« Au sein de la francophonie, la littérature française occupe une position dominante en raison de son ampleur et de son rayonnement. Son ascendant est tel que sur le terrain scolaire, elle peut devenir hégémonique[1]. » Nous avons donc préféré consacrer cette séquence didactique à une œuvre de la périphérie. Après tout, « si on veut que le concept de francophonie se concrétise et vive pleinement, si on désire favoriser le dialogue interculturel entre les peuples francophones, ne faut-il pas donner plein droit de cité aux littératures acadienne, belge, suisse, antillaise et africaine?[2] »
L’œuvre de la périphérie que nous avons sélectionnée est La Grande Peur dans la montagne[3] de Charles Ferdinand Ramuz, un auteur suisse. Plusieurs raisons ont motivé notre choix.
Premièrement, « les Romands entretiennent un rapport complexe avec le français dit « standard », désigné avec méfiance comme le « français de Paris » : que cet étalon de valeur linguistique fasse l’objet d’admiration ou de rejet, jamais n’est levée la barrière d’une crainte révérencielle profondément intériorisée. Sentiment d’ « insécurité linguistique », voire même d’infériorité linguistique, selon Singy[4].»D’une part, cela signifie que Ramuz entretient une relation particulière avec le français standard. « Ce trait récurrent [chez les auteurs des périphéries francophones] est inclus dans la notion de « surconscience linguistique», proposée par Gauvin[5]. » D’autre part, le sentiment d’infériorité linguistique exprimé dans la littérature romande, en l’occurrence dans l’œuvre de Ramuz, permet de placer les jeunes Québécois devant le sentiment d’infériorité linguistique de leur propre peuple. Ils seront plus à même de comprendre la littérature québécoise, puisque « de nombreux cas romands, québécois, belges ou antillais présentent des similitudes frappantes dans leur ardeur à débaucher le « français de Paris » afin de préserver leur identité[6]. »
Deuxièmement, l’étude de La Grande Peur dans la montagne est tout à propos pour le cours Littérature et imaginaire, soit l’ensemble deux. L’énoncé de la compétence, pour ce cours, se présente comme suit : « Expliquer les représentations du monde contenues dans les textes littéraires de genres variés et de différentes époques[7]. » Or, le roman de Ramuz présente la vision du monde d’une collectivité de paysans vaudois à l’aide de procédés stylistiques et littéraires originaux. Le texte est empreint de l’imaginaire vaudois. Les étudiants seront transportés dans un univers qui leur est inconnu d’une manière peu orthodoxe, ce qui favorise « une ouverture sur le monde et la diversité des cultures[8] », l’un des buts de la formation générale.
Troisièmement, l’apparente simplicité du texte constitue une entrée dans l’œuvre pour les étudiants. Le caractère oral de son écriture rappelle la littérature populaire et les superstitions des paysans dans La Grande Peur ne sont pas sans liens avec celles que connaissent les étudiants ou avec leurs propres peurs. N’oublions pas qu’« au principe de plaisir [on] ne saurait ignorer la dimension narcissique […] La littérature construit et sollicite la mémoire en faisant renaitre des souvenirs personnels[9]. » Toutefois, La Grande Peur dans la montagne est beaucoup plus complexe qu’elle en a l’air. Il s’agit d’une bonne chose étant donné que « la motivation repose sur le couple nouveauté/reconnaissance[10]. » Les étudiants auront donc quelques défis à relever.
