Justification du choix de l’œuvre
Notre choix s’est arrêté sur L’hiver de force[1], un roman de Réjean Ducharme que nous considérons intéressant de travailler avec des élèves de cinquième secondaire qui ont un certain bagage littéraire. Même si ce roman représente un défi de lecture en raison de l’univers ducharmien, de la complexité des relations entre les personnages, de la particularité de la langue et des référents très propres aux années 1970, période ayant marqué la société québécoise, « il importe d’exposer les jeunes à un autre univers intellectuel pour enrichir leurs horizons[2] ».
Problèmes de lecture
- Concrètement, nous proposons d’abord un travail visant à se familiariser avec un langage créateur/innovateur, à s’y ouvrir et à développer des stratégies pour mieux le comprendre.
- Les relations ambigües entre les personnages peuvent être un obstacle pour la compréhension de l’histoire, le but est donc d’apprendre à travailler avec les différentes dimensions des personnages, telles que leurs pensées, leurs actions et leurs attitudes.
-L’histoire se situant dans le contexte sociohistorique des années 1970, il sera nécessaire de parler de cette période historique pour bien comprendre le roman et d’avoir une compréhension plus globale de la société québécoise actuelle.
LA SÉQUENCE DIDACTIQUE
AVANT LA LECTURE
Activité 1 - Sensibilisation au langage ducharmien
En raison de la complexité langagière de l’œuvre de Réjean Ducharme, il est nécessaire que la première activité vise à préparer les élèves à la lecture du roman en les sensibilisant au langage imagé et créatif de l’auteur à partir de deux extraits tirés du roman L’avalée des avalés: l’incipit[3] ainsi que le passage où le personnage principal, Bérénice, explique la raison pour laquelle elle appelle sa mère « Chat Mort[4] ». Dans le premier extrait, pour se sortir du mouvement d’entrainement, d'avalement dans lequel elle se sens prise, Bérénice use d’un langage distinct et dans le deuxième, elle refuse de se conformer au modèle maternel qu’elle devrait en principe suivre et elle s’y oppose en rebaptisant sa mère Chat Mort. C'est par le langage qu'elle contre l'avalement. L’enseignant insiste sur le fait que le langage est distinct et établit un parallèle avec les personnages principaux de L’hiver de force : par cette activité, « les élèves découvrent qu’au-delà des normes grammaticale et syntaxique, il y a une manipulation de la langue qui, plus qu’un simple jeu, relève de l’insoumission et du refus de se conformer aux règles[5] ». Tout comme Bérénice, c’est par le langage que les Ferron expriment le mieux leur marginalité.
Activité 2 - Présentation de l’œuvre et des personnages
Après avoir présenté l’œuvre dans la perspective du langage, l’enseignant présente la seconde activité, en mentionnant les trois personnages à l’étude : les deux Ferron, Laïnou et Petit Pois. Il commence par faire lire l’incipit de L’hiver de force. En comprenant mieux comment sont les personnages, on arrive à mieux saisir les relations qu’ils ont entre eux, et ainsi, à comprendre l’histoire qui repose sur ces personnages.
Après la lecture de l’incipit, les élèves se donnent des intentions de lecture par rapport aux caractéristiques des personnages : leurs actions, leurs pensées, leurs attitudes. Pour permettre un échange de points de vue, ils pourraient se regrouper en équipe de spécialistes.
L’enseignant pourrait donner des exemples d’intentions à partir des extraits travaillés à l’activité 1. Les équipes qui travaillent sur les Ferron pourraient avoir comme intentions de lecture :
- En quoi sont-ils marginaux?
- Travaillent-ils?
- Quel coup planifient-ils?
- Pourquoi disent-ils qu’ils ont une vie platte?
Ensuite, les élèves lisent la première des quatre parties du roman à l’étude et complètent par écrit leurs intentions de lecture. Après avoir lu cette partie, les élèves se regroupent en triades de façon à partager leur lecture avec celle des autres élèves ayant travaillé sur un personnage différent. Ce travail permet aux élèves d’échanger sur leur lecture et de se préparer à l’élaboration d’un portrait global des trois personnages principaux qui aura lieu en groupe.
