L’expression du point de vue comme problème de lecture et d’écriture

Au Québec, le quatrième cours de littérature au collégial est consacré à la communication et au discours. Les étudiants doivent développer la compétence de produire différents types de discours oraux et écrits liés à leur champ d’études. Dans les institutions de niveau collégial, ce cours est souvent associé au genre de l’essai. Pour plusieurs auteurs, ce genre littéraire constitue le moyen d’exprimer leurs idées et leurs sentiments au sujet des grands enjeux sociaux de leur temps. À ce titre, l’essai plutôt récent de Sébastien Filiatrault, Génération IDéaliste , s’inscrit tout à fait dans cette lignée.

Pertinence de l’œuvre

Dans un cours qui s’adresse en majorité à des jeunes de 18 à 20 ans, il semble pertinent de proposer la lecture d’un essai écrit par un jeune auteur. En fait, Sébastien Filiatrault, né en 1978, a 26 ans lorsqu’il publie Génération IDéaliste. Des mots mêmes de l’auteur, ce livre s’adresse à la jeune génération, car c’est elle qui a la force et l’énergie de changer les choses. Dans cet essai, Filiatrault s’intéresse à des pans de la société qui sont toujours d’actualité aujourd’hui. La convergence des médias, les compressions budgétaires affectées à l’éducation, la transformation de l’art en industrie économique, la surconsommation, le désintérêt envers la politique, la détérioration de l’environnement, la société de compétition et la perte des valeurs familiales ne sont que quelques-uns des problèmes qu’il dénonce. Le rôle d’un enseignant est aussi de sensibiliser les étudiants aux évènements qui se déroulent autour d’eux afin de les amener à prendre conscience, de façon critique, du monde dans lequel ils vivent.

Situation problème

À première vue, Génération IDéaliste peut être ardu pour plusieurs étudiants. D’une part, l’accumulation de problèmes sociaux liés à des enjeux pouvant paraitre très éloignés les uns des autres décourage les étudiants. D’autre part, le ton moralisateur peut venir heurter certains étudiants qui ne s’étaient pas encore attardés à ces phénomènes sociaux. Le principal problème sur lequel s’appuie cette séquence didactique est l’expression du point de vue. L’étude du genre de l’essai permet d’analyser la façon de mettre en œuvre l’opinion, ce que les étudiants auront à faire, tant à l’oral qu’à l’écrit, tout au long de leur dernier cours de français. En ce sens, le problème de l’intention d’un auteur dans les différents types de discours doit aussi être abordé. Quels sont les procédés qui peuvent être utilisés pour faire passer le point de vue? Les étudiants devront, oui, les connaitre, mais surtout se les approprier.

AUTOUR DE L’ŒUVRE

1) Intentions de communication (séance 1)

Pour que les étudiants comprennent les différentes raisons qui pousse une personne à écrire, il est important d’étudier les intentions de communication telles que convaincre, informer (ou renseigner), séduire (charmer ou émouvoir) et instruire (enseigner). Après l’explication des fonctions du langage (expressive, poétique, informative, relationnelle, métalinguistique et incitative) et des différents tons pouvant être employées (humoristique, moralisateur, ironique, philosophique, etc.) présentée par l’enseignant, les étudiants pourront assimiler plus en profondeur les notions lors d’un travail en équipe de deux ou trois. Ils devront écrire un avis de recherche de trois façons différentes : pour informer, pour convaincre et pour émouvoir. Pour aider les étudiants qui auraient pu avoir de la difficulté avec cet exercice, un retour en grand groupe sera effectué afin de permettre une rétroaction immédiate et la présentation d’une panoplie d’exemples. Ensuite, dans une autre activité en plénière, l’enseignant présentera quelques images publicitaires et demandera aux étudiants de trouver l’intention des créateurs.

2) Présentation du journal de bord (séance 1)

Tout au long de cette séquence didactique, les étudiants tiendront un journal de bord dans lequel ils écriront de courts textes leur permettant de donner leur opinion sur un sujet d’actualité ou un évènement vécu récemment. L’étudiant pourra ainsi apprivoiser sa pensée critique et son jugement tout en améliorant ses capacités à exprimer son point de vue dans un texte écrit. Ces rédactions seront évaluées par les pairs à chaque début de cours selon les critères suivants : (1) L’étudiant exprime-t-il une idée personnelle sur un sujet ou un évènement? (2) L’étudiant utilise-t-il un ton qui s’éloigne du ton neutre?