Les problèmes à résoudre:
L’un des éléments de la compétence énoncée plus haut est de reconnaitre le traitement d’un thème dans un texte, alors que relever les procédés stylistiques et littéraires utilisés pour le développement du thème est le critère de performance[11]. Or, reconnaitre le traitement du thème de la peur dans La Grande Peur dans la montagne est un problème en soit, étant donné que les procédés stylistiques et littéraires utilisés pour le développement de ce thème empruntent à la peinture et au cinéma[12]. En fait, la plasticité constitue une caractéristique indéniable de l’œuvre et est une manifestation du désir de Ramuz de réinventer le langage : « Afin d’échapper au français normalisé « de Paris», il recourt alors à une prose oralisée dont l’« inflexion» se veut fidèle au rythme du parler local de Suisse française (lenteur, répétitions lexicales, reprises syntaxiques)[13] ». Puisque Ramuz s’est inspiré de Cézanne, il conviendra de déterminer, avec les étudiants, en quoi consiste cette inspiration et comment elle se manifeste dans La Grande Peur dans la montagne. Il conviendra également de définir l’aspect cinématographique du roman. Les notions d’angle de prise de vue, de changement de perspective et de champ/contrechamp permettront d’aborder le problème de la narration dans le roman.
La narration constitue le deuxième problème que nous avons choisi d’aborder avec les étudiants, car c’est par l’étude de la narration que les étudiants seront amenés à comprendre que le texte est une représentation du monde, que les évènements sont racontés selon une perspective qui influence notre perception desdits évènements : « la présentation des faits, éventuellement les appréciations sur ces faits, seront caractéristiques d’une manière de penser, d’un ensemble de convictions et d’intérêts, bref, de ce qu’on appelle une idéologie. Ici : l’idéologie du village montagnard[14]. » De plus, la narration au « nous » et au « on », que l’on retrouve dans le roman, peut sembler particulière aux étudiants. Nous tenterons de leur faire découvrir que ce « nous » désigne une collectivité.
Finalement, afin de permettre aux étudiants de « dégager les rapports entre le réel, le langage et l’imaginaire[15] », le troisième élément de la compétence à l’honneur dans le cours Littérature et imaginaire, il conviendra de situer le texte dans son contexte culturel et sociohistorique[16]. Le rapport que les romands entretiennent avec la langue française, la France et le reste de la francophonie et les conditions de vie des paysans des Alpes sont des éléments signifiants, puisqu’ils sont liés aux deux problèmes énoncés.
Une séquence didactique explicitée :
Semaine 1 (avant la lecture) :
Au début du premier cours de cette séquence didactique, l’enseignant présenterait brièvement l’œuvre, son auteur et le lieu de naissance de celui-ci. Les étudiants savent-ils que plusieurs langues sont parlées en Suisse, dont le français? Savent-ils où se situe la Suisse géographiquement? Quelle est la situation sociopolitique de ce pays au moment de l’écriture du roman? Connaissent-ils le concept de francophonie? Il faudra réactiver leurs connaissances antérieures à ces sujets et les compléter, au besoin, par d’autres informations.
Ensuite, l’enseignant demanderait aux étudiants de répondre, à l’oral, à la demande suivante : « Lisez le titre du roman, regardez la page couverture, puis dites-moi quel genre d’histoire vous vous attendez à lire. » L’enseignant leur demanderait de noter leur réponse quelque part pour pouvoir y référer plus tard au cours de la séquence. Une montagne est représentée sur la page couverture. Si nos prédictions sont bonnes, la vision qu’ont les étudiants de la montagne devrait changer. Du lieu de la peur, la montagne deviendra l’objet de la peur.
