Justification de l’œuvre
La séquence didactique que je vous propose s’inscrit dans un cours de français 101 (Écriture et littérature) au collège François-Xavier-Garneau. L’œuvre que j’ai choisie est Les Villes invisibles d’Italo Calvino. J’ai sélectionné cette œuvre parce que j’avais le désir de présenter aux étudiants du collégial le genre dit « mineur » de la nouvelle ainsi que la notion de recueil-ensemble qui s’applique à cette œuvre. De plus, ce recueil présente quelques difficultés de lecture qui se veulent pour moi un défi didactique, soit la forme du recueil et le langage imagé. Je dois donc rendre cette œuvre accessible à des étudiants de français 101. C’est la raison pour laquelle que je privilégie une approche thématique de l’œuvre et que mes stratégies d’enseignement sont variées et axées sur le travail d’équipe. Le but de cette séquence didactique est en fait d’amener le sujet-lecteur, en l’occurrence les étudiants, à aller plus loin dans la lecture d’un texte (l’analyser, l’interpréter) et à en apprécier les qualités littéraires, soit à développer un plaisir de lecture. « [Le plaisir] travaille la motivation et la mémoire, construit la sensibilité et la culture littéraire. […] [L]e plaisir ressenti est associé à une “compréhension en profondeur”, à une plus grande “familiarité” avec le texte, mais surtout à la découverte que la forme est signifiante[1]. » Le recueil d’Italo Calvino me permet d’initier les apprenants à la lecture d’un recueil de nouvelles et à la création littéraire puisque ces derniers auront à produire un texte créatif à la fin de cette séquence. Dans les activités que j’ai élaborées, j’ai privilégié le travail coopératif – la socioconstruction des connaissances se veut pour moi un outil pédagogique efficace.
Problèmes à résoudre
Dans Les Villes invisibles, nous pouvons observer la présence de plusieurs thèmes qui traversent le recueil, tels que le regard, le voyage et les échanges. Ces derniers sont présentés sous formes d’images fortes, soit des figures de style. L’objectif premier de cette séquence est de rendre les étudiants capables de distinguer des thèmes et des procédés stylistiques, de choisir des éléments d’analyse (puisqu’ils devront écrire de courtes analyses) et d’être capable de réinvestir ces compétences dans un texte créatif. À la lecture des Villes invisibles, il est également possible de constater un travail sur la forme puisque cette œuvre s’inscrit dans la période oulipienne de l’auteur. Nous savons qu’un recueil peut tout d’abord être composé de textes épars, réunis par l’auteur ou l’éditeur sans intention autre que de rassembler en volume ce qui était dispersé. Cependant, le recueil d’Italo Calvino fut, dès sa conception, construit en un tout cohérent, chaque nouvelle ayant une place et un rôle déterminés[2]. Nous assistons ici à la création d’un « recueil-ensemble », chaque nouvelle ayant un lien avec les autres.
LA SÉQUENCE
Cette séquence se déroule environ sur cinq semaines. Les étudiants devront lire deux chapitres par semaine, soit :
Semaine 1 : La préface et le chapitre 1.
Semaine 2 : Chapitres 2 et 3.
Semaine 3 : Chapitres 4 et 5.
Semaine 4 : Chapitres 6 et 7.
Semaine 5 : Chapitres 8 et 9.
AVANT LA LECTURE
Avant toute chose, il apparaît essentiel et nécessaire de présenter l’auteur, Italo Calvino, aux étudiants. L'enseignant leur présentera des éléments biographiques, les œuvres marquantes de son parcours et son implication intellectuelle dans le champ littéraire, notamment en ce qui a trait à l’Oulipo. Nous privilégions la présentation de l’auteur dès le début de la séquence, car « [p]our approfondir la lecture d’une œuvre, il faut comprendre qu’elle est faite d’une interpénétration avec la vie de l’auteur[3] ». De cette façon, l'enseignant pourra fournir le plus de connaissances possibles aux étudiants pour permettre une meilleure compréhension du recueil.
Activité 1 - Analyse du paratexte : le titre comme premier contact avec le texte
Il est nécessaire d’enseigner des connaissances de base, et ce, avant la lecture, afin de faciliter la compréhension des lecteurs. L'enseignant commencera donc par une analyse du paratexte, plus précisément sur le titre. Pour lancer la réflexion sur l’œuvre, il pose aux élèves des questions qui constituent un premier contact avec l’œuvre.
