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L'Écume des jours

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
L'Écume des jours
VIAN, Boris
Par Claudia Raby


Nationalité de l'auteur : Française
Genre : Roman
Courant :
Siècle :
Groupe d'âge visé : Collégial
Auteur de la séquence : Claudia Raby
Date du dépôt : Hiver 2011


 

La pertinence du texte

 

Choisir L’Écume des jours de Boris Vian comme noyau d'une séquence didactique pour l'enseignement du français au collégial constitue tout d'abord une reconnaissance de son importance patrimoniale. Ses dimensions intertextuelle et multidisciplinaires offrent aussi de belles possibilités à l'enseignant. Outre la relation de l’auteur avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, la séquence tend à souligner les jeux d’influence qui s’illustrent en chanson, en peinture et en écriture dans la culture française du XXe siècle.

 

Si ces liens enrichissent le portrait de Vian à brosser en classe, celui qui existe entre L’Écume des jours et le surréalisme peut servir de tremplin à une séquence didactique axée sur l’écriture. Les jeux et l’esthétique surréalistes donnent lieu à une mise en pratique littéraire par la comparaison intertextuelle, la création littéraire et l’illustration multiforme des procédés stylistiques et des tonalités.

 

Le cœur du problème : la distorsion

 

L’intitulé du cours Littérature et imaginaire (601-102) induit l’idée d’un lien indissociable entre ces deux notions. Véritable pont entre la production littéraire et la réalité, l’imaginaire devient la lunette par laquelle les étudiants du collégial, généralement âgés de 17 à 19 ans, sont appelés à lire et à comprendre les œuvres. L’Écume des jours, roman dans lequel l’auteur s’amuse à livrer une image déformée de la réalité, rencontre de façon particulièrement ludique l’énoncé de la compétence du second cours de la formation générale commune : expliquer les représentations du monde contenues dans les œuvres littéraires. Dans le cas de Vian, le défi consiste à étudier et à analyser une singulière « projection de la réalité, […] sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion[1]. » Ces mots de l’auteur soulignent le principal problème de lecture que pose le roman : l’hybridation esthétique et la déformation des motifs en alimentent les difficultés de compréhension. Pour cette raison, les objets de distorsion et le sens de ce « procédé avouable, s’il en fut[2] », constituent le fil conducteur de cette séquence didactique axée sur la création littéraire. Problème originel, la distorsion devient aussi la clé de la lecture et de l’écriture.

 

Le grand problème de la distorsion du réel fait naitre plusieurs microproblèmes à résoudre au fil des semaines consacrées à l’étude du roman. La révolte comme distorsion colérique et parodique, la dérision comme distorsion tragicomique et la fatalité amoureuse comme distorsion tragique soulèvent des questions auxquelles répondront ultimement l’étude et la création du pastiche, genre tout indiqué pour mettre la distorsion à l'honneur. Si Vian crée à la manière des surréalistes tout en donnant une cohérence nouvelle à leur démarche, les étudiants inscrits au cours Littérature et imaginaire (601-102), généralement âgés de 17 à 19 ans, sont invités à leur tour à s'approprier la « manière » de Vian. Il importe donc de préciser que cette séquence promet des jours aussi distordus que l’esthétique de Vian, mais aussi une cohérence calquée sur celle de son roman, dessinant une progression de la tonalité comique au tragique.

 

Les objectifs de la séquence

 

Les objectifs d’apprentissage de cette séquence didactique se moulent à cette vision évolutive :

 

  • Interpréter les symboles décrits dans L’Écume des jours à la lumière des jeux d’écriture surréaliste.
  • Comparer l’expression de la révolte, les procédés de la dérision et le thème de la fatalité amoureuse chez Vian à ceux qui sont présentés dans d’autres textes littéraires.
  • Distinguer les visées et les formes de la parodie, de la caricature et du pastiche.
  • Illustrer sa compréhension approfondie de L’Écume des jours dans l’écriture d’un pastiche.
  • Formuler un jugement critique sur une question d’actualité par l’écriture d’un pastiche.

 

Le fil de la séquence

 

Les activités proposées dans cette séquence de cinq semaines (vingt heures de cours) laissent une large place à l’écriture créative, à l’étude de nombreux réseaux de textes, au travail individuel et collectif, et à la multidisciplinarité.

