Choix de l'oeuvre
L’œuvre nous a paru intéressante pour des élèves du deuxième cycle, puisqu’elle permet un véritable premier contact avec l’absurde, qu’elle est riche en référents culturels et qu’elle est originale à plusieurs égards. En effet, cette œuvre propose une lecture singulière de l’amour à travers une représentation éclatée du monde.
But et objectifs
Nous souhaitons que les élèves puissent arriver à dépasser une simple lecture de l’œuvre et ainsi parvenir à un niveau supérieur de compréhension. Pour y arriver, l'atteinte des objectifs suivants est nécessaire:
1. Amener les élèves à complexifier leur vision de l’absurde
2. Montrer aux élèves l’influence du contexte sociohistorique et culturel dans l’œuvre
3. Faire réaliser aux élèves que l’univers absurde créé par Vian est cohérent (comprendre la notion de cohérence)
4. Montrer aux élèves que l’absurde participe à la critique sociale que fait l’auteur
LA SÉQUENCE
AVANT LA LECTURE
Activité 1- Activation des connaissances
But: faire réaliser aux élèves qu’ils sont déjà en contact avec l’absurde dans leur vie quotidienne, mais qu’ils peuvent difficilement analyser cette vision de l’absurde et qu’elle est, somme toute, assez simple.
Déroulement: l'enseignant commence par activer les connaissances antérieures des élèves sur l'absurde en leur posant des questions semblables à celle que nous proposons: Connaissez-vous le mot « absurde »? Que signifie-t-il selon vous? Est-ce que ce qui est absurde est vrai ou faux? Est-ce possible, logique? Pouvez-vous donner des exemples de faits absurdes? Des œuvres absurdes?
Suite à cette discussion, les élèves écoutent un extrait vidéo d'un numéro humoristique absurde. L'enseignant oriente leur écoute en leur demandant pourquoi, selon eux, le numéro présenté est absurde. Les réponses des élèves seront soumises à l'ensemble de la classe et serviront à bâtir une définition commune de l'absurde. Pour enrichir les définitions proposées, l'enseignant peut lire des citations célèbres ou d'autres définitions provenant d'ouvrages de référence.
Activité 2 - Contextualisation de l'oeuvre
But: faire réaliser aux élèves l’importance du contexte sociohistorique dans une œuvre et l'omniprésence de référents culturels dans L'écume des jours.
Déroulement: l'enseignant fait un exposé magistral sur le contexte sociohistorique des années 40 en demandant d'abord aux élèves ce qu'ils savent de cette époque. Les thèmes suivants peuvent être abordés: la Deuxième Guerre mondiale, l’Humanité qui se cherche un sens, le courant surréaliste[1], d’autres œuvres littéraires absurdes de l’époque, l’entourage de l’auteur (Sartre, Queneau, St-Exupéry, Breton, etc.), le jazz et l’utilisation de l’absurde dans d’autres domaines de l’activité humaine. L'enseignant fait également écouter un morceau de jazz, Chloe de Duke Ellington par exemple, afin que les élèves puissent remarquer la ressemblance entre l'atmosphère du roman et celle de la pièce musicale. Les questions suivantes pourraient être posées aux élèves pour stimuler leur réflexion sur le jazz: Quelles sont les émotions que vous ressentez à l’écoute de ce morceau? Selon vous, que véhicule la chanson (fiez-vous au rythme de cette dernière et à vos impressions)? En sachant que le jazz est né durant l’esclavage des Noirs aux États-Unis, pourquoi selon vous, a-t-il vu le jour? En vous fiant à vos impressions d'écoute, quelle sera l'atmosphère de ce roman?
Activité 3 - Lecture méthodique de l'avant-propos de l'oeuvre
But: permettre à l'élève d'aborder l'oeuvre selon un angle précis (être un lecteur averti).
Déroulement: l'enseignant fait une lecture attentive de l'avant-propos de L'écume de jours avec les élèves. Lors de la lecture, il questionne les élèves sur ce qu’ils comprennent des propos de Vian, comment ils anticipent la lecture du roman, quels seront les thèmes abordés, etc. La lecture de l’avant-propos permettra aussi aux élèves de préparer l’écriture du journal de lecture en fournissant des pistes et en indiquant quels sont les éléments auxquels ils devraient porter attention.
