Pertinence de l’œuvre choisie:
Le Journal d’Anne Frank[1] est une œuvre intéressante à travailler en classe de français, car elle permet d’aborder le genre épistolaire qui est peu étudié. Sous la forme d’un journal intime, cet écrit présente une situation de communication particulière en ce sens que, bien qu’il soit personnifié, le destinataire est un objet. Sur le plan culturel, cette œuvre littéraire permet d’ouvrir les élèves sur le monde en leur faisant voir les enjeux d’un évènement mondial majeur. Il n’en demeure pas moins que la thématique abordée est encore actuelle puisque la guerre existera tant que l’homme ne comprendra pas ses enjeux tragiques. De plus, travailler cette œuvre avec des élèves de quatrième secondaire s’avère pertinent dans la mesure où le contexte de la Seconde guerre mondiale est vu en classe d’histoire.
Objectifs de la séquence didactique :
Cette séquence vise à :
- Amener les élèves à dégager des similitudes entre un évènement du passé et un autre relevant de l’actualité;
- Faire en sorte que les élèves réalisent qu’une même situation peut être perçue différemment;
- Permettre aux élèves de dégager les caractéristiques du genre épistolaire, mais surtout de comprendre sa visée.
Présentation du projet :
Cette séquence didactique vise l’acquisition de compétences lectorales, scripturales et communicationnelles. À travers une situation d’écriture[2], les élèves sont amenés à mobiliser les compétences et les connaissances qu’ils auront acquises tout au long de la séquence. Ainsi, cette dernière s’inscrit dans une pédagogie de projets « qui exerce les élèves à mobiliser leurs connaissances dans des situations complexes, puisées dans le même univers de situations que celles de l’examen[3] ». Afin que les élèves soient outillés pour la rédaction de leur texte final, des traces de toutes les activités sont placées dans un portfolio.
LA SÉQUENCE
APRÈS LA LECTURE
Activité 1 - Le genre épistolaire versus la nouvelle
L’objectif de cette activité est de dégager, à travers un même thème, celui de la guerre, les caractéristiques du genre épistolaire en comparaison avec celui de la nouvelle. Elle commence par la lecture de la nouvelle « Ce jour-là[4] » qui est lue collectivement. Par la suite, les apprenants se placent en dyade et émettent des hypothèses quant à la différence entre le genre épistolaire et la nouvelle. Ils écrivent leurs observations sous la forme d’un tableau comparatif qu’ils placeront dans leur portfolio. Une fois cette étape réalisée, les élèves sont groupés en équipe de quatre afin de valider leurs hypothèses. Les informations mises en commun doivent être ajoutées au tableau comparatif précédemment utilisé. Finalement, un retour sur les constatations est fait en groupe et est guidé par l’enseignant afin que chaque élève, dans son portfolio, ait les mêmes informations pour la suite du travail.
Activité 2 - La focalisation
Il est pertinent d’étudier la focalisation dans cette œuvre, car elle permet aux élèves de voir la guerre à travers le regard d’une jeune fille juive. Pour traiter de ce sujet, la chanson « Le déserteur[5] », de Boris Vian, est analysée. En fait, cette activité consiste à comparer les points de vue des deux œuvres. L’objectif principal est de faire prendre conscience aux élèves qu’une même situation peut être interprétée différemment selon le point de vue. En dyade, les élèves analysent la chanson à partir d’un questionnaire qui leur aura été fourni par l’enseignant. Les questions proposées aux élèves peuvent prendre les formes suivantes : quels sont les thèmes abordés? quel est le message véhiculé? à travers quel regard la situation est-elle présentée? cela a-t-il une influence sur le message? le point de vue adopté influence-t-il votre façon de voir la situation présentée? Par la suite, les élèves sont amenés à remplir de nouveau le questionnaire, mais à partir du Journal d’Anne Frank. Un retour collectif est fait et, à partir de cette discussion, les apprenants ressortent les différences et les similitudes des deux œuvres en ce qui concerne le point de vue. Ainsi, ils seront plus à même de comprendre qu’il y a une dichotomie non seulement entre le regard d’un enfant et celui d’un adulte, mais aussi entre le point de vue d’une victime et celui d’un soldat. Finalement, les élèves joignent le tout à leur portfolio.
Activité 3 - Une situation réaliste pour mieux comprendre
Cette activité[6] cherche à faire vivre aux élèves, pendant une journée complète, le quotidien des juifs au moment du règne d’Hitler de manière à les amener à prendre une distance entre les représentations qu’ils se sont faites au cours de la lecture et la réalité. La première étape consiste à faire vivre une mise en situation aux élèves. Pour ce faire, deux modes de participation leur sont proposés : soit ils se mettent dans la peau des juifs en portant un bandeau au sigle de l’étoile juive et en vivant différentes contraintes, soit ils observent leurs collègues et les réactions suscitées. L’enseignant demande à des membres du personnel de jouer le rôle des soldats et de s’assurer que les élèves respectent les contraintes imposées. Par exemple, à la cafétéria, le groupe « des juifs » doit être servi en dernier et doit s’asseoir à part des autres. Ceux qui observent ont comme responsabilité de suivre leurs collègues, mais de façon discrète, et de noter toutes leurs observations. Suite à cette journée, les élèves ont l’occasion de discuter de leurs sentiments, de leurs impressions et même de leurs opinions. L’enseignant guide la discussion afin de les aider à structurer leur pensée. Ensuite, les élèves rédigent une réflexion de 150 à 200 mots dans laquelle ils expliquent, à leur façon, la mise en situation. Finalement, ce texte est placé dans leur portfolio et sert de point de départ pour la dernière activité de cette séquence didactique.