 

AVANT LA LECTURE

 

1er temps : la préparation à l’apprentissage

 

  • Semaine 1 – Pistes d’entrée dans le monde de la distorsion

 

Activité 1 : Les stations surréalistes (deux heures)

 

Cette première activité constitue une initiation à l’univers de Boris Vian par les jeux d’écriture surréaliste auxquels il s’adonnait. Elle permet d’orienter d’emblée le rapport affectif et analytique des étudiants à la lecture de L’Écume des jours. L’écriture joue un rôle médiateur entre les éléments théoriques (psychanalyse, Surréalisme) et la compétence en lecture littéraire à développer. L’activité se déroule en deux temps :

 

1) Le groupe est divisé aléatoirement en quatre équipes qui prennent place aux quatre coins de la salle. Chaque ilot correspond à une station d’écriture, c’est-à-dire à l’une des activités suivantes: le cadavre exquis, le test du paysage (jeu d’interprétation psychanalytique de symboles), l’écriture automatique et le collage. Les groupes ont dix minutes pour réaliser une activité avant de se déplacer vers la prochaine station pour dix autres minutes, et ainsi de suite. L’enseignant gère le temps, donne le signal des déplacements et supervise les travaux d’écriture.

 

2) Ensuite, l’enseignant fournit de la documentation décrivant les thèmes et les procédés qui caractérisent les pratiques surréalistes. Les étudiants doivent y associer les quatre activités qu’ils viennent de réaliser et expliquer pourquoi ils établissent ces liens. Ainsi, « l’activité métalinguistique consécutive à la production écrite donne lieu à la prise de conscience par les élèves de leurs stratégies et de leurs connaissances[3]. »

 

Activité 2 : Les pistes à l’horizon… d’attente (deux heures)

 

Pour favoriser l’appropriation du texte par les étudiants, il importe de créer un horizon d’attente déjà ébauché par les stations surréalistes. Toutefois, leur intérêt pour la lecture sera grandi s’ils éprouvent d’emblée un sentiment de contrôle devant la tâche de lecture. Dans le but de créer des pistes d’entrée en lecture, les étudiants devront expliciter leurs attentes grâce à une approche biographique de l’œuvre et à l’analyse du paratexte.

 

1) Les étudiants doivent noter les mots-clés du documentaire Boris Vian la vie jazz de Philippe Kohly (60 minutes) qu’ils visionnent dans un premier temps. Après une mise en commun des mots-clés, l’enseignant montre que le groupe crée un horizon d’attente et en explique les avantages pour la lecture de L’Écume des jours.

 

2) Dans un tableau indiquant les éléments du paratexte à étudier (couvertures actuelles et passées, illustrations intérieures dans certaines éditions, quatrième de couverture), les étudiants inscrivent leurs observations thématiques et esthétiques. Cette façon de schématiser l’horizon d’attente clarifie plusieurs pistes d’entrée en lecture, telles que le comique et la déchéance amoureuse, et ouvre la voie à une discussion sur la définition de la distorsion et ses manifestations possibles dans la littérature.

 

PENDANT LA LECTURE

 

2e temps : la réalisation des apprentissages

 

  • Semaine 2 – La révolte: distorsion colérique et parodique

 

Activité 3 : Les déserteurs comparés (une heure)

 

L’entrée dans la lecture se fait en douceur par l’entremise de la chanson. En passant par cette forme littéraire familière aux étudiants, l’enseignant favorise une dédramatisation de l’analyse thématique et formelle par une activité qui apparaît presque ludique. Pour ce faire, l’enseignant distribue les textes des chansons intitulées « Le Déserteur » de Boris Vian (1954) et de Renaud (1983). Il les fait écouter aux étudiants afin qu’ils remplissent un tableau comparatif leur demandant de décrire les aspects suivants :

 

  • Sujet de la chanson (qu’est-ce qui est dénoncé?)
  • Énonciateur (qui parle?)
  • Destinataire(s)
  • Niveau de langue
  • Ton (est-il le même dans toute la chanson?)

 

Dans la mise en commun des réponses, les étudiants prennent connaissance de la prise de position dissidente de Boris Vian et de sa dénonciation antimilitariste directe, propos qu’ils retrouveront sous la forme de la parodie dans L’Écume des jours.

 

Activité 4 : Les révoltés de l’après-guerre en dialogue (deux heures)

 

Il s’agit d’une microapplication de l’apprentissage coopératif sous la forme du puzzle. Cette formule coopérative fait appel à la responsabilité individuelle dans le but de s’approprier un contenu nécessaire à la compréhension de l’œuvre : le thème de l’antimilitarisme et son contexte d’émergence.

 

Des équipes de travail contenant au moins quatre membres se forment sur une base volontaire. Chaque membre reçoit un extrait de texte à lire de façon individuelle, parmi les suivants :

  • Carnets de la drôle de guerre, Jean-Paul Sartre
  • Manifestes du surréalisme, André Breton
  • Refus global, Paul-Émile Borduas
  • Malbrook et le président (texte entier), Dan Bigras

 

Chaque responsable (ou sous-groupe de responsables) d’un texte doit répondre à ces questions :

  • Quel sentiment est exprimé par l’auteur?
  • Contre quoi s’insurge-t-il? Qui accuse-t-il?
  • Que réclame-t-il?
  • Identifiez un procédé de style qui lui permet de contester.