3) Types de discours (séance 2)

Dans ce cours, les étudiants travailleront d’abord en équipe de quatre pour classer différents textes selon leur appartenance aux discours informatif, expressif ou critique. L’enseignant attirera l’attention des étudiants sur l’énonciation (qui parle et à qui?), sur la nature des phrases (ponctuation, rythme, questions), sur le vocabulaire utilisé (termes spécialisés, adjectifs, verbes d’opinion) et sur la structure (hiérarchie des éléments, liberté formelle). À partir du classement effectué par les étudiants, l’enseignant pourra élaborer un tableau contenant les caractéristiques propres à chacun des discours.

4) Activité formative (séance 2)

Dans la seconde partie du deuxième cours, les étudiants devront écrire un court texte expressif. Ils amélioreront ainsi leur maitrise du style, aspect qui permet d’exprimer de façon plus concise une idée et qui sera particulièrement évalué dans l’abécédaire. La consigne de cette évaluation formative sera la suivante : rédigez les premières lignes de votre autobiographie. Veillez à inclure les caractéristiques du discours expressif dans votre écriture. N’oubliez pas de séduire ou d’émouvoir votre lecteur. L’enseignant corrigera ces rédactions et pourra offrir une rétroaction aux étudiants dès le cours suivant afin qu’ils puissent également travailler le style dans leur journal de bord.

5) L’essai littéraire et les chroniques (séance 3)

Au début de ce cours, l’enseignant présentera quelques caractéristiques importantes du genre de l’essai telles que la subjectivité, l’ancrage dans le réel, l’intention (informer, convaincre, séduire, émouvoir, etc.), la réflexion et la liberté formelle.

Pour travailler sur ces différents aspects, les étudiants liront quelques chroniques comme celles de Pierre Foglia, de David Desjardins, de Patrick Lagacé, de Stéphane Laporte, de Richard Martineau, de Nathalie Petrowski et de Réjean Tremblay. En équipe de quatre, ils analyseront une chronique pour y trouver le principal problème abordé, les arguments et les preuves utilisés, l’intention, le type de discours, le ton et le style. Grâce à un retour en plénière, les étudiants pourront prendre en note les caractéristiques des autres chroniques. Grâce à cette activité, les étudiants apprendront à reconnaitre plusieurs aspects de l’écriture de l’essai auxquels ils porteront attention lors de la lecture de Génération IDéaliste.

AU CŒUR DE L’ŒUVRE

6) Tableau comparatif : essais (séance 4)

Afin d’étudier les différents enjeux sociaux présents dans Génération IDéaliste, ce cours sera consacré à une activité comparative entre cet essai de Sébastien Filiatrault et deux extraits de l’essai de Jacques Godbout et Richard Martineau intitulé Le buffet : dialogue sur le Québec à l’an 2000 (extraits choisis de la page 40 à la page 48). L’intérêt de l’étude de cet essai réside dans la différence d’âge entre les auteurs : ils appartiennent à deux générations complètement différentes, qui ne correspondent pas non plus à la génération de Filiatrault. L’objectif de cette activité est d’amener les étudiants à comprendre que les idées évoluent avec le temps et que différents auteurs expriment des opinions parfois semblables, mais jamais de la même façon. Un peu à la façon de Génération IDéaliste, Le buffet est une critique de la société déjà en place qui propose des solutions pour créer une société différente, meilleure.

Au début du cours, les étudiants devront lire les deux extraits du Buffet seuls en prêtant attention aux thèmes importants, au style et au ton des auteurs. Ensuite, en équipes de 4, ils feront le travail de comparaison en répondant aux questions présentées dans les prochaines lignes et en organisant les réponses dans un tableau sur une feuille 11x17.

Questions. (1) Trouvez deux sujets traités par Godbout et deux sujets traités par Martineau. Associez deux chapitres de Filiatrault qui s’y rapportent. (2) Explicitez le traitement des deux sujets chez les trois auteurs (quelle est leur(s) thèse(s), leur(s) valeur(s)?) (3) Quel est le portrait de la société fait par chaque auteur (de quelle façon voient-ils la société québécoise?) (4) Quelle est l’intention de l’auteur? (4) Quel type de discours est utilisé? (5) Quel est le ton principal? (6) Quel style particulier l’auteur préconise-t-il? (7) Quelles sont les solutions proposées par chaque auteur? (8) Et votre génération? Est-ce que cette façon de voir les choses a changé? Quelle est votre opinion?

Dans la dernière partie du cours, l’enseignant animera un retour sur le tableau en plénière. À la fin, les étudiants réfléchiront à leur façon d’envisager tous ces enjeux sociaux. Cette activité peut laisser place au débat d’idées entre les étudiants autour des solutions à apporter.

