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Séquence didactique : La part manquante

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
Séquence didactique : La part manquante
Gaulin Lamontagne, Blaise
Par Blaise Gaulin Lamontagne


Nationalité de l'auteur : Québécoise
Genre : Poésie
Courant :
Siècle :
Groupe d'âge visé : Collégial
Auteur de la séquence : Blaise Gaulin Lamontagne
Date du dépôt : Hiver 2011


 

1. Problème de lecture : Qu’est-ce que la poésie ?

 

Au cours de cette séquence didactique, nous tenterons de découvrir, en compagnie des étudiants, ce qu’est la poésie. Loin de chercher à répondre de façon catégorique aux questions qui seront soulevées, nous essaierons plutôt de stimuler les étudiants en leur tendant de nombreuses pistes de réflexion. Nous tenterons donc de découvrir ce qu’est la poésie, ce qui caractérise le poème, ce qui différencie le poème du « non-poème » et comment aborder ce genre si particulier. Ce sont quelques-unes des questions qui seront inévitablement soulevées, tout au long de cette séquence didactique.

 

 

 

 

 

2. Pertinence du texte choisi : La part manquante, de Christian Bobin

 

Nous croyons, du point de vue didactique, que Bobin est un poète accessible aux étudiants de niveau collégial. Son vocabulaire est simple et ses principaux thèmes (l’enfance, l’amour, l’enchantement du monde par l’écriture, etc.) sont universels. Il est également important de noter que tous les poèmes du recueil La part manquante sont écrit en prose, ce qui nous permet de montrer aux étudiants que la poésie, depuis le XIXe siècle, peut faire fi de la rime et de la métrique tout en demeurant bel et bien entre les « frontières du genre ». Pour le commun des lecteurs, qui n’a pas forcément l’habitude du langage poétique et de sa profusion d’images, la prose poétique et méditative de Bobin peut s’avérer être une excellente porte d’entrée.

 

 

 

 

 

3. Les objectifs du cours

 

La séquence didactique dont il est question aujourd’hui sera présentée dans le cadre du deuxième cours de littérature au collégial (Littérature et imaginaire). Ce cours, qui s’adresse principalement à des jeunes âgés de 17à 19 ans, est centré sur l’étude de deux genres littéraires : la poésie et le théâtre. Les objectifs du plan-cadre sont de savoir situer une œuvre dans son contexte socio-historique et améliorer les capacités de lecture et d’écriture de l’étudiant, afin que celui-ci soit en mesure de rédiger une dissertation critique. Même si nous n’avons pas l’intention, dans le cadre de notre séquence, de faire rédiger une dissertation critique aux élèves, nous croyons que le travail de familiarisation avec La part manquante (et la poésie en général) leur permettra de mieux réussir leur dissertation explicative de fin de session (qui portera elle aussi sur le livre de Bobin). La présente séquence, quant à elle, contribuera à amener l’étudiant à approfondir sa compréhension de la poésie, conformément aux objectifs du plan-cadre. Nous croyons toutefois qu’il est possible d’aller bien au-delà de ces objectifs « d’amélioration des capacités de lecture »,dans le cadre d’une telle séquence. Nous tenterons d’aider l’élève à développer un lien personnel avec l’œuvre poétique. Nous tenterons également de favoriser l’expression littéraire et la créativité.

 

 

 

 

 

5. Séquence didactique / Programme (en 5 séances)

 

 

 

5.1. Jour 1 : Qu’est-ce que la poésie?

 