Activité 4 - Le tigre et la neige[7], la guerre à travers le septième art (deux périodes)
À partir du visionnage du film Le tigre et la neige cette activité a pour objectif de faire réaliser aux élèves que l’histoire d’Anne Frank est encore vécue aujourd’hui par des Irakiens, mais dans un contexte différent. En effet, le fait de côtoyer ces œuvres incite les élèves à s’ouvrir sur le monde pour mieux le comprendre : « l’idée que l’essentiel de ce que transmet [...] toujours et partout l’éducation transcende nécessairement les frontières entre les groupes humains et les particularismes mentaux et relève d’une mémoire commune à toute l’humanité[8] ». Pendant le visionnage du film, les élèves sont invités à prendre des notes en fonction des différents thèmes donnés par l’enseignant : le contexte sociohistorique, le point de vue du narrateur et les sentiments vécus par les personnages. Par la suite, les apprenants écrivent, de façon individuelle, leur interprétation du message véhiculé par l’œuvre cinématographique. Pour clore cette activité, un retour en classe sur le film est guidé par l’enseignant pour aider les élèves à décontextualiser la situation d’Anne Frank pour la recontextualiser dans un contexte plus actuel, celui de la guerre en Irak.
Activité 5 - Écrire un texte pour mobiliser savoirs, savoir-faire et savoir-être (deux périodes)
L’objectif principal de cette activité est la mobilisation des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Elle prend la forme d’une production écrite de 400 à 500 mots dans laquelle les élèves doivent se mettre dans la peau d’Anne Frank et écrire un extrait de son journal intime. Tout en tenant compte des particularités de l’œuvre, c’est-à-dire le genre, la situation de communication, le point de vue et la thématique, ils doivent inscrire leur texte dans un contexte sociohistorique différent et actuel : la guerre en Irak telle que présentée dans le film visionné. Ces particularités constituent d’ailleurs les connaissances préalables requises pour l’élaboration de ce projet d’écriture et du même coup, elles servent de point d’ancrage dans la construction des critères d’évaluation.
Conclusion
Pour conclure, cette séquence didactique, basée sur Le Journal d’Anne Frank, permet aux élèves d’étudier un évènement marquant du passé afin de le lier à l’actualité : « restaurer la continuité entre le passé et le présent, c’est faire prendre conscience aux élèves qu’ils sont les héritiers d’une histoire locale, nationale, d’une civilisation; c’est leur permettre de se situer dans l’histoire et dans leur identité personnelle, mais c’est surtout leur donner des moyens de comprendre l’histoire[9]». Cela dit, notre projet se situe dans une approche culturelle de l’enseignement. Plus encore, il témoigne d’une approche par compétences dans laquelle les élèves cheminent et s’ouvrent sur le monde. Les activités de cette séquence didactique visent une progression des apprentissages. Celle-ci assure non seulement la structuration cognitive des élèves, mais favorise aussi l’acquisition à long terme des compétences à lire, à écrire et à apprécier des textes variés[10].
[1] Anne Frank, Le Journal d’Anne Frank, Paris, Calmann-Lévy (coll. Le livre de poche), 2001, 350 pages.
[2] Voir l’activité 5 pour plus de détails.
[3] Gérard, Scallon, L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences, Saint-Laurent, Éditions du Renouveau Pédagogique, 2004, p. 22.
[4] Vercors, Le Silence de la mer, Paris, Les Éditions Albin Michel, 1994, p. 54-60.
[5] LyricsCopy, Le déserteur, [en ligne]. http://fr.lyrics-copy.com/boris-vian/le-deserteur.htm [Site consulté le 9 avril 2009].
[6] À première vue, cette activité peut sembler un peu utopique à réaliser, mais avec la participation et la collaboration des élèves et des membres du personnel, elle est très simple à réaliser.
[7] Roberto Benigni, Le tigre et la neige, Italie, 1h55 min., 2004.
[8] Jean-Claude Forquin, « Curriculum et culture », dans École et culture : le point de vue des sociologues britanniques, Bruxelles, De Boeck université, 1989, p. 10.
[9] Denis, Simard, « Comment penser aujourd’hui la nature et le rôle de l’école à l’égard de la formation culturelle des élèves? », dans L’enseignement : Profession intellectuelle, Québec, Les Presses de l’Université Laval (coll. Éducation et culture).
[10] Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Programme de formation de l’école québécoise, enseignement secondaire 2e cycle, Québec, 2007, chapitre 5, p. 3.