PENDANT LA LECTURE
Activité 3 - Complexité des relations entre les personnages
Cette activité pourrait être introduite à l’aide du travail qui a été préalablement réalisé sur les personnages du roman. Elle a pour objectif de rendre explicite les relations entretenues entre les personnages et ainsi rendre la compréhension de l’histoire plus accessible. L’enseignant pourrait proposer aux élèves des pistes de lecture sur un forum. Ce dernier a l’avantage de permettre à tous les élèves d’y participer en même temps, au moment qui leur convient. En effet, à mesure qu’ils lisent la deuxième partie du roman, les élèves répondront aux pistes de lecture selon la compréhension qu’ils en ont. L’enseignant a donc accès à leurs écrits en tout temps. Ce dernier a finalement le devoir de guider, de rediriger les conversations au besoin et de les amener vers de nouvelles pistes. Voici des exemples de pistes de lecture:
- Qu’est-ce qui obsède tant les Ferron? Comment cette obsession se traduit-elle?
- Comment pourrait-on qualifier la relation qu’entretiennent André et Nicole? Quels sont les extraits du texte qui nous permettent de l’affirmer?
- Qu’est-ce que Laïnou fait pour les Ferron?
Cette activité pourrait servir d’évaluation formative, car l’enseignant aurait une meilleure idée de la compréhension du groupe en ce qui concerne les relations entre les personnages, ce qui lui « permettra de bien adapter ses interventions didactiques à leurs représentations et à leurs modes de raisonnement[6] ».
Finalement, un retour sur le forum sera fait sous forme de mise en commun globale en classe afin de faciliter la compréhension des élèves par rapport à la complexité des relations entre les personnages et à mettre l’histoire en place. Pour clore l’activité, l’enseignant pourrait demander aux élèves de représenter ces relations de façon schématique.
APRÈS LA LECTURE
Activité 4 - Culture et langage
Le but de cette activité est de faire voir aux élèves l’importance d’avoir un certain niveau de culture et de s’impliquer activement dans la lecture d’un roman. Dans le cas de Ducharme, tout particulièrement, sa façon de travailler le langage interpelle le lecteur en faisant appel à ses connaissances culturelles. L’enseignant pourrait montrer aux élèves que ces connaissances sont utiles au décodage de certains passages. Les procédés stylistiques permettent de modaliser le discours. L’auteur ou le personnage peut adopter un discours critique de façon implicite ou explicite. Les élèves devront aller au-delà de l’incompréhension d’une critique implicite. Nous leur proposons donc de comparer des extraits en enlevant les procédés stylistiques utilisés pour montrer qu’ils ont un rôle à jouer dans la modalisation du discours.
Les élèves lisent et comparent deux extraits — un tiré du roman et l’autre réécrit par l’enseignant. Ce dernier leur fournit des questions pour les guider dans la comparaison des extraits.
- Qu’est-ce que vous comprenez dans chacun des extraits. Y a-t-il des éléments dans l’extrait 2 qui facilitent la compréhension?
- Quelles sont les différences entre les 2 extraits?
- Que critiquent ces extraits?
- Lequel des deux extraits a été écrit par Réjean Ducharme? Pourquoi?
Extrait 1[7] : « […] des étudiants de chez Sir George pour la plupart, des adolescents longs et pâles de Pointe-Claire et Baie-d’Urfé qui viennent sous nos nez apprendre à nous polytechniaiser, sciencessocialénier, hautesétuliser et maketyriser dans la langue des hot dogs et des milk shakes. »
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Extrait 2 : Des étudiants de l’Université Sir George William pour la plupart des adolescents de race blanche et d’origine anglaise des quartiers bourgeois et anglophones de Montréal qui viennent apprendre à nous, Québécois francophones, niaiser, nous aliéner, nous utiliser et nous martyriser dans leur langue.
