Justification de la pertinence de l’œuvre choisie
Cette séquence didactique s’articule autour de Madame Bovary[1], de Gustave Flaubert. Notre choix s’est arrêté en fonction de notre intérêt personnel mais, plus important encore, en fonction de la narration, des descriptions et du sujet, qui nous paraissent dignes d’intérêt. Par ailleurs, bien qu’elle soit volumineuse (près de 400 pages), le découpage en petits chapitres et le niveau de langue abordable rendent la lecture aisée, ce qui en facilite l’accompagnement. De plus, cette œuvre rassemble et oppose des caractéristiques romantiques, en la personne d’Emma Bovary, et des caractéristiques réalistes, notamment par la narration et par le traitement du thème. Enfin, le mode de parution originale de l’œuvre, le roman-feuilleton, permet d’aborder le champ littéraire de l’époque tout en questionnant le statut de la fiction puisque Madame Bovary a fait l’objet d’un procès pour « offenses à la morale publique et à la religion[2] ».
Situation-problème et objectif d’apprentissage
En quoi le roman Madame Bovary s’inscrit-il dans le contexte culturel, social et politique du 19e siècle?
Pour répondre à cette question, les étudiants devront d’abord acquérir diverses notions qui ont trait à la rédaction d’une œuvre romanesque ainsi qu’à ces trois aspects historiques. Les étudiants seront amenés à reconnaître les thèmes et les caractéristiques formelles romantiques et réalistes et ils devront également pouvoir situer le contexte politique mouvant ainsi que les enjeux sociaux qui avaient cours à cette époque, et cela, en vue de prendre conscience du lien qui existe entre la fiction littéraire et le contexte qui l’a vu naître.
La séquence
Avant la lecture
Activité 1 : Recherche sommaire, ligne du temps et contact avec l’œuvre
Les étudiants seront conviés à faire une recherche sur un aspect du 19e siècle afin de mieux cerner le contexte sociohistorique. Plusieurs sujets seront évoqués :
- la révolution de 1789 et son incidence sur la structure politique du 19e siècle;
- les conquêtes napoléoniennes et leurs effets sur la population;
- l’essor du romantisme;
- le développement de l’imprimerie;
- la révolution achoppée de 1848.
Ces événements devront être reportés sur une ligne du temps qui veillera à situer le contexte sociohistorique de l’œuvre, mais également à situer l’apprenant dans une temporalité en continu avec ce contexte[3]. Par ailleurs, l’objet-livre lui-même servira de déclencheur à une réflexion autour de Madame Bovary et du réalisme avec l’affirmation du « livre sur rien[4]» qui devra être soulevée pour mettre en relief le projet d’écriture de Flaubert.
En outre, pour bien cerner les deux mouvements majeurs de la première moitié du 19e siècle, nous utiliserons en exemples favorisant l'apprentissage[5] deux pièces maîtresses de la peinture, soit Le voyageur contemplant la mer de nuage, de Friedrich, et Un enterrement à Ornans, de Courbet.
Puis, par une nouvelle comparaison entre deux extraits, soit René, de Chateaubriand, et Anna Karénine, de Tolstoï, les étudiants seront amenés à mettre en pratique la méthode de comparaison s’appuyant sur le thème et son traitement.
Pendant la lecture
Activité 2 : Reconnaître les caractéristiques d’un courant littéraire par diverses comparaisons
Les étudiants auront à lire l’œuvre en segments et ils commenceront par l’ensemble de la première partie. D’abord, par un retour sur la toile de Gustave Courbet, nous expliquerons le concept de comparaison d’éléments artistiques et nous l’appliquerons à Madame Bovary et à Un enterrement à Ornans. Ainsi, les étudiants seront aptes à saisir la nature « commune » du sujet dans les deux œuvres et à comprendre comment ces deux manifestations artistiques s’ancrent dans le mouvement réaliste. Dans un second temps, ce sera aux étudiants d’effectuer cette transposition mais, cette fois-ci, avec le personnage d’Emma Bovary. Par le biais d’un extrait ciblé, soit :
Elle se demandait s’il n’y aurait pas eu moyen, par d’autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme; […]. Il aurait pu être beau, spirituel distingué, attirants, tels qu’ils étaient sans doute, ceux qu’avaient épousés ses anciennes camarades du couvent. Que faisaient-elles maintenant? À la ville, avec le bruit des rues, le bourdonnement des théâtres et les clartés du bal, elles avaient des existences où le cœur se dilate, où les gens s’épanouissent (p. 59),
les étudiants devront rédiger, grâce à la toile de Friedrich et à des pistes de réflexion préalablement amenées, une hypothèse sur le style qui transparait dans cet extrait et pourquoi.
Activité 3 : Comprendre et mettre en pratique la description réaliste
Le deuxième segment de lecture s’étendra du début de la deuxième partie jusqu’au chapitre 8 et s’attardera plus spécifiquement à la description. Pour ce faire, les étudiants procèderont à une analyse de la scène des comices (p.159-186) et noteront les termes qui font référence à la vie campagnarde du 19e siècle. De cette façon, ils pourront lier le discours réaliste avec son objectif de représenter la culture et les mœurs d’une époque donnée. Puis, nous effectuerons un exercice de composition en utilisant une série de photographies représentant divers lieux publics à différentes époques. En classe, les étudiants rédigeront une description de style réaliste de la photographie. Une fois la rédaction terminée, ils échangeront leur texte avec d’autres équipes qui devront tenter de dessiner la scène et la dater approximativement. Évidemment, nous prendrons soin d’utiliser des exemples qui se démarquent par des éléments évocateurs de leur époque respective. Finalement, pour bien saisir les procédés de description réalistes, nous procèderons à une comparaison de ceux-ci avec la description romantique en utilisant des extraits du recueil qui souligneront l’importance de la focalisation et des procédés langagiers, notamment en nous référant à René, de Chateaubriand, et à La Nouvelle Héloïse, de Rousseau.