Une fois cela fait, l’enseignant ferait la lecture à voix haute du chapitre I de La Grande Peur dans la montagne, lequel contient trois pages. Dans ces pages, il est question d’évènements mystérieux qui se sont passés, il y a vingt ans, à Sasseneire, une montagne alpine. Le mandat donné aux étudiants pourrait être le suivant : se mettre dans la peau de quelqu’un d’assez vieux pour se rappeler de ce qui s’est passé, il y a vingt ans, à Sasseneire, et d’en faire le récit. Il s’agirait d’un texte de création, dont « l’objectif [consisterait] plutôt à faire de la curiosité du personnage une curiosité partagée par le lecteur, en retardant ainsi l’information[17] ». Les jeunes du village de La Grande Peur se demandent ce qui s’est passé à Sasseneire; les étudiants feraient de cette intrigue la leur en faisant des suppositions. Puisque dans le roman, les évènements passés sont annonciateurs des évènements futurs, il est tout à fait pertinent de s’y intéresser. De plus, « l’invention est un moyen de rendre l’apprentissage intéressant et signifiant[18]. »
Avant de laisser les étudiants se mettre au travail, l’enseignant réviserait avec eux les caractéristiques du récit, lequel avait été l’objet des cours avant cette séquence. Les étudiants disposeraient du reste du cours pour écrire un récit de deux à trois pages dans lequel ils exploiteraient le thème de la peur. Ce récit serait remis à l’enseignant et serait l’objet d’une évaluation sommative, car il permettrait d’évaluer les connaissances acquises pendant les dernières semaines. L’enseignant accorderait une note sur dix pour cet exercice selon les critères suivant : respect des consignes (nombre de mots, présentation, exploitation du thème de la peur), présence des caractéristiques d’un récit, qualité de la langue et l’expressivité et l’originalité du texte. Leur devoir, pour la semaine suivante, consisterait à lire La Grande Peur dans la montagne jusqu’à la page 63 inclusivement. Il est précisé que les étudiants auront un nombre similaire de pages à lire la semaine suivante et la semaine d’après. La lecture serait donc étalée sur trois semaines et à celles-ci suivraient trois autres semaines consacrées à l’étude de l’œuvre.
Pour cette première séance, nous nous sommes inspirée de la phase I de la « démarche stratégique d’enseignement de la littérature[19] », proposée par Jacques Lecavalier et Suzanne Richard, parce qu’elle « part des représentations et des interprétations initiales des élèves pour qu’ils puissent construire leur lecture d’œuvres littéraires ainsi qu’un discours sur celle-ci[20] ». Cette phase est celle de la « préparation à la lecture » et peut être divisée en deux étapes, soit la « présentation du projet de lecture » et la « planification de la lecture ». Nous avons retenu certaines des actions proposées par Lecavalier et Richard pour la « présentation du projet de lecture », soit présenter l’œuvre et l’auteur et activer les connaissances antérieures des étudiants sur le contexte[21]. Pour la deuxième étape, la « planification de la lecture », nous avons retenu quelques actions, celles d’« éveiller la curiosité des élèves à propos de l’œuvre à lire (texte de création), de susciter des hypothèses de lecture à partir de sa présentation matérielle (question répondue à l’oral), de présenter le dispositif d’enseignement et l’échéancier du projet de lecture et faire une lecture à voix haute des premières pages de l’œuvre[22] ».
Semaine 2 (pendant la lecture) :
Comme vous avez pu le constater, nous avons choisi « la technique du dévoilement progressif [une « entrée dynamique dans les textes » qui] consiste à découvrir le texte par bribes. Au terme de chaque fragment, les élèves sont invités à émettre des hypothèses sur le genre, la suite, les sens du texte[23]. » Dès la première semaine, les étudiants ont émis des hypothèses sous la forme d’un texte de création et à l’aide de la présentation matérielle de l’œuvre. À présent, les étudiants seraient amenés à discuter en équipe de deux de leurs premières hypothèses et à en formuler de nouvelles sur les évènements passés, sur ce qui va se passer et sur le sens à donner au texte. Le rôle de l’enseignant consisterait à visiter les équipes pour « vérifier l’avancement de la lecture […] [et] noter les problèmes de compréhension[24] » et surtout à « laisser les étudiants les résoudre de manière autonome[25] ». Encore une fois, nous nous sommes inspirée de la démarche stratégique d’enseignement de la littérature, mais cette fois de la phase II, la lecture. Pour cette activité, nous avons décidé de ne pas poser de questions aux étudiants : « D’une part, […] l’enjeu est qu’ [ils apprennent] à se poser [eux-mêmes] des questions; d’autre part, on sait qu’il existe de fausses questions qui, loin de stimuler la construction d’hypothèses, évitent en fait au lecteur de déployer une activité interprétative digne de ce nom[26]. »
Ensuite, l’enseignant visionnerait, avec les étudiants, le premier tiers du téléfilm La Grande Peur dans la montagne, réalisé par Claudio Tonetti. Selon Nathalie Lacelle, «les jeunes peuvent [grâce à l’étude de transpositions d’œuvres littéraires au cinéma] poser un regard critique sur le cinéma, sur ses matières d’expression et ses contenus, et faire des liens avec ceux de l’œuvre littéraire. Le film peut enfin servir non seulement de motivation à la lecture d’œuvres littéraires plus complexes, mais aussi de renforcement aux apprentissages faits en lecture littéraire[27].» Nous pensons que les étudiants sortiront de la salle de classe plus motivés à terminer le roman, puisque le cinéma a ses moyens propres pour tenir le téléspectateur en haleine. De plus, puisque le roman emprunte au cinéma des matières d’expression, l’étude du téléfilm La Grande Peur dans la montagne est tout à propos.
