Justification et pertinence de l’œuvre choisie
Cette séquence est construite autour du roman Vercoquin et le plancton de Boris Vian [1]. Elle s’adresse à des élèves de cinquième secondaire à cause, d’une part, de sa complexité sur le plan du lexique et de la critique sociale dont elle est prégnante et à cause, d’autre part, de certaines scènes (quelques passages plus osés).
Problèmes et objectifs
- Amener les élèves à comprendre le courant de l’absurde (approche culturelle) et voir comment il prend forme dans Vercoquin et le plancton.
- Comprendre les particularités du lexique utilisé.
- Saisir la critique sociale de l’œuvre qui porte sur la bureaucratie et sur le monde du travail.
- Comprendre comment le lexique et l’utilisation de l’absurde viennent contribuer à la construction de cette critique.
1. AVANT LA LECTURE
1.1. Construction du concept de l’absurde par les élèves (activité 1)
Avant d’entrer dans la lecture, il est essentiel pour les élèves de saisir ce qu’est l’absurde [2] afin d’avoir les clés nécessaires pour comprendre le roman. Nous proposons de faire découvrir le courant à travers un réseau de textes. Nous privilégions d’abord la « participation » de l’élève, puis nous mettrons en parallèle cette participation avec une approche plus « rationnelle » ou analytique afin de créer le va-et-vient qui caractérise la lecture littéraire selon Dufays [3]. Après chaque extrait, l’enseignant demande aux élèves de partager leurs réactions. Était-ce drôle? Si oui, qu’est-ce qui les a fait rire et pourquoi?
- Le revendicateur de Jean-Thomas Jobin[4], un humoriste québécois.
- Le générique de la célèbre série québécoise La Petite vie, série diffusée dans les années 90 (l’absurde à travers les images).
- Un extrait de la pièce La Cantatrice chauve de Ionesco qu’on fera jouer par les élèves (dramaturge reconnu, autre genre littéraire).
À cette étape de l’activité, on fait ressortir la présence d’humour et d’éléments illogiques, l’absence de sens ou de liens, l’absurde. L’enseignant explique l’origine historique du courant de l’absurde [5]. Il faut ensuite montrer que l’absurde sert souvent à mettre en scène une critique sociale et qu’elle peut parfois se retrouver dans des œuvres plus sérieuses.
- Présentation du mythe de Sisyphe.
Pourquoi le destin de Sisyphe est-il absurde? Réponse : Sisyphe fera pour l’éternité une tâche impossible à accomplir.
- Chansons Le petit commerce et Le déserteur de Boris Vian.
1.2. Présentation de l’auteur (activité 2)
L’écoute des deux chansons de Vian vise aussi la familiarisation des élèves avec cet auteur. Afin d’achever la présentation de Vian, l’enseignant lit sa biographie qui se trouve au début du roman (p. 7-8). Par la suite, l’enseignant fera remarquer que certains éléments du roman sont autobiographiques. À la fin de l’activité, les élèves devraient avoir fait quelques constats : l’absurde, c’est l’absence de sens; l’absurde permet parfois de mettre en place une critique sociale (souvent le cas chez Vian); l’absurde se retrouve chez différents auteurs et est encore présent aujourd’hui.
2. PENDANT LA LECTURE
2.1. Le lexique (activité 3)
Nous proposons de lire la première partie du roman (pages 13 à 66) à haute voix [6] (le reste du roman sera lu individuellement). Cela favorise la mise en place d’interactions entre les élèves par rapport à la lecture. De plus, Vercoquin et le plancton est un texte « dont l’altérité (la spécificité, la nouveauté) » peut amener « un sentiment […] de perte » qui diminue le plaisir lié à la lecture [7], d’où l’intérêt d’entrer progressivement dans le texte en fournissant des repères aux jeunes.
Dans un premier temps, l’enseignant lit assez lentement. Il questionne les élèves pour s’assurer qu’ils saisissent les images créées par l’auteur et l’originalité de certaines expressions, qu’ils constatent l’abondance de détails (généralement inutiles) et la présence de néologismes, de mots recherchés, etc. Dans Vercoquin et le plancton, le lexique contribue grandement à la construction du discours absurde. À la fin de la première partie, les élèves sont amenés à réécrire certains passages du texte en les rendant plus concis, en neutralisant le lexique et en supprimant les passages irréalistes, et ce, dans le but de saisir l’originalité du style. Les élèves discutent ensuite de leurs réécritures et comparent leurs choix d’écriture. Voici quelques passages pouvant être utilisés dans l’activité de réécriture :
1. Images, expressions : chapitre XV, deuxième paragraphe. « Il promena sur l’assistance un sourire béat de chèvre qui aurait trouvé du foin dans ses sabots. »
Exemple de réécriture : Il affichait un sourire béat parce qu’il était comblé.
2. Abondance de détails, descriptions très détaillées : chapitre XXII, deuxième paragraphe (fin de la surprise-partie).
3. Recherche d’un langage précis et détaillé : chapitre VIII, premier paragraphe.
3. APRÈS LA LECTURE
3.1. Schéma narratif (activité 4)
Les élèves reconstituent le schéma narratif de Vercoquin et le plancton en équipe de deux. Cette activité servira d’introduction à l’analyse de la critique littéraire. De plus, elle permet de faire un retour sur la lecture tout en s’assurant que l’histoire a été bien comprise par tous.
Voici un exemple de réponse :
Situation initiale : Surprise-partie chez le Major.