Activité 4 : La focalisation
Les descriptions s’articulent autour d’un point de vue et cette constatation mènera à la focalisation. Qui voit, dans Madame Bovary? Pour répondre à cette question, les étudiants devront comprendre la focalisation au moyen d’un atelier portant sur des extraits tirés d’Exercices de style, de Raymond Queneau. Nous expliquerons en quoi consiste la focalisation et nous prendrons comme appui quelques textes de Queneau pour relever les indices de la subjectivité ou de l’objectivité. Puis, par l’analyse en groupe d’un extrait de Madame Bovary, nous saisirons l’aspect révélateur de la psychologie des personnages par la focalisation[6]. Cet exercice aura comme objectif de situer la narration de Madame Bovary dans un enchevêtrement de focalisations qui contribuent à fournir cet effet de réel. Au terme de cette activité, les étudiants seront soumis à un exercice formatif basé sur le court métrage Allée 12[7],dont la focalisation devra être analysée sous l’angle de la question cruciale : dans chaque plan, qui perçoit ?
Activité 5 : Retour sur les faits dans l’œuvre
Une fois la deuxième partie du livre terminée, nous organiserons une discussion sur les actions d’Emma :
doit-on défendre ou condamner ses relations extraconjugales?
Cette question sera lancée autour d’une table ronde organisée en petites équipes et servira de point d’ancrage à l’intention réaliste, qui doit montrer la réalité sans vouloir la juger. Ensuite, nous reviendrons sur un passage sensuel pour évoquer le contexte social de l’époque qui a mené au procès de Flaubert. Cette réalité judiciaire liée à Madame Bovary questionnera la place de la littérature dans le social, mais également la place des valeurs mises en œuvre entre le texte et les lecteurs. Nous pourrons lier les arguments évoqués durant le procès aux intentions actuelles de l’art et du cinéma. D’autre part, il nous faudra aussi témoigner du mode de publication de l’œuvre qui parut en feuilleton dans La revue de Paris et qui explique le découpage en courts chapitres. Cette incartade du côté de la publication supposera un regard sur le contexte socioculturel de l’époque et sur la propagation de la culture au sein de la population.
Après la lecture
Activité 6 : Réflexion sur les thèmes et leur traitement et travail de création
Lors de cette quatrième semaine, les étudiants auront terminé la lecture de l’œuvre et seront en mesure de cerner les différents thèmes abordés et de définir leur traitement. Nous mettrons donc en relief le destin tragique d’Emma et sa propension à l’endettement pour assouvir ses rêves illusoires. Puis, nous amènerons les étudiants à saisir les raisons qui poussent Emma à se donner la mort afin d’aborder la question de l’image sociale. Par la suite, nous retournerons examiner le contexte politique de l’époque pour tâcher de lier l’œuvre de Flaubert avec la révolution achoppée de 1848 et avec le rôle politique joué par les auteurs de ce temps. Ainsi, les étudiants auront à émettre des hypothèses sur le lien entre les actions dans le roman et les actions sur le plan social, dont la fin des grandes illusions. Cette période sera donc l’occasion de revenir sur l’affirmation du « livre sur rien » et de reconsidérer ce « rien » comme étant porteur d’une histoire tout à fait banale, certes, mais propre à soulever une réflexion sur la littérature, sur la culture et sur leur place dans la société.
Par la suite, nous reviendrons sur les caractéristiques réalistes qui serviront de pierre d’assise au travail de création que les étudiants devront effectuer et auquel ils auront commencé à songer au cours de la troisième activité. Cette création suivie d’un commentaire justificatif permettra d'évaluer les apprentissages[8] et reprendra le principe utilisé avec l’atelier sur les photographies :
Décrivez une scène de la vie courante se déroulant dans un lieu public en s’attardant aux détails qui donnent un effet de réel. Vous justifierez l'utilisation des procédés en vous référant aux notions vues dans le cours.
[1] Gustave Flaubert, Madame Bovary, Paris, Éditions Gallimard (Folioplus Classiques), 2004, 493 p.
[2] Procès intenté à M. Gustave Flaubert devant le tribunal correctionnel de Paris (6e Chambre) sous la présidence de M. Dubarle, audiences des 31 janvier et 7 février 1857 : réquisitoire et jugement. [En ligne] http://www.bmlisieux.com/curiosa/epinard.htm [Site consulté le 10 décembre 2008].
[3] Anne Armand, L’histoire littéraire. Théories et pratiques, Paris, Bertrand Lacoste (Collection Didactiques), 1993, p. 38.
[4] Gustave Flaubert, op. cit.
[5] Ernesto Sanchez-Cortés, « L’acte de lecture au collégial (Essai de théorisation didactique) », Thèse de doctorat en Science de l’éducation, Québec, Université Laval, 1993, f. 204.
[6] Études littéraires, « Flaubert, Madame Bovary, étude de la description », [En ligne] http://www.etudes-litteraires.com/flaubert-bovary.php [Site consulté le 10 décembre 2008].
[7] Anh Minh Truong et Jean-Philippe Boudreau, Allée 12, 2007. Court-métrage produit dans le cadre de l’émission Fais ça court à Télé-Québec, 13 septembre 2007 [En ligne] http://faiscacourt.telequebec.tv/courtsmetrages.aspx?Sorting=date&IdSaison=1&IdFilm=1 [site consulté le 29 décembre 2007].
[8] Anne-Marie Tauveron, « Le commentaire justificatif après l’écriture d’invention ou travailler la prise de distance avec son texte », Pratiques, no 127, p. 113-132.