
discussion est menée par l’enseignant afin de faire ressortir les éléments
ironiques et en quoi l’ironie devient un élément d’humour. Il est possible de
constater que les événements prennent des tournures inattendues et souvent
exagérées, par exemple lorsque Pétur perd son ballon et que cela entraîne un
conflit politique international. Après ce travail en plénière, les élèves
doivent retracer un événement qui suit cette même logique dans le roman.
Plusieurs passages peuvent être retenus : la question que pose Pétur à son
père concernant le raifort et le beurre fondu, qui mène au renversement du
gouvernement (pp. 22-26); le récit du baptême de Pétur, qui fit de lui le
plus grand problème théologique du monde (pp. 45-49); l’histoire de la
fécondation et de la naissance d’Halldór, le père de Pétur (pp. 57-62);
l’idée des vases Ming qui mène à l’exil de Pétur (pp. 110 à 124); le récit de
la rencontre entre l’oncle Thorsteinn et sa femme (pp. 133-136); le récit
de la conception de Pétur (pp. 220-228); l’origine du lait de lune (pp. 233-234).
BIBLIOGRAPHIE
- ANGELET, Christian et HERMAN, Jan, "Narratologie", dans DELACROIX Maurice et al., Introduction aux études littéraires : méthodes du texte, Gembloux, Duclot, 1990.
- Contes arabes, Les Mille et Une Nuits, Flammarion, Paris, 2004.
- FALARDEAU, Érick, "La place des lecteurs [dans les classes de littérature]", dans Québec français, no 135, automne 2004.
- LEBRUN, Marlène et COULET, Christine, "Favoriser un rapport critique
à la lecture-écriture littéraire en constituant la classe comme une
communauté active de lecteurs et d’auteurs", dans ENJEUX, nº 57, septembre 2003.
- TUNSTRÖM, Göran, Le buveur de lune, Actes du sud, Stockholm, 1997.