Après le visionnement de l’extrait du film, l’enseignant présenterait les « cinq dimensions du roman et de sa transposition au cinéma[28] » proposées par Madame Lacelle, soit le discours, le contenu, le contexte, la médiation et le plaisir. Nous aborderions trois de ces dimensions par une activité présentée sous la forme suivante:
Marie-Lou a le béguin pour Thomas. Elle l’a rencontré au début de la session dans une rencontre d’information à propos d’un stage à l’étranger. Ils se sont tous les deux inscrits. Marie-Lou est vraiment enthousiaste à l’idée de passer deux mois en compagnie de Thomas. On dit que ces voyages créent des liens très forts entre les participants…
Toutefois, le plan de Marie-Lou risque de tomber à l’eau depuis que Thomas éprouve des difficultés dans son cours Littérature et imaginaire. S’il échoue, il ne pourra pas partir en stage. Il affirme que ses difficultés n’ont rien à voir avec le fait qu’il écoute les films tirés des œuvres au programme plutôt que de lire les livres eux-mêmes. Marie-Lou, elle, est persuadée que c’est là que se trouve son problème. Elle se donne comme mission de lui montrer les différences entre l’œuvre La Grande Peur dans la montagne et son adaptation filmique du point de vue du discours, de la médiation et du plaisir, à l’aide d’un document qu’elle a trouvé à la bibliothèque. Sa démarche devrait convaincre Thomas de la nécessité de lire les œuvres littéraires au programme de son cours pour réussir l’ensemble deux et de l’intérêt de la lecture, tout simplement.
Aussitôt son projet commencé, Marie-Lou se rend compte de l’irrégularité suivante : certaines des matières d’expression qui devraient être propres au film se retrouvent dans le roman de Ramuz sous une certaine forme. Elle fait la liste de ces modes d’expressions et pour chacun, elle trouve un extrait du texte qui appuie son propos. Une fois ce processus terminé, elle interroge quelques personnes dans son entourage sur le pourquoi de cette irrégularité, car elle ne veut aucune faille dans son raisonnement (sinon comment convaincre Thomas?). Comme personne ne peut lui répondre, elle décide de formuler des hypothèses.
La résolution de cette situation problème devrait permettre aux étudiants de mieux comprendre les modes d’expression, utilisés si singulièrement chez Ramuz, qui ont « permis à [l’] histoire de prendre forme[29] » (la dimension du discours) et de faire de nouvelles hypothèses sur les représentations du monde contenues dans le texte (la dimension de la médiation). Or, dans La Grande Peur dans la montagne, les représentations du monde contenues dans le texte sont liées aux procédés de narration, le deuxième problème que nous avons soulevé. La dimension du plaisir ne doit pas être laissée pour compte, étant donné que « la comparaison entre les plaisirs ressentis à la lecture d’un roman et ceux qui sont ressentis au visionnement d’un film permet de différencier les modes d’expression littéraires et filmiques[30]. »
Explicitement, le principal problème devant lequel nous voulions mettre les étudiants est énoncé comme suit : certaines des matières d’expression qui devraient être propres au film se retrouvent dans le roman de Ramuz sous une certaine forme. «Pour accroitre le sens des apprentissages visés et du travail de résolution proposé, l’enseignant doit contextualiser le problème qu’il soumet aux élèves; en d’autres mots, il doit le mettre en « situation »[31]. » Dans notre petite histoire, Marie-Lou rencontre ce problème dans des circonstances bien particulières, mais, selon nous, assez vraisemblables. Nous croyons que ce problème en particulier est très important dans l’étude de l’œuvre, puisqu’ici, l’enjeu est la compréhension de l’esthétique ramuzienne. De plus, l’insertion d’une situation problème à ce moment de la séquence permettrait aux étudiants de se familiariser avec une telle approche, laquelle sera utilisée pour l’évaluation finale. Le devoir des étudiants, pour la semaine suivante, consisterait à lire les pages 64 à 131.
