Justification de l'œuvre  

Dans le cadre des études collégiales au Québec, les étudiants (âgés en moyenne entre 17 et 19 ans) doivent suivre quatre cours de littérature. Le premier cours s’intitule Écriture et littérature et couvre obligatoirement au moins deux époques distinctes et deux genres différents, on y présente donc des œuvres qui se situent généralement dans un contexte français, entre les origines et 1850.

Dans l’idée de proposer une séquence didactique propre à ce cours et respectueuse de ces contraintes, nous avons choisi de faire lire Gargantua¹ de François Rabelais, à nos étudiants. Gargantua est un classique du XVI^e siècle français. Cette œuvre nous permettra donc d’aborder des éléments d’histoire de la France (seulement ceux qui permettront d’éclairer l’œuvre) telles les guerres de religion entre les catholiques et les protestants, les guerres territoriales entre François I^er et Charles Quint, et la liberté de pensée accordée à l’individu à l’époque. Ces éléments peuvent être mis en lien avec le contexte actuel et permettre aux étudiants de mieux comprendre certains enjeux sociopolitiques de notre époque. De plus, Gargantua s’inscrit dans le courant littéraire humaniste. Ce courant ne se limite pas à un siècle précis ou à un territoire unique dans l’histoire de la littérature. C’est un courant qui a traversé les époques et les frontières. Le fait d’aborder ce courant avec les étudiants leur permettra de mieux comprendre une myriade d’autres œuvres et, éventuellement, de développer des qualités humanistes qui, selon nous, contribuent au développement de meilleurs citoyens.

Notre séquence se situe au début de la session puisque nous suivrons un ordre chronologique dans la progression de la lecture (selon les périodes et les courants) et elle se déroule sur six cours de deux heures chacun.

Problème à résoudre

La compréhension du contexte et de la forme utilisée (vocabulaire, style, stratégies, procédés) permet d’interpréter le propos, soit la vision du XVI^e siècle véhiculée dans Gargantua. Ainsi, il est possible de relever les principaux thèmes et enjeux et être en mesure de résoudre le nœud de l’œuvre qui est sa dimension critique. Ces connaissances seront acquises dans la résolution d’une situation-problème et elles seront réinvesties dans la production d’une création littéraire qui fera le lien entre un thème critiqué dans l’œuvre et un thème critiqué dans notre société.

Objectifs

Nos objectifs sont de plusieurs ordres. Les premiers sont liés aux éléments de compétence du ministère de l'Éducation, soit d’arriver à reconnaître le propos du texte (la dimension critique présente dans l’œuvre), de repérer et de classer des thèmes et procédés stylistiques (dont l’ironie), et de choisir des éléments d’analyse (lien entre le propos, les thèmes et le style). Notre second objectif concerne la résolution de la situation-problème et il s’articule autour du développement des capacités de prendre des décisions et de résoudre des problèmes. Enfin, nos derniers objectifs ont trait au mini-projet de création littéraire et ils sont de faire des liens entre un thème critiqué dans l’œuvre et un thème qui l’est dans notre société, de réinvestir les connaissances apprises dans une nouvelle situation, d’approfondir ces notions et, enfin, de développer le jugement et la pensée critique par rapport à un thème controversé dans notre société. De plus, ce projet permettra de développer la « compétence littéraire²» des étudiants.

LA SÉQUENCE

AVANT LA LECTURE

Note : L'édition choisie comporte à la fois la version en vieux français dans la page de gauche et la traduction dans la page de droite, il faut donc tenir compte du fait que le nombre de pages réelles lues par les étudiants doit être divisé en deux.