- À la lecture du titre, quelles attentes avez-vous? Quels liens peut-on faire entre le titre et le récit? Qu’évoque le titre pour vous? Est-il poétique? Que dit-il du récit?
Activité 2 - Lecture de la préface, écrite par l’auteur, par les apprenants
Par la suite, les étudiants liront la préface de l’auteur à la maison. Cette activité se veut pertinente puisque Calvino y explique le fonctionnement de son recueil, explicite la structure de l’œuvre, distingue les thèmes majeurs, présente ses personnages et y résume « l’intrigue ». Cette lecture est pour les étudiants un outil pour une meilleure compréhension du texte puisqu’ils auront accès à quelques clés de lecture. De plus, ils pourront y trouver des pistes intéressantes pour leurs analyses.
Activité 3 - Exercice sur la structure du texte : l’Oulipo et le travail sur la forme
Cette activité vise à présenter aux étudiants le mouvement de l'Oulipo, en présentant ses enjeux et ses auteurs marquants, et plus précisément Georges Perec. Pour souligner comment un travail sur la forme peut être majeur, je présenterai La disparition de Georges Perec et Le château des destins croisés de Calvino. Les étudiants seront invités à lire ces extraits pour faire ressortir les caractéristiques de l'Oulipo qu’ils intègreront dans un tableau-synthèse. L'enseignant complètera le tableau avec eux en leur exposant les notions manquantes.
Activité 4 - La nouvelle littéraire : ses caractéristiques
Cette activité vise à présenter les caractéristiques génériques de la nouvelle littéraire. Pour ce faire, l'enseignant distribue aux étudiants trois nouvelles – Filature de Gilles Pellerin, La tache de Jean-Paul Beaumier et Le métro de Roch Carrier – qu’ils devront lire en équipe. Ils devront tenter de trouver les caractéristiques propres au genre de la nouvelle présentes dans ces textes. L'enseignant effectue par la suite un retour en grand groupe pour faire ressortir les caractéristiques que les étudiants auront trouvées. L'enseignant complète les informations au besoin.
Activité 5 - Lecture à voix haute de la première réflexion et des trois premières villes
Pour bien présenter aux étudiants le style de l’auteur, l'enseignant lira à voix haute la première réflexion de Kublai Khan et des trois premières villes, et ce, en variant le rythme de lecture, l'intonation et en ajoutant des silences. Les étudiants doivent être préparés à leur lecture étant donné que ce recueil est difficile à lire – par la ponctuation, le vocabulaire, les métaphores. En profitant d'une lecture à voix haute, les étudiants seront bien encadrés dès le début de la lecture.
PENDANT LA LECTURE
À chaque cours, les étudiants devront travailler en équipe pour faire ressortir les thèmes, les procédés stylistiques, les images qui les ont le plus marquées dans les chapitres qu’ils auront eu à lire. Ensuite, les étudiants devront introduire ces éléments dans un tableau. L'enseignant supervisera le processus afin de s’assurer que les étudiants n’inscrivent pas d’informations biaisées. De plus, les étudiants devront écrire chaque semaine une courte analyse d’environ une page qui portera sur une ville au choix. Pour rassembler tous ces documents, les étudiants produiront un portfolio qui sera évalué de façon formative. Ils y déposeront leurs tableaux et leurs analyses en version papier – le documentne sera ramassé qu’à la fin de la séquence en même temps que l’évaluation sommative, soit le travail d’écriture créative.
Activité 6 - Analyse d’œuvres iconographiques : le thème du regard
L'enseignant présentera deux œuvres iconographiques, soit Metropolis de Paul Citroën et Les Promenades d’Euclide de René Magritte, que les étudiants devront analyser en équipe. Je poserai quelques questions pour guider leur réflexion :
- Que ressentez-vous par rapport à ces peintures? Quelles émotions? Ces images racontent-elles une histoire? Si oui, laquelle? Si non, y-a-il un message? Lequel?