Semaine 3 (pendant la lecture):
Les étudiants seraient amenés à discuter à nouveau des hypothèses qu’ils ont émises pendant les deux dernières semaines et à en formuler de nouvelles, si nécessaire. Par la suite, l’enseignant inviterait les étudiants à relire leur texte de création (corrigé et annoté) et à relever, par écrit, les moyens qu’ils ont utilisés pour développer le thème de la peur dans leur récit. « Le fait de demander à l’étudiant d’expliciter sa production lui donne la possibilité de mettre à jour ce qui n’est pas forcément évident dans son écrit fini : l’intentionnalité[32]. » Les étudiants liraient ensuite le conte La peur, de Guy de Maupassant.
Après avoir formé des équipes de quatre à six personnes, les étudiants mettraient en commun les moyens qu’ils ont utilisés, dans leur texte de création, pour développer le thème de la peur. Une fois cela fait, les étudiants feraient l’analyse du développement du thème de la peur dans La peur de Maupassant. Puis, ils analyseraient le même thème, mais dans les pages 117 à 120 de La Grande Peur dans la montagne. Cette triple analyse aurait pour but de mettre de l’avant la spécificité de l’écriture de Ramuz et le traitement particulier du thème de la peur tout au long de l’histoire. Dans La Grande Peur, « l’étude de l’évolution dramatique [consiste à analyser] le déploiement, à travers [les] personnages, d’une complexe image globale, celle que désigne […] le titre même de l’œuvre[33]. »
Les étudiants commenceraient par analyser leur propre texte, puisqu’ils sont bien placés pour savoir comment ils ont fait pour respecter ou non la consigne qui consistait à exploiter le thème de la peur. Ensuite, ils décortiqueraient le texte de quelqu’un d’autre, mais il s’agit d’un texte court et très explicite à propos du thème exploité. Par conséquent, lorsqu’ils se retrouveraient devant l’œuvre complexe qui est à l’étude, ils disposeraient d’outils qu’ils auraient eux-mêmes construits. Selon Ledur : «Créer des réseaux de textes permet d’entrainer les trois compétences requises par la lecture littéraire : la compétence culturelle par la mobilisation d’autres textes que l’on a sous les yeux, la compétence interprétative par l’éclairage d’un texte par un autre, la compétence axiologique par l’évaluation d’un texte par comparaison avec d’autres[34].» Dans la situation qui nous intéresse, les textes des étudiants et La peur de Maupassant éclaireraient La Grande Peur dans la montagne. Cette activité d’interprétation se déroule pendant la lecture de l’œuvre pour permettre aux étudiants d’être plus attentifs au traitement du thème de la peur pendant le reste de leur lecture.