 

Au terme de cet exercice, les étudiants décrivent leur texte à l’intention des autres membres de l’équipe afin que le groupe puisse établir des recoupements entre les propos des auteurs étudiés. Si ce travail collectif est bien fait, il leur permettra finalement de relever le défi d’interprétation symbolique de la recette d’andouillon proposée dans L’Écume des jours[4] (p. 48) : chaque groupe en expose une hypothèse de lecture issue de la comparaison avec tous les discours de l’après-guerre.

 

Activité 5 : Les noces anticléricales de Colin et Chloé (une heure)

 

Cette activité permet de mettre en évidence une seconde prise de position critique chez Vian, l’anticléricalisme, puis d’en interpréter la représentation parodique. Après avoir expliqué de façon théorique les formes de la parodie et de la caricature, l’enseignant demande aux étudiants de (re)lire les chapitres 18, 21 et 22 (le mariage de Colin et Chloé) de L’Écume des jours afin de répondre aux questions suivantes :

  • En quoi les personnages du clergé sont-ils une caricature?
  • À quoi vous font penser les préparatifs du mariage à l’église?
  • En quoi la cérémonie est-elle loufoque?
  • Quelle ambiance se dégage du voyage de noces?
  • Selon vous, quelle critique de l’Église Vian fait-il?

 

Cette réflexion dirigée se fait sous forme de « buzz-groupes » composés de trois ou quatre personnes dont les rôles sont précisément définis : un/des porte-parole/s, un gestionnaire du temps et un secrétaire. Cette façon de procéder encourage la participation et favorise l’engagement cognitif de chacun. En guise d’ouverture, mais surtout de confirmation des hypothèses, les étudiants visionnent en classe le court métrage d’animation intitulé Les noces de Colin et Chloé[5]. Le film relate les chapitres précédemment étudiés et transpose à l’écran les procédés de la parodie anticléricale chez Vian.

 

  • Semaine 3 – La dérision: distorsion tragicomique

 

Activité 6 : Partre, Bovouard et le star-système parodiés (une heure)

 

Cette activité vise l’interprétation des signes tragicomiques de la dérision concernant le star-système érigé autour de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir. Le Partre de Vian agissant sur les personnages comme un catalyseur mortifère, la critique sociale est d’autant plus grinçante. Dans un exposé interactif, l’enseignant attire l’attention des étudiants sur la similitude entre le portrait tracé dans le chapitre 28 (la conférence de Partre) et la toile intitulée L’entrée d’Alexandre Le Grand dans Babylone, ou Le triomphe d’Alexandre de Charles Le Brun (1665). Les questions ouvertes qu’il pose aux étudiants les incitent à comparer les deux situations et leurs motifs (violents ou non) afin d’en dégager les tonalités et le sens de la ressemblance. Cet exercice souligne de façon imagée une thématique omniprésente dans L’Écume des jours, mais permet surtout des rapprochements interdisciplinaires.

 

Activité 7 : Tâchez d’écrire un pastiche! (deux heures)

 

À la moitié du parcours, l’enseignant explique aux étudiants la tâche à accomplir, qui mènera à l’évaluation des compétences en écriture, à la fin de la séquence. Celle-ci se lit ainsi :

 

Écrivez un pastiche de L’Écume des jours, d’une longueur d’environ 600 mots, en tenant compte des contraintes suivantes :

 

  • Fidèle aux caractéristiques esthétiques et surréalistes de l’univers de Vian, votre pastiche devra cependant contenir une critique liée à une question d’actualité (guerres, débats, catastrophes, etc.), à identifier dans le titre ou le sous-titre du travail.
  • Deux des personnages issus du roman de Vian devront intervenir dans votre récit (indiquez de quel moment du récit vous vous inspirez, car les personnages changent). Vous devrez aussi en inventer un troisième.
  • Vous devrez intégrer dans votre pastiche trois procédés stylistiques ou littéraires que vous avez étudiés dans L’Écume des jours et les identifier en les soulignant dans votre texte.

 

Afin d’initier les étudiants à l’art du pastiche et de les rassurer sur la tâche à réaliser, l’enseignant leur montre des extraits de matchs d’improvisation de la LNI où la contrainte est « à la manière de ». Si le temps le permet, il peut organiser une ou deux improvisations sur le même thème, avec des volontaires. Cependant, le véritable exercice consiste à écrire un pastiche d’une chanson que chacun a préalablement choisie et dont il a apporté les paroles en classe. La consigne peut être de transformer le texte en invitation au cinéma ou en déclaration d’amour, par exemple. Une rétroaction formative sur cet exercice permettra d’orienter les étudiants en vue de leur production finale.