PENDANT LA LECTURE
Activité 4 - Le journal de lecture
But: afin d’amener progressivement les élèves à complexifier leur vision de l’absurde et l’utilisation qui en est faite dans L’écume des jours, nous pensons qu’ils devraient utiliser un témoin de leur lecture : le journal de lecture[1]. Le but de cette activité, outre le partage d’impressions de lecture pouvant mener à des discussions en classe, est de sensibiliser les élèves à l’utilisation que fait Vian de l’absurde dans son roman.
Déroulement: tout au long de leur lecture, les élèves notent leurs impressions et leurs opinions. Ils peuvent être guidés par les consignes suivantes: Relevez un élément absurde dans le chapitre que vous venez de lire. Expliquez cet élément en disant pourquoi, selon vous, l’auteur a utilisé l’absurde.
Afin de s’assurer de la compréhension des élèves et voir quelle interprétation[1] ils font du monde absurde créé par Vian dans L’écume des jours, l’une des contributions doit être une description de l’atmosphère particulière de la première partie du roman (jusqu'au chapitre vingt-six, où Chloé commence à être malade). De plus, cet exercice d’écriture sera réinvesti dans l’une des activités finales de la séquence.
Activité 5 - La construction d'un univers absurde dans L'écume des jours
But: faire réaliser aux élèves que la construction d’un univers absurde cohérent réside dans l’utilisation de procédés descriptifs par l’auteur et que cet absurde est un phénomène de lecture.
Déroulement: les élèves doivent avoir lu la première partie de l'oeuvre. L'enseignant lit le premier chapitre avec les élèves et anime une discussion dirigée. Le but de la discussion est d’amener les élèves à réaliser qu’ils sont les bâtisseurs de cet absurde que met en place Boris Vian grâce, notamment, aux descriptions. Voici à quoi pourrait ressembler la discussion:
Y en a-t-il parmi vous qui ont fait des commentaires sur le premier chapitre dans le journal de lecture? Si oui, quels étaient vos commentaires, sur quoi portaient-ils?--Quels sont les éléments marquants de ce chapitre? Colin qui se taille les paupières, le fait qu’il perce un trou dans le bain et que ça soit normal que l’eau coule chez le voisin, les comédons qui rentrent sous la peau, etc. Est-ce que c’est cohérent, à votre avis? Non, on ne fait pas ça nous, c’est illogique, c’est ridicule. D’accord, pour nous, ça ne fonctionne pas, c’est absurde. Mais si nous nous mettons à la place des personnages, si nous entrons dans l’univers, est-ce normal? Par exemple, si Nicolas, le cuisinier, entrait, trouverait-il absurde de voir Colin agir de cette façon? Non, il ne serait pas surpris, parce qu’il fait partie de cet univers. Nous, nous sommes à l’extérieur donc noud voyons que c’est absurde. D’accord, mais comment l’auteur nous fait-il entrer dans cet univers absurde? Comment arrivons-nous à voir que ça n’a pas de bon sens? Bien, il nous décrit ce que fait Colin le matin… Quand il décrit comment Colin vide son bain, c’est absurde!
Mais est-ce cohérent tout ça, tout ce que vous m’avez dit? Est-ce que ça marche dans cet univers? Oui, ça fonctionne! Donc, c’est parce que nous sommes à l’extérieur de l’histoire que nous arrivons à voir que c’est absurde, quand nous lisons les descriptions de l’auteur, c’est ce que nous réalisons?Oui, le bain et tout, ça décrit un moment de la journée de Colin, ça va avec le reste du livre et c’est cohérent! Mais c’est nous qui disons que c’est absurde, c’est notre perception.
Afin de compléter cette activité et de nous assurer de la compréhension des élèves, le même processus peut être fait avec un extrait du Petit Prince[1] d’Antoine de St-Exupéry. Le but de présenter cet extrait est de faire réaliser aux élèves que le Petit Prince, tout comme nous avec L’écume de jours, trouve que ce que fait le personnage du businessman est absurde, car il est à l’extérieur de l’histoire. Par la description de la planète et le discours tenu par le businessman, nous réalisons, tout comme le Petit Prince, que ce personnage est absurde. Encore une fois, les élèves devront en arriver à la conclusion que c’est le lecteur, extérieur à l’histoire, qui construit l’univers absurde à l’aide des éléments donnés par l’auteur, comme les descriptions.