Par la suite, l’enseignant présenterait trois sujets de débat aux étudiants. Le débat est un exercice très formateur qui permet aux étudiants de développer leur jugement critique et une cohérence dans leur raisonnement, deux habiletés génériques visées par la formation générale[35]. Les étudiants se regrouperaient en équipe de six ou sept selon leur affinité avec un sujet et une position (pour ou contre). Ils disposeraient du reste du cours pour se préparer au débat, qui se déroulerait la semaine suivante, à l’aide d’articles dont ils devraient se servir. Par exemple, pour le sujet « Les évènements qui surviennent dans la montagne s’expliquent par des causes naturelles. », l’équipe des « pour » recevrait un texte informatif sur la fièvre aphteuse, alias « la maladie ». L’équipe des « contre », quant à elle, utiliserait, entre autres textes, le récit des sept plaies d’Égypte auquel on fait référence dans le roman. Le deuxième sujet, « Ramuz écrit mal. », serait défendu, ou contesté, à l’aide de critiques, positives ou négatives, de Ramuz. L’équipe qui est « contre » l’affirmation aurait en main un court extrait du texte L’Exemple de Cézanne ou la matière d’art transposée dans l’universel, par Donat Rütimann, car nous souhaitons, par l’entremise de ce débat, faire le lien entre le style de Cézanne, dont Ramuz s’est inspiré, et l’esthétique de Ramuz elle-même. Le troisième sujet soulèvera un tollé : « Les Québécois s’expriment moins bien que les Français. » Le devoir des étudiants pour la semaine suivante serait de terminer le roman.
Semaine 4 (après la lecture — synthèse) :
Les étudiants disposeraient des quinze premières minutes du cours pour faire une révision en équipe des arguments choisis, puis seraient fins prêts pour débattre du premier sujet, soit « Les évènements qui surviennent dans la montagne s’expliquent par des causes naturelles. » De par son rôle de modérateur et d’animateur, l’enseignant ferait émerger la conclusion suivante : le texte ne permet pas de déclarer de façon absolue que les évènements s’expliquent par des causes naturelles, mais plusieurs indices laissent entendre que le surnaturel, dans le texte, est le fruit d’une vision subjective des évènements, celle du narrateur « nous », le représentant de la collectivité. Nous tenons ici une importante clé d’interprétation de l’œuvre. Cette conclusion devrait, si nos prédictions sont bonnes, valider ou réfuter plusieurs hypothèses émises par les étudiants au cours de la session.
Le deuxième sujet, « Ramuz écrit mal », est une occasion pour définir, une fois de plus, l’esthétique de Ramuz, mais cette fois en l’associant à celle de Cézanne. Les intentions de l’auteur deviendraient de plus en plus claires : représenter la réalité « telle qu’elle apparait dans une évidence immédiate à l’œil, telle qu’elle apparait pour la première fois[36]. » Ramuz est donc l’un de ces auteurs qui « systématisent un procédé ailleurs malhabile pour obtenir certains effets précis[37]. » Certains critiques trouvent que c’est réussi, d’autres non. Ce deuxième sujet serait l’occasion d’aborder la notion de champ littéraire avec les étudiants. L’enseignant enclencherait une discussion sur la légitimation des œuvres littéraires. Des questions comme « Pourquoi Ramuz a le droit de faire des erreurs de syntaxes, mais pas moi? » sont à poser.
Avec le troisième débat, « Les Québécois s’expriment moins bien que les Français. », nous chercherions à faire des liens entre le sentiment d’insécurité linguistique des Québécois, celui des Romands, les réactions possibles à cette insécurité et l’histoire de ces deux peuples. Les enjeux de l’œuvre seraient alors plus près des étudiants et cela aiderait leurs apprentissages : « Les interactions avec les réalités culturelles environnantes sont non-seulement possibles mais nécessaires pour motiver les élèves et donner du sens aux apprentissages[38]. »
Le reste du cours serait une occasion pour les étudiants de poser des questions à l’enseignant, de valider leurs hypothèses, si ce n’est pas encore fait. Ce quatrième cours de la séquence se veut une synthèse des acquis, alors il est indispensable qu’il se déroule après la lecture de l’œuvre à l’étude. Le devoir des étudiants pour la semaine suivante serait de se préparer pour l’évaluation sommative.