 

  • Semaine 4 – La fatalité amoureuse: distorsion tragique

 

Activité 8 : Constat de déchéance (deux heures)

 

L’heure est à la fatalité en même temps qu’à la récapitulation, en cette avant-dernière semaine de la séquence. Cette activité permet de considérer L’Écume des jours dans sa globalité plutôt que dans ses parties, à un moment de la séquence où la lecture s’achève.

 

Dans un premier temps, les étudiants sont invités à réaliser individuellement un schéma évènementiel du roman en s’attardant à l’évolution de la relation amoureuse entre Colin et Chloé, puis entre Chick et Alise. Le schéma entrainera un constat de déchéance amoureuse dans le roman et suscitera une réflexion sur ses causes. Cette dernière peut se faire sous la forme d’une discussion ouverte.

 

Cet exercice de visualisation de la trame narrative appelle une théorisation de la tragédie et de la fatalité amoureuse dans la littérature. Pour illustrer ses propos, l’enseignant peut recourir à un réseau de textes tels que Roméo et Juliette et Tristan et Iseut, qui font appel aux connaissances antérieures de plusieurs étudiants : ceux-ci auront peut-être déjà étudié ces œuvres dans le cours intitulé Écriture et littérature (601-101), préalable à celui-ci.

 

Activité 9 : Portrait de la distorsion (une heure)

 

En équipes de trois ou quatre personnes, les étudiants doivent répondre à la question suivante : Boris Vian est-il un écrivain surréaliste? L’enseignant impose un point de vue (pour ou contre) à chaque équipe, qui doit compléter un tableau des aspects thématiques et formels appuyant leur position. Lorsque les étudiants ont terminé leur remue-méninge, l’enseignant divise chaque équipe en deux et unit les parties adverses, de sorte que deux étudiants « pour » et deux autres « contre » forment un nouveau groupe. À la façon des groupes d’experts, les parties exposent leurs arguments. Ils s’enseignent. Chacun doit compléter son tableau récapitulatif à la lumière de ces échanges.

 

Ce portrait global constitue une autre façon de schématiser non plus le roman, mais les apprentissages réalisés pendant la séquence didactique. Construire un tableau des aspects formels et thématiques étudiés dans L’Écume des jours permet de récapituler et de visualiser les caractéristiques de la distorsion chez Vian. L’enseignant rappelle aux étudiants que ce tableau servira l’écriture de leur pastiche puisqu’ils devront rédiger « à la manière de Boris Vian ».

 

APRÈS LA LECTURE

 

3e temps : l’intégration – le réinvestissement des apprentissages

 

  • Semaine 5 – Distordons Vian!

 

Activité 10 : Évaluer le pastiche (une heure)

 

En cette dernière semaine, l’enseignant prépare les étudiants à l’écriture imminente du pastiche en leur faisant évaluer un texte du même genre : Arsène Lupin contre Herlock Sholmes de Maurice Leblanc. Ce texte a l’avantage de pasticher un univers déjà connu de tous, celui de Sherlock Holmes. L’avantage d’une telle activité est double :

 

  • Les étudiants prennent contact avec un pastiche littéraire et y posent un regard critique afin de l’évaluer. Ce texte joue le rôle de modèle pour leur propre création.
  • En utilisant la grille de correction qui servira à l’enseignant pour évaluer à son tour leurs pastiches, les étudiants s’approprient les critères de correction.

 

Après cette activité, l’enseignant supervise ses étudiants dans la rédaction de leur plan, puis de leur pastiche (trois heures). La séquence didactique se conclut par cet ultime exercice de distorsion que les étudiants complètent à la maison.

 

  • Semaine 6 – Remise du pastiche

[1] Boris Vian, L’Écume des jours, Livre de poche, Paris, 1996, p. 18.

[2] Id.

[3] Laurence Schramm, Écrire pour lire, Formation CAPA-SH option E, Promotion Kergomard, 2007, p. 30. http://julieyash.free.fr/capash/Certification/M%E9moire%20Kergomard/m%E9moire%20de%20Laurence%20S.pdf

[4] Ce passage a une connotation antimilitariste et semble être une parodie de la Deuxième Guerre mondiale.

[5] Bruno Chaix, Louise Mendoche et Cielle Graham, Les noces de Colin et Chloé. http://www.youtube.com/watch?v=uQauu8H1Rgs


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