APRÈS LA LECTURE
Activité 6 - Une tâche d'écriture liée à la cohérence de l'univers absurde
But: l’objectif de cette activité est de faire réaliser aux élèves que l’univers créé par Vian dans L’écume des jours est cohérent en les amenant à confronter leurs perceptions de cet univers.
Déroulement: pour cette activité, les élèves doivent avoir terminé la lecture de l’œuvre. L’enseignant invite les élèves à reprendre leur contribution dédiée à la description de l’atmosphère écrite au terme de la lecture de la première partie de l’œuvre (jusqu'au chapitre vingt-six) pour poursuivre l’écriture en décrivant cette fois l’atmosphère qui règne dans la seconde partie du roman, le but étant de faire voir aux élèves que l’atmosphère du roman se dégrade d’une manière cohérente. L’enseignant tente de faire verbaliser aux élèves leur compréhension du monde de Vian dans une discussion en petits groupes[1] en leur posant quelques questions à la suite de la tâche d’écriture et en invitant les élèves à comparer leur description respective. Les questions suivantes peuvent servir de pistes: L’atmosphère de la première partie est-elle semblable ou différente de celle de la seconde? Qu’est-ce qui a changé? Comment cela a-t-il changé?
Trouvez des adjectifs pour chacune des deux atmosphères que vous avez décrites.
Est-ce normal que cela se dégrade ainsi? Est-ce cohérent avec l’histoire, avec l’état des personnages? Est-ce que l’univers absurde du début est encore présent?
Activité 7 - La critique sociale en groupes d'experts
But: faire réaliser aux élèves que Vian utilise l’absurde pour proposer une critique sociale fortement influencée par le contexte de l’époque.
Déroulement: l'enseignant demande aux élèves les raisons qui peuvent motiver l'écriture. Certains diront que l'écriture sert à dénoncer des réalités, autant sociales que poltiques ou religieuses. Ainsi, les élèves, qui auront lu l’œuvre au complet, seront en mesure de faire ressortir trois grands thèmes : la guerre, la religion et le travail. L'enseignant divise la classe en équipe et s'assure que chacun des thèmes sera travaillé par plus d'une équipe. Les élèves cherchent alors des extraits dans le roman pour démontrer la présence de la critique sociale. Une plénière est organisée afin que tous puissent mettre en commun leurs trouvailles.
Activité 8 - L'évaluation
But: consolider les apprentissages de la séquence en permettant aux élèves de s'exercer à la dissertation littéraire.
Déroulement: l'enseignant propose aux élèves deux sujets:« Démontrez que L’écume des jours véhicule une critique sociale de l’auteur fortement influencée par le contexte dans laquelle l’œuvre s’inscrit » ou « Démontrez que l’univers absurde de Boris Vian dans L’écume de jours est cohérent malgré les transformations qu’il subit ». Ces sujets serviront à l'élaboration d'un plan détaillé de dissertation littéraire. En choisissant le premier thème, les élèves réinvestissent ce qu’ils ont fait dans l’activité 7 et ils peuvent également s’inspirer du travail fait sur le contexte social dans l’activité 2. Pour les élèves qui choisissent le deuxième thème, les activités 5 et 6 peuvent servir de repères. Évidemment, comme il s’agit d’un plan détaillé, l’enseignant devra retrouver, sur chaque copie, une ébauche d’introduction posant la problématique choisie, un plan de développement complet avec citations et extraits choisis et enfin, une ébauche de conclusion. Il est évident que la théorie sur le plan devra auparavant avoir été vue avec les élèves.
[1] Le travail en équipe favorise le conflit sociocognitif si profitable à l’apprentissage.
[1] Le personnage du businessman dans le chapitre 13 dans Antoine de St-Exupéry (1993), Le Petit Prince, Paris, Folio, Coll. "Folio junior", p. 45-49.
[1] Jacques Crinon, Jean-Claude Lallias et Brigitte Marin (2006), Enseigner la littérature, Paris, Nathan, p.115-116
[1] Christine Coulet et Marlène Lebrun (septembre 2003), « Favoriser un rapport critique à la lecture/écriture littéraire en constituant la classe comme une communauté active de lecteurs et d’auteurs », dans ENJEUX, nº57, p. 103-104.
[1] Le surréalisme « flirte » avec l’absurde et se manifeste en peinture (Dali), en littérature (Queneau, Ionesco, Camus) ou au cinéma (Hitchcock). Cela laisse de nombreuses pistes d’exploration à l’enseignant.