Ensuite, les étudiants auront à écrire en équipe une courte histoire qui fait la description de ces villes. Ils présenteront leurs textes au reste de la classe, et ce, dans le but de montrer la polysémie d’une œuvre. Le but est de démontrer que les villes de Calvino peuvent être imaginées tout aussi différemment. Cette activité vise donc à développer la pensée formelle des étudiants et à les préparer à l’écriture créative.
Activité 7 - Comparaison entre Les villes invisibles et Le Château des destins croisés
La communication qui s’établit dans l’œuvre d’Italo Calvino se veut intéressante. Pour aborder ce thème, l'enseignant compare deux œuvres du même auteur qui illustrent ce thème, soit Les villes invisibles et Le Château des destins croisés. Dans Les Villes invisibles, Marco Polo et Kublai Khan ne parlent pas la même langue – ils doivent communiquer à l’aide de gestes, de cris ou d’objets. Dans Le Château des destins croisés, les personnages sont soudainement aphones et ne peuvent communiquer qu’avec des cartes de tarots. Dans les deux cas, la communication n’est possible que par l’évocation.
Activité 8 - Jeu sur le thème du voyage : une cartographie des villes
Dans cette activité, l'enseignant aborde le thème du voyage en présentant un autre récit de voyage imaginaire, soit Ailleurs d’Henri Michaux. Tout comme Les Villes invisibles, un voyage imaginaire est présenté. Pour permettre aux étudiants de se construire une image mentale de ces voyages, l'enseignant présente la Carte de Tendre qui illustre bien cette idée. Ensuite, pour développer la créativité des étudiants, il leur demande de faire une cartographie des voyages de Marco Polo inspirée de la Carte de Tendre pour leur permettre de mieux imaginer les villes imaginaires décrites par Marco Polo.
APRÈS LA LECTURE
À ce moment de la séquence, l'objectif et de faire prendre conscience aux étudiants de l’évolution de leur pensée, et ce, en reprenant les questions sur le paratexte posées en début de séquence. De cette façon, ils pourront plus aisément relier le titre au texte et voir ce qu’ils sont capables de dire sur le texte à ce moment. À ce stade, ils seront prêts à produire un texte créatif.
Activité 9 - Retour sur les tableaux
Afin de s'assurer que les tableaux sont complets, l'enseignant effectue un retour sur ces derniers. Il insiste sur les points plus problématiques et fait une synthèse des éléments les plus significatifs, et ce, en prenant soin de distinguer le superflu de l’essentiel. Les étudiants pourront ainsi se référer à leurs tableaux pour écrire leurs textes créatifs.
Évaluation sommative
Au terme de cette séquence, les étudiants devront écrire une nouvelle littéraire à la manière de Calvino – ils auront à faire un pastiche des Villes invisibles qui comptera pour 30% de la session. Les étudiants auront à lire leur texte à leurs collègues lors d’une table ronde. Voici les directives:
- Vous devez écrire une nouvelle littéraire à partir de ce que vous avez lu – vous devez décrire une ville tout en respectant les caractéristiques que vous avez relevées dans les cours précédents. En fait, vous devez trouver un nom à votre ville et la décrire à la manière d’Italo Calvino – le lecteur doit pouvoir visualiser votre ville. Vous devrez finalement la présenter à vos collègues lors d’une table ronde qui se tiendra dans trois semaine.
Conclusion
Les deux approches favorisées dans cette séquence – thématique et formelle – visent une meilleure compréhension du texte par les étudiants ainsi que leur réussite. La séquence est diversifiée afin de les motiver et de les intéresser. Cette séquence contribue au développement de la pensée formelle des apprenants. De plus, les étudiants seront capables de faire ressortir les thèmes et les procédés stylistiques présents dans un texte et de choisir des éléments d’analyse. Dans cette perspective, le choix de l'évaluation sommative se veut pertinent puisqu’il faut comprendre l’écriture d’un auteur pour le reproduire.
[1] Annie Rouxel, Enseigner la lecture littéraire, Rennes, PUR, coll. « Didact français », 1996, p. 64.
[2] Jean-Pierre Boucher, Le recueil de nouvelle, études sur un genre littéraire dit mineur, op. cit., p. 15.
[3] Isabelle Chelard-Mandroux et Anne-Marie Tauveron, Enseigner la lecture de l’œuvre littéraire au lycée, Armand Colin, Paris, 1998, p. 104.