Élément déclencheur : Rencontre avec Zizanie.
Péripéties : Tentatives de rendez-vous avec Miqueut, embauche du Major, création d’un Nothon sur les surprises-parties… fiançailles ennuyeuses et décevantes pour les jeunes.
Dénouement : Organisation d’une surprise-partie.
Situation finale : Explosion. Le Major se demande s’il était bien fait pour le mariage (il est à nouveau célibataire et tous les personnages qui sont apparus à travers le roman sont morts).
À la suite de la création du schéma narratif et en se basant sur la situation finale, l’enseignant questionne les élèves sur la relation entre le Major et Zizanie afin de leur faire prendre conscience du caractère secondaire du thème de l’amour, celui-ci permettant principalement d’organiser la trame narrative [8]. Partant de ce constat, les élèves sont amenés à faire des hypothèses pour voir quel est vraiment le thème développé dans ce roman, quelle est la critique mise en place. L’enseignant doit adopter une attitude d’ouverture vis-à-vis l’interprétation des élèves. Toutefois, l’on s’arrêtera sur une problématique commune pour des besoins pratiques : la dénonciation de la bureaucratie. Le fait d’être ouvert à la polysémie de l’œuvre sera aussi de mise lors de l’activité cinq [9].
3.2. Analyse de la critique sociale (activité 5)
Il est, selon nous, essentiel d’analyser la critique sociale dans Vercoquin et le plancton, d’abord parce que la critique est fréquente chez Boris Vian, ensuite parce qu’elle occupe une place majeure dans le roman. L’analyse de la critique n’est optimale que si l’on comprend bien les différents mécanismes du discours qui sont utilisés dans sa construction et c’est pourquoi elle se situe à la fin de la séquence.
Les élèves tentent de faire ressortir individuellement des passages de l’œuvre qui exprime la critique sociale (dénonciation de la bureaucratie). Par la suite, en équipes de trois ou de quatre, ils discutent de leurs découvertes et ils essaient de lier les passages entre eux, de trouver quelles formes prend la critique sociale dans le roman et comment elle se concrétise dans le texte. L’enseignant circule entre les équipes pour écouter les élèves et les réorienter lorsque nécessaire. L’activité se termine par une mise en commun des analyses. Les élèves doivent prendre des notes auxquelles ils pourront se référer lors de l’activité d’écriture finale. Différents aspects de la bureaucratie pourraient être abordés.
En voici quelques-uns :
Caractère accaparant du travail
|
Miqueut parle au téléphone trois mois avec le président (p. 98), Miqueut veut parler à Pigeon de la Commission des Emballages Perdus lors de la fête (p. 193), etc.
|
Perte de temps, paperasse, grande importance accordée à des détails.
|
« Sténo intégrale des débats […] » (p. 145), Pigeon doit préparer une « note » (p. 111), etc.
|
Processus lourd et inutile : plusieurs étapes et plusieurs personnes impliquées.
|
Voir la troisième partie du roman, chapitre VII.
|
4. ÉVALUATION SOMMATIVE
Intégration des différents éléments dans une activité d’évaluation (activité 6)
Afin d’intégrer les différentes activités menées précédemment, les élèves auront à écrire un texte argumentatif (structure non déterminée) dans lequel ils expliciteront les liens entre le lexique, l’absurde et la critique de la bureaucratie [10]. Ces trois éléments sont, en effet, interreliés. Par exemple, l’utilisation du lexique et de certaines expressions permet de créer des effets absurdes (se référer notamment aux extraits cités dans l’activité 2). De même, l’absurde contribue à la dénonciation de la bureaucratie (par exemple, il est insensé qu’il existe un « Institut du Caoutchouc pour les essais de vessies à glace » (p. 74). Cette création romanesque permet de montrer le caractère inutile de certains travaux de bureau.) Le texte demandé aux élèves devrait faire environ 500 mots. L’évaluation portera sur la capacité à lier les divers éléments étudiés ce qui, selon nous, est un indicateur de la compréhension générale du roman.
[1] Boris Vian (2005, c1947). Vercoquin et le plancton. Paris : Gallimard (collection l’imaginaire), p. 196 pages.
[2] Voir Michel Pruner (2003). Les théâtres de l’absurde. Paris : Nathan/VUEF, p. 1.
[3]Jean-Louis Dufays, Louis Gemenne et Dominique Ledur (2005). Pour une lecture littéraire : Histoire, théories, pistes pour la classe. 2e édition, Bruxelles : De Boeck Université, p. 128.
[4] Afin d’alléger le texte, les liens des extraits se retrouvent en bibliographie ou en annexes.
[5] Michel Pruner (2003). Op. cit., chapitre 1.
[6]Jean-Louis Dufays, Louis Gemenne et Dominique Ledur (2005). Op. cit., p. 200.
[7] Ibid., p. 133.
[8] « Le fait de poser des questions amène les élèves à participer activement à leur compréhension du texte. » Jocelyne Giasson (1990). La compréhension en lecture. Boucherville : Gaëtan Morin, p. 237.
[9] Pour plus de détails sur le sujet, voir Jean-Louis Dufays, Louis Gemenne et Dominique Ledur (2005). Op. cit., p. 138-139.
[10] On peut et on doit évaluer « la capacité à lire un texte à des niveaux de sens différents et de mettre en relation des éléments divers appartenant à ces niveaux ». Ibid., p. 322-323.