7) Fiches de lecture : chansons (séance 5)

Pendant la lecture de Génération IDéaliste, les étudiants devaient remplir, pour chacun des chapitres, des fiches de lecture en répondant aux questions suivantes. (1) Quel est le sujet? Expliquez le problème soulevé. (2) Quelles sont les causes et les conséquences du problème? (3) Quelles sont les solutions proposées?

Au cours précédent, chaque chapitre de l’essai aura été assigné à une équipe de trois ou quatre étudiants. Tous les étudiants devaient alors trouver une chanson québécoise francophone traitant du même sujet que le chapitre qu’ils auront à travailler. Durant le cours, chaque équipe devra choisir la meilleure chanson en lien avec son chapitre. Les étudiants résumeront d’abord le chapitre en s’attardant aux arguments développés par Sébastien Filiatrault pour appuyer son point de vue. Ensuite, ils relèveront les ressemblances et les différences dans le traitement du sujet entre la chanson et l’essai (ces deux textes expriment-ils la même opinion?). Enfin, ils devront aussi se questionner sur l’efficacité de chacun des deux modes d’expression en répondant aux questions suivantes. (1) Selon vous, le message passe-t-il mieux à travers la chanson ou l’essai? (2) Quels sont les avantages et les inconvénients de chacun de ces deux modes d’expression?

Par la suite, chaque équipe viendra présenter ses résultats à l’avant de la classe en prenant soin de lire un extrait révélateur de la chanson choisie.

À LA SUITE DE L’ŒUVRE

8) Débat (séance 6)

L’avant-dernier cours de cette séquence didactique sera consacré à un débat en groupe de six à huit personnes sur un sujet d’actualité (ce sujet sera dévoilé une semaine avant le débat afin que les étudiants puissent rechercher des informations pouvant appuyer leur point de vue). Les étudiants devront préparer un argumentaire convaincant servant à défendre leur point de vue sur le sujet. À tour de rôle, ils auront d’abord une minute pour exprimer de façon cohérente leur position. Ensuite, ils pourront se répondre dans le but de faire progresser la discussion. Par cette activité, les étudiants apprennent à exprimer leur opinion dans le feu de l’action, comme il est courant de le faire dans la vraie vie.

9) Évaluation sommative (séance 7, à finir en-dehors du cours)

Les consignes de l’évaluation doivent être données à la deuxième séance afin que les étudiants puissent réfléchir à leur sujet à l’avance. Les étudiants auront à produire un abécédaire thématique partiel (8 lettres) sur un sujet lié à leur avenir professionnel ou à leur programme d’études. Ils rédigeront donc huit courts textes reliés à leur problématique et dont les titres se résumeront à un seul mot. Ces textes d’environ 150 mots seront critiques et/ou expressifs.

Le septième cours sera consacré au choix d’un sujet, approuvé par l’enseignant, et à l’élaboration d’une intention de communication. Les étudiants travailleront à trouver les huit mots qui constitueront les titres de l’abécédaire et les éléments qu’ils voudront aborder. Ils réfléchiront également au(x) ton(s) qu’ils emploieront. L’abécédaire thématique permet à l’étudiant d’intégrer toutes les compétences qu’il a développées durant cette séquence didactique au sujet de l’intention de communication, des types de discours, des tons et des styles utilisés dans des discours critique et expressif, des caractéristiques de l’essai et de l’expression du point de vue. Les étudiants doivent utiliser de façon stratégique le discours critique lorsqu’il est temps de convaincre, et le discours émotif pour ajouter aux arguments rationnels qu’ils ont déjà utilisés. Enfin, ces textes critiques seront publiés sur un blogue, ce qui s’inscrit encore davantage dans la réalité des jeunes cégépiens d’aujourd’hui, tout en les sensibilisant à l’importance de soigner leur écriture.

MÉDIAGRAPHIE

Corpus primaire

FILIATRAULT, Sébastien, Génération IDéaliste, Montréal, Les Intouchables, 2004, 154 pages.

Corpus secondaire

GODBOUT, Jacques et Richard MARTINEAU, Le buffet : dialogue sur le Québec à l’an 2000, Montréal, Boréal, 1998, 120 pages.

MOFFET, Jean-Denis, «Des stratégies pour favoriser le transfert des connaissances», Revue des sciences de l’éducation, vol. XXI, no 1, 1995, p. 95-120.

SCALLON, Gérard, « L’évaluation formative et le temps d’enseigner », Vie pédagogique, no 99, mai-juin 1996, p. 4-9.

SIMARD, Claude, « La problématique de l’enseignement littéraire », Québec français, no 74, 1989, p. 70-73.