Activité 1 – Contexte sociohistorique de l’œuvre (1^er cours)

Le premier cours a pour objectif de définir le contexte sociohistorique de l’œuvre à l’étude afin que les étudiants soient en mesure de mieux comprendre ce contexte et d’y situer Gargantua. Pour ce faire, nous allons utiliser la formule pédagogique du groupe d’experts. Des extraits de textes du XVI^e siècle seront distribués aux étudiants, soit certains passages de L’Heptaméron de Marguerite de Navarre, des Essais de Michel de Montaigne, de L’Éloge de la Folie d’Érasme, et de L’Utopie de Thomas More. Nous leur préparerons aussi, à l’aide du Lagarde et Michard, des textes sur des sujets historiques. Les étudiants forment des équipes en fonction du texte qu’ils ont reçu, ils le lisent, puis ressortent les caractéristiques de la Renaissance ou de l’humanisme et approfondissent ces notions en équipes. Ensuite, ils partagent leurs observations dans une équipe différente où il y a un expert de chaque notion. De cette manière, ils peuvent s’approprier ces concepts et partager leurs découvertes. Cette activité se déroule avant le début de la lecture de Gargantua, car il est primordial que les étudiants soient en mesure de reconnaître les caractéristiques du contexte sociohistorique dans l’œuvre.

PENDANT LA LECTURE

Activité 2 – Présentation du prologue (1^er cours)

La deuxième partie du premier cours consistera à commencer la lecture de l’œuvre en grand groupe afin de démystifier les difficultés de celle-ci et de la rendre plus accessible aux étudiants. L’enseignant fera ressortir certains éléments du prologue comme les références à des auteurs, l’intertextualité, il expliquera certains mots difficiles, etc. Il expliquera également comment prendre des notes de lecture efficaces en inscrivant les thèmes principaux de chaque chapitre et invitera les étudiants à prendre des notes en marge ou sur une fiche pour indiquer si ceux-ci sont abordés de manière positive ou négative. Cette activité, loin d’être naïve, permettra aux étudiants de s’y retrouver plus facilement lors de la résolution du problème. Finalement, l’enseignant indiquera aux étudiants les chapitres à lire pour le prochain cours (chapitres 1 à 13, soit 45 pages à lire) et leur demandera de trouver des sources qui contiennent des exemples d’ironie.

Activité 3 – L’ironie (2^e cours)

Le second cours commencera par un retour sur l’ironie trouvée dans les sources des étudiants et l’enseignant leur demandera d’expliquer où elle se trouve et pourquoi elle est employée par l’auteur du message. Le rôle de l’enseignant sera de donner de la rétroaction afin que les étudiants en arrivent à une définition de l’ironie. Après avoir présenté une définition, l’enseignant donnera des exemples tirés de la vie courante en présentant deux extraits vidéo, le premier d’une télésérie populaire nommée La petite vie³ et le deuxième provenant d’une émission intitulée Infoman⁴. L'enseignant demandera aux étudiants de relever l’ironie dans ces extraits. Ce concept doit être vu dès le début de la lecture de l’œuvre, car il est central pour bien cerner son propos et pouvoir l’interpréter de manière judicieuse. De plus, la notion de l’ironie doit être abordée dans la résolution de la situation-problème.

Activité 4 – Analyse de Gargantua (2^e cours)

Ensuite, il sera question d’analyser le personnage de Gargantua à la lumière de la lecture faite par les étudiants. L'enseignant demandera aux étudiants de travailler en équipes pour établir si le personnage est un héros ou un antihéros et par la suite ils devront partager leurs réponses avec le groupe. Cette activité doit être réalisée pendant la lecture puisque la représentation du personnage se construit au fur et à mesure que les étudiants lisent les chapitres. Les concepts du héros et du antihéros pourraient servir à répondre à la deuxième partie de la situation-problème et ils seront utiles lors de la réalisation de l’activité de création.