Nous amorcerons la séquence didactique en posant ces quelques questions fondamentales aux étudiants : Qu’est-ce que la poésie? Qu’est-ce qui la caractérise? Il sera très important de ne jamais donner aux étudiants de « réponses toutes faites ». Ceux-ci doivent sentir que l’on réfléchit avec eux. Au cours de cette première séance, nous demanderons aux étudiants de se placer en équipes de quatre. Nous leur distribuerons ensuite une série de dix textes. Parmi ces textes, il y aura un poème de Prévert, un texte de slam de Grand corps malade, une chanson de Richard Desjardins, un extrait d’une pièce de Molière, de la poésie en vers libre (Paul Éluard, Alain Grandbois, etc.), une rubrique nécrologique et quelques poèmes en prose. Les étudiants devront débattre en équipe pour déterminer lesquels, parmi les textes, sont poétiques et lesquels ne le sont pas. Nous nous attendons, bien entendu, à ce que les résultats soient divergents. Les étudiants devront finalement également faire part au reste de la classe de leur appréciation des textes. Lesquels préfèrent-ils? Pourquoi? Ce premier exercice a pour but de mettre en évidence le caractère difficilement définissable de la poésie. En effet, cet art a tellement changé, au fil des siècles, qu’il devient impossible de le définir, sur le plan formel, dans le contexte actuel. Que reste-t-il de la poésie, en somme, après toutes les révolutions artistiques des deux derniers siècles? On pourrait parler de l’écriture analogique, ou encore, d’une « expérience » du monde. La poésie est avant tout quelque chose qui se sent, quelque chose qui se vit.

 

 

 

Nous désirons finalement conclure la première séance avec un contrat de lecture. Ce contrat se résume en ces quelques termes : Lisez peu, mais lisez bien ! En effet, pour vivre la poésie, on se doit de laisser résonner les traits lumineux du poème en nous. On se doit également de revenir sur certains passages, au besoin, afin de pouvoir mieux les sentir. Nous souhaitons que les étudiants sortent de la stricte analyse, dans le cadre de cette séquence, et qu’ils soient en mesure de vivre une véritable expérience poétique. Ils devront donc lire un maximum de deux poèmes avant chaque séquence, afin de pouvoir se concentrer plus longuement sur chacun des textes à l’étude.

 

 

 

Cours 2 : Poésie et hypermodernité

 

Lors de cette deuxième séance, nous aborderons le thème de l’hypermodernité. Ce terme nous vient des essais de Gilles Lipovetsky sur l’individualisme contemporain. L’hypermodernité se caractérise par la peur de l’autre, les plaisirs excessifs qui créent des dépendances, le nivèlement artistique, la prolifération des écrans, etc. Nous présenterons aux étudiants un PowerPoint comportant plusieurs images modernes, postmodernes et hypermodernes. Ils seront amenés à réfléchir aux thèmes de l’autocontemplation et de l’hyperstarification qui caractérisent l’hypermodernité. Nous essaierons ensuite de tisser des liens entre ces théories de l’hypermodernité et l’œuvre poétique de Christian Bobin, à l’étude dans le cadre de la présente séquence didactique. Nous commencerons par une discussion de groupe autour de la question : à la lumière des premiers textes que vous avez lus, qu’est-ce qui caractérise, à votre avis, la poésie de Bobin? Cette première question a pour but de mener les étudiants vers de premières pistes de lecture : le monde de la lenteur, l’enfance, la sérénité, la présence à soi-même. Cette première question facilitera considérablement l’élaboration d’une réponse à la seconde question : quelle est la posture du poète, par rapport à la société hypermoderne, dans l’œuvre de Christian Bobin?

 

 

 

Nous demanderons finalement aux étudiants de garder ces quelques pistes de réflexion en tête durant leurs prochaines lectures. Ils devront en effet avoir lu L’homme qui ne dort jamais, ainsi que La meurtrière pour la séance suivante, durant laquelle aura lieu une table ronde concernant Bobin et l’hypermodernité. Ces deux textes (notamment L’homme qui ne dort jamais) sont d’ailleurs des critiques explicites du monde hypermoderne et de la société capitaliste. Encore une fois, les étudiants devront recueillir les citations marquantes dans chacun des textes. Cette fois-ci, cependant, ils devront également prendre le temps d’analyser les procédés stylistiques employés et étoffer leur argumentation en vue de la table ronde.

 

 

 

 

 

Voici quelques-unes des questions qui seront posées aux étudiants (et remises lors de la séance précédant la table ronde).

 

  • Peut-on dire que L’homme qui ne dort jamais constitue une critique de la société hypermoderne?
  • Qu’est-ce qui caractérise cet homme qui ne dort jamais?
  • Quelle alternative le poète propose-t-il à celui qui désire échapper à l’aliénation des sociétés hypermodernes?
  • Croyez-vous que Bobin exagère? Est-il moralisateur?
  • Quel est le rôle de la poésie dans notre société contemporaine?