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Le retour se fait sous forme de discussion avec les élèves. On revient sur les questions en comparant les réponses. Ce travail confirmera l’importance d’aller chercher plus loin, si on n’a pas toutes les connaissances requises à la compréhension des extraits.
Après cette démonstration, l’enseignant propose de repérer, dans les parties 3 et 4 du roman, des critiques présentées à l’aide de procédés styliques. Selon ce que les élèves ont relevé et les extraits que l’enseignant trouve intéressants de travailler, il en choisit trois ou quatre qui sont chargés du point de vue de la langue et du style et qui se rapportent au contexte sociohistorique des années 1970. Il demande aux élèves de faire un travail de réécriture semblable à celui qui a été fait dans la première partie de l’activité, accompagné d’une recherche sur internet.
Activité 5 - Contexte sociohistorique et langue française
Pour faire suite à l’activité sur la langue, nous approfondirons la compréhension du contexte historique. Plusieurs thèmes du roman sont spécifiques aux années 1970 au Québec : l’ouverture de la culture québécoise, le bouillonnement du monde artistique, l’importance du mouvement séparatiste, etc. Dans L’hiver de force, il y a beaucoup d’allusions faites aux différends entre les Anglais et les Français au Québec. Une discussion de groupe à propos du statut de la langue française dans un Québec de plus en plus multiculturel pourrait avoir lieu à la suite de la lecture de différents extraits montrant ce phénomène.
Afin d’intégrer les pratiques de lecture et d’écriture[8], nous proposons aux élèves d’écrire d’un texte à dominante argumentative.
1. En quoi l’extrait du Coup de poing[9] ressemble-t-il au point de vue défendu par un des personnages de L’hiver de force? Montrez-le par un extrait.
2. Aujourd’hui, qu’en est-il de ce point de vue? Est-il encore présent dans notre société? Construisez votre argumentation en vous fiant à des dossiers d’actualité.
Conclusion
Si les activités précédentes nous ont déjà permis de travailler et d’évaluer la compréhension des élèves par rapport à la complexité des relations entre les personnages et leur capacité à rechercher de l’information, cette évaluation formative permet d’intégrer les apprentissages faits dans la séquence à d’autres dimensions du cours de français. Comme un des problèmes de lecture était de comprendre les référents du contexte dans lequel est situé le roman, cette évaluation sert à vérifier les apprentissages réalisés du point de vue historique dans une optique langagière. C’est pourquoi nous considérons important de proposer une pratique de texte argumentatif qui touche cet aspect de l’œuvre. En plus d’être pertinent spécialement en cinquième secondaire, cela permet d’articuler la lecture d’un texte littéraire à l’écriture d’un texte courant.
[1]Réjean Ducharme, L’hiver de force, Paris, Gallimard (Coll. Folio), 2006, 274p.
[2] Claude Simard, « Situer l’apprentissage de la langue dans un contexte large », dans Vie pédagogique, no 101, (novembre-décembre 1996), p.20.
[3]Réjean Ducharme, L’avalée des avalés, Paris, Gallimard (Coll. Folio), 2006, p.9.
[4] Réjean Ducharme, L’avalée des avalés, op.cit., p. 32-33.
[5] Murielle De Serres, « Palmarès d’une praticienne », dans Anne-Marie Boucher et Arlette Pilote [dir.], La culture en classe de français, Guide du passeur culturel, Québec, Publications Québec Français, 2006, p. 9.
[6] Claude Simard, op.cit., p.21.
[7] Réjean Ducharme, L’hiver de force, Paris, Gallimard (Coll. Folio), 2006, p.187.
[8]Suzanne-G. Chartrand, « La maîtrise de l’écrit par les élèves, une priorité », La grammaire : au cœur du texte, Québec français, no hors série, p. 14.
[9] Louis Caron, Le coup de poing, les Fils de la liberté III, Montréal, Boréal, 2005, p.130-131.