Activité 5 – Le carnavalesque et le grotesque (2^e cours)

Le dernier segment du deuxième cours consistera à analyser la présence de caractéristiques carnavalesques et grotesques dans le roman et d’insister sur l’inversion des codes qu’on y retrouve. L’enseignant présentera des extraits d’émissions de télévision, Les Bougon⁵ et Les Simpson⁶, pour illustrer l’exagération et l’inversion des codes, un extrait du film d’animation Les douze travaux d’Astérix⁷ pour illustrer le grotesque, puis il montrera une vidéo du carnaval de Rio⁸ pour montrer ce qui caractérise le carnaval et la démesure⁹. Les étudiants seront ensuite invités à repérer ces éléments dans le roman et à réfléchir sur leur signification. Cette activité doit survenir pendant la lecture afin que les étudiants aient suffisamment d’éléments en main pour savoir reconnaître les caractéristiques du carnaval et du grotesque. Ces notions pourraient aider à répondre à la deuxième partie du problème. L’enseignant demandera ensuite aux étudiants de lire les chapitres 14 à 30 du roman, soit 62 pages à lire.

Activité 6 – Évaluation formative : résolution du problème (3^e et 4^e cours)

Claudia, une étudiante du programme Sciences, lettres et arts du Cégep de Sainte-Foy, souhaite soumettre sa candidature pour participer à un échange étudiant qui a lieu en France. Elle irait habiter dans une résidence et assisterait à des cours de lycée pendant une session. Elle désirerait faire son séjour à Tours, en France, ville réputée pour ses vins exquis, ses petits fromages de chèvre et ses andouillettes pas piquées des vers. Claudia doit préparer un dossier de candidature avec une lettre de motivation, un curriculum vitæ, des références complètes, un dossier classique, quoi. Si elle répond aux exigences et aux conditions du comité de sélection, elle sera convoquée en entrevue.

Hourra! Elle a réussi la première étape. Elle reçoit donc par la poste une consigne pour se préparer à l’entrevue. Elle doit prendre connaissance d’une œuvre écrite par un auteur natif de la région tourangelle. Elle feuillette son exemplaire de Gargantua, de François Rabelais. Dans l’enveloppe, elle trouve également une feuille de préparation qui comporte les questions auxquelles elle devra répondre en entrevue :

1- En quoi peut-on dire que Gargantua est un roman représentatif de son époque?

2- Comment l’auteur s'y prend-il pour faire passer son message?

3- Quelle vision de la société du XVI^e siècle le roman véhicule-t-il?

De plus, la consigne demande la production de schémas ou de tableaux qui permettent de synthétiser les éléments de réponse des trois questions. Elle aura seulement droit à ceux-ci lors de l’entrevue.

Elle se met immédiatement au boulot, car, à partir de maintenant, chaque minute compte pour qu’elle puisse réaliser son projet. Elle sollicite votre aide pour préparer ses réponses, sachant que vous suivez un cours de littérature sur cet auteur.

Les étudiants liront la situation-problème, formeront des équipes et ils devront élaborer les étapes de résolution du problème. Ils auront à trouver des sources qui les aideront dans leur démarche, soit les notes prises en classe et les textes étudiés, et ils établiront s’ils doivent trouver des sources ailleurs. L’enseignant sera là pour donner de la rétroaction aux étudiants et leur indiquer s’ils sont sur la bonne voie. Après avoir mis en commun les sources trouvées pour répondre aux questions de la situation-problème, ils pourront commencer à rédiger leurs hypothèses. Ensuite, ils partageront leurs réponses avec le reste de la classe et l’enseignant pourra donner des précisions lorsqu’il le juge nécessaire. Ce partage des solutions constitue une évaluation formative. Il leur expliquera également qu’ils pourront approfondir ces notions et les réinvestir lors de la réalisation d’une création littéraire au cours suivant. Il leur demandera de lire les chapitres 31 à 56 étalés sur deux cours, soit 43 pages à lire après chaque cours. Ils devront également trouver des sources actuelles qui comportent un thème critiqué dans Gargantua afin de réaliser leur création littéraire. De plus, ils devront penser à une figure de antihéros dans notre société, qui sera le personnage principal de leur texte.