 

 

 

Cours 3 : Table ronde (5 %)

 

Il sera important de faire savoir aux étudiants qu’aucune réponse n’est mauvaise à priori. Il s’agit, bien sûr, de savoir soutenir son point de vue. C’est pourquoi il est essentiel de référer régulièrement aux textes et aux procédés stylistiques utilisés par le poète. Ainsi, les étudiants, tout en apprenant par le plaisir, renforceront leurs capacités d’analyse du texte poétique. La table ronde compte pour 5 % de la note finale et le quart de la séquence didactique (qui vaut 20 % au total). Les étudiants devront fournir un travail de deux pages dans lequel ils auront élaboré des réponses aux questions. À la suite de cet exercice (qui devrait durer environ 1h20), nous expliquerons les directives pour le travail final, qui sera à remettre pour la sixième et dernière journée de la séquence didactique. Ils auront donc une semaine et demie pour écrire leur texte.

 

 

 

Travail final : Création littéraire : Prose poétique (15 %)

 

À la sixième séance de la séquence didactique, les étudiants devront rédiger un texte d’environ 350 mots. Ils devront également en réciter un extrait devant la classe. Il s’agira, bien sûr, d’un texte poétique. Une seule contrainte à suivre : le texte doit être entièrement écrit en prose (pas de rime ou de métrique). Les étudiants seront par conséquent forcés à recourir à d'autres « stratégies » pour faire jaillir la poésie du texte (figures de style, atmosphère méditative, absence de ponctuation, blancs typographiques, etc.). Le but de cet exercice est de les guider vers une compréhension plus personnelle de la poésie. Nous croyons que l’expérience poétique ne peut réellement avoir lieu si l’on ne sort jamais du cadre analytique. Les étudiants auront plusieurs possibilités : la création poétique pourra s’appuyer sur une image hypermoderne présentée en classe préalablement, ou encore sur un extrait de La part manquante. Ceux, parmi les étudiants, qui auront préféré la poésie de Charles Baudelaire (à l’étude au début de la session), pourront s’appuyer sur un vers issu du Spleen de Paris. Ils n’auront pas besoin, par conséquent, de l’image hypermoderne. Il est également recommandé d’utiliser une pièce musicale instrumentale, qui viendra appuyer l’interprétation devant la classe, lors de la sixième séance. En ce qui concerne l’évaluation des travaux, nous tiendrons compte de la qualité du français, de la rigueur du travail d’écriture, ainsi que des efforts que l’étudiant aura fournis pour apporter une dimension analogique à son texte.

 

 

 

Cours 4 : Poésie, enfance et libération de l’inconscient

 

La quatrième séance portera sur l’importance de l’enfance dans la poésie et, plus particulièrement, dans l’œuvre de Christian Bobin. Il s’agit effectivement d’un thème prédominant, dans La part manquante. L’enfance, chez Bobin (comme chez plusieurs écrivains), est un état précieux avec lequel le poète tente de renouer au moyen de l’écriture. Cet état, qui est en quelque sorte hors du temps, représente le moment de la vie où l’homme est dans la fraicheur des perceptions. La société, comme nous le savons, se charge ensuite de « modeler » l’enfant, afin qu’il ne devienne pas une menace pour l’ordre établi. Cette piste de l’enfance nous amènera vers celle de la découverte de l’inconscient et celle de l’écriture automatique. Après avoir introduit ce sujet en parlant un peu de Freud, ainsi que du mouvement surréaliste, nous tenterons d’encourager les étudiants à libérer leur créativité en expérimentant l’écriture automatique. Ils pourront ainsi vivre la poésie et être mieux « réchauffés » pour leur projet de création final. Nous commencerons par leur faire rédiger des cadavres exquis, puis nous les inviterons à faire des exercices d’écriture automatique sur fond musical. Ils seront ensuite invités à partager leurs « trouvailles poétiques » en équipe et à souligner les éléments forts ou amusants qui auront jailli de l’écriture de leurs pairs. Nous croyons que, tout en stimulant la créativité des étudiants, cet exercice leur permettra de « re-questionner » leur conception de la poésie. Nous désirons non seulement leur faire explorer les grands topos de la poésie occidentale, mais également les amener à se familiariser avec plusieurs types d’écriture poétique.