APRÈS LA LECTURE

Activité 7 - Évaluation sommative : création littéraire (5^e et 6^e cours)

Le cinquième cours commencera par l’explication des consignes pour la création littéraire. L’enseignant demandera aux étudiants de réaliser une parodie de Gargantua où les caractéristiques du carnaval, soit la caricature, le grotesque ou l’exagération, seront portées par le antihéros. Ces éléments, en plus d’au moins une utilisation de l’ironie, permettront de faire passer par l’étudiant la critique inspirée d’un article ou de paroles de chansons. La production littéraire constitue une forme d’évaluation sommative; elle comportera 500 mots, sera réalisée en solo et vaudra pour 25 % de la session. Les étudiants devront produire une affiche. Avant d’être remise et évaluée de manière sommative, la création littéraire sera lue par les pairs et par l’enseignant lors d’une exposition des affiches en classe et l’étudiant aura l’occasion de la retravailler.  Les étudiants se promèneront d’un kiosque à un autre pour prendre connaissance du thème choisi par les autres étudiants, de l’extrait de journal ou de paroles de musique qui a inspiré leur création littéraire, et ils pourront se lire les uns les autres. Ce sera l’occasion pour eux de se donner de la rétroaction sur leurs créations et de travailler leurs stratégies de relecture et de révision en équipes de deux. À la fin du cours, les étudiants remettront une première version de leur création à l’enseignant qui pourra l’évaluer de manière formative et leur suggérer des améliorations à apporter pour l’évaluation sommative. Les étudiants pourront donc avoir une deuxième forme de rétroaction sur leur création. La remise finale de la création littéraire aura lieu au cours 8. Ensuite, l’enseignant publiera les créations littéraires des étudiants qui ont donné leur accord sur le blogue du cours pour que les autres étudiants puissent avoir accès à ces créations et que l’activité ait un rayonnement hors classe.

Cette activité sera l’occasion de montrer que la critique sociale présente dans Gargantua se trouve également dans les médias et dans la vie artistique et culturelle de notre société, et qu’elle peut être représentée de différentes manières par des personnages de antihéros notamment. Ainsi, la création littéraire permet de synthétiser les concepts appris dans les cours précédents et de faire le lien entre les enjeux de la société du XVI^e siècle et ceux de la société actuelle.

Références

¹ RABELAIS, François, Gargantua, Paris, Pocket classiques, 1998, 485 p.

² OUELLET, Sébastien, et Jean-François BOUTIN, « La compétence littéraire pour renouveler l’enseignement de la littérature» dans Enseigner au collégial, une profession à partager, [en ligne]. http://www.cdc.qc.ca/actes_aqpc/2006/Ouellet_Sebastien_602.pdf  [Texte consulté le 7 décembre 2010].

³ MEUNIER, Claude, Josée FORTIER et Pierre SÉGUIN, La petite vie, Montréal, Avanti Ciné Vidéo : Imavision, 2008.

⁴ DUFORT, Jean-René, Infoman, http://www.tou.tv/infoman/S2010E03 [Document consulté le 28 décembre 2010].

⁵ AVARD, François et Alain DESROCHERS, Les Bougon : c’est aussi ça la vie! : l’intégrale de la première saison, Montréal, Alliance Atlantis Vivafilm, 2005.

⁶ GROENING, Matt et David SILVERMAN, Les Simpson : l’intégrale de la troisième saison, Beverly Hills, Twentieth Century Fox Home Entertainment, 2003.

⁷ GOSCINNY, René et Albert UDERZO, Les douze travaux d’Astérix, Montréal, Léa Films, 2005.

⁸ Dans les coulisses du carnaval de Rio, États-Unis, National Geographic Society, 2007, http://www.telequebec.tv/documentaire [Document consulté le 28 décembre 2010].

⁹ BAKHTINE, Mikhaïl, L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1996, 471 p.