 

 

 

Cours 5 : Charles Baudelaire et Christian Bobin, deux voies poétiques distinctes

 

La dernière séance constituera en quelque sorte une synthèse de la session, puisque nous reviendrons à l’œuvre de Baudelaire pour la comparer à celle de Bobin. Nous verrons ce qui lie les deux poètes et, surtout, ce qui les oppose. En effet, Baudelaire est épris d’esthétisme et de modernité. Il a également un penchant certain pour le cynisme et l’humour noir. Bobin, nous l’avons vu au cours de cette séquence, ne fait pas dans le cynisme. On pourrait même dire qu’il fait contre le cynisme et que sa poésie se situe à contrecourant de son époque. Pour mener à bien cette courte étude comparative, nous afficherons au tableau deux courts poèmes en prose de chacun des deux poètes. Nous les lirons devant la classe et les analyserons avec les étudiants. Afin de les encourager à s’investir dans la réflexion, ils seront amenés à prendre position et à défendre l’une des deux voies poétiques dont nous venons de parler (celle de Baudelaire ou de Bobin). Nous croyons que cet exercice constitue une excellente préparation pour le travail final de création, qui vaut 15 % de la note finale, ainsi que pour la dissertation explicative finale, qui vaut 40 % de la note de session.

 

 

 

Pour conclure cette dernière séance, nous reposerons finalement aux étudiants la question initiale : qu’est-ce que la poésie? Nous croyons que leur conception de la poésie aura eu le temps de s’assouplir et de s’approfondir tout au long de la séquence. Ils seront également amenés à réfléchir à cette question : que reste-t-il de la poésie, après tous ces éclatements et ces bouleversements historiques qui ont marqué le siècle dernier? Nous souhaitons, par cette question, faire réfléchir les étudiants au sujet du rôle de la poésie dans nos sociétés modernes. Nous voulons amener, encore une fois, les étudiants à saisir plus intimement en quoi consiste cet art si difficile à nommer, mais également si difficile à flétrir. Qu’elle chante la beauté, la laideur, qu’elle fasse dans le cynisme ou qu’elle soit marquée par un désir de contemplation profonde, il en demeure que la poésie peut toucher intensément celui qui l’aborde avec ouverture. Notre mission, en tant que pédagogues, est d’aider les étudiants à vivre une véritable expérience poétique. Nous croyons que cette expérience viendra ensuite donner du sens à leur formation obligatoire en littérature au collégial, et ce, quel que soit leur domaine d’étude.

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

BAUDELAIRE, Charles, Les fleurs du mal, Paris, Éditions Gallimard, 1964, 256 pages.

 

BOBIN, Christian, La clarté du monde, Paris, Éditions Gallimard (Collection Folio), 2001, 164 pages.

 

BOBIN, Christian, La part manquante, Paris, Éditions Gallimard (Collection Folio), 1989, 98 pages.

 

BRETON, André, Manifestes du surréalisme, Paris, Éditions Gallimard (Folioessais), 1979, 173 pages.

 

CHAMBERLAND, Gilles et al., 20 formules pédagogiques, Ste-Foy, Les Presses de l’Université Laval du Québec, 1995, 178 pages.

 

DUVAL, Isabelle, « Dynamiser l’enseignement de la poésie contemporaine », Québec français, no 147, 2007, p. 62-64.

 

DUVAL, Isabelle,  « L’expérience de la poésie au collégial », dans Québec français, no125, 2002, p. 54-59.

 

GUSDORF, Georges, La parole, Paris, Presses universitaires de France, 1952, 126 pages.

 

LIPOVETSKY, Gilles, L’ère du vide : Essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Éditions Gallimard (Folio essais), 1993, 327 pages.

 

LIPOVETSKY, Gilles et Sébastien Charles, Les temps hypermodernes, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2004, 125 pages.

 

NEE, Patrick, « Le dialogue Char / Heidegger », dans Magazine littéraire, n°340 (février1996), p. 44-48.

 

PAGÉ, Mélanie, « Quand un problème devient fantastique », dans Pédagogie collégiale, octobre 2004, 18(1), 4-7.

 

SUHAMY, Henri, La poétique, Paris, Presses Universitaires de France, 1986, 127 pages.

 

 

 


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