Semaine 5 (évaluation des apprentissages):
À ce stade de la séquence, les étudiants devraient mettre à profit les connaissances acquises pendant le dernier mois pour résoudre, individuellement, la situation problème suivante :
Théodore suit le cours Littérature et imaginaire au Cégep Imaginaire. Dans le cadre de ce cours, il a lu La Grande Peur dans la montagne de Charles Ferdinand Ramuz. Il a tellement apprécié cette œuvre littéraire qu’il encourage son père, un amoureux de la lecture, à la lire.
Son père accepte et se lance dans la lecture du roman. Une semaine plus tard, Théodore lui demande comment il a trouvé le roman. Il s’écrit : « Je n’ai jamais lu un livre aussi mal écrit. C’est un outrage qu’ils vous fassent lire ça au cégep, surtout que les jeunes d’aujourd’hui parlent de plus en plus mal français. Ils devraient plutôt vous faire lire du Maupassant ou du Gaston Miron (un auteur québécois), bref, quelque chose de bien écrit. En tout cas, si j’avais mon mot à dire…»
Théodore voudrait convaincre son père de la valeur du roman de Ramuz (en quoi sa narration est intéressante, par exemple) et justifier l’usage que fait l’auteur de la langue. Il sait que, pour cela, il devra user d’arguments réfléchis. Fort heureusement, il étudie La Grande Peur dans la montagne en classe depuis plusieurs semaines. Les activités d’apprentissages réalisées pendant ses cours lui seront très utiles. Même que Théodore s’est dit : « Et si je prouvais à mon père que La Grande Peur dans la montagne ressemble, sur certains points, à des œuvres qu’il connait et apprécie, j’arriverais peut-être à lui faire aimer le roman. »
Consigne :
Mettez-vous dans la peau de Thodore et écrivez à « votre » père une lettre d’au moins 800 mots dans laquelle vous vous portez à la défense de La Grande Peur dans la montagne de la façon décrite ci-dessus. Votre lettre doit comporter une introduction, un développement et une conclusion (voir les composantes de chacune des parties dans les notes de cours) et être aussi structurée que possible, afin que « votre » père s’y retrouve facilement. Pour ce faire, vous regroupez vos arguments par idées. De plus, vous voulez lui montrer qu’il a tort de penser que la qualité de la langue des jeunes québécois se dégrade. Par conséquent, vous portez un soin particulier à la qualité de la langue dans votre texte. Vous lui faites parvenir votre lettre par courriel (parce qu’il se trouve présentement à l’étranger) à l’adresse suivante : papachéri@cégepimaginaire.ca.
Les étudiants rédigeraient leur plan de rédaction, le feraient approuver par l’enseignant et commenceraient leur brouillon dans le cahier prévu à cet effet.
Nous avons choisi de présenter l’évaluation sous la forme décrite, parce qu’ainsi, elle respecte les caractéristiques d’une situation problème, c’est-à-dire qu’il y a présence de données initiales, présence d’un but à atteindre, présence de contraintes et nécessité de la recherche d’une suite d’opérations[39]. Les étudiants enverraient leur lettre à leur enseignant par courriel, car nous trouvons que cela ajoute au réalisme de la situation. Une telle évaluation devrait permettre le transfert des apprentissages effectués pendant la séquence, mais aussi avant la séquence : les étudiants auraient déjà appris à faire une dissertation explicative, alors la situation problème décrite plus haut leur permettrait d’y trouver un usage à l’extérieur de l’école.
Semaine 6 (évaluation des apprentissages):
Les étudiants termineraient leur brouillon et réviseraient leur texte. La deuxième partie du cours serait consacrée à d’autres activités. Le devoir des étudiants, pour la semaine suivante, serait de transcrire leur lettre au traitement de texte et de l’envoyer à l’enseignant à l’adresse indiquée dans la consigne.
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Sites internet :
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http://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/Cahiers/DescFG.asp
[1] C. Simard, « Le choix des textes littéraires, une question idéologique », dans Québec français, no 100 (1996), p. 46.
[2] Id.
[3] Charles Ferdinand Ramuz, La Grande Peur dans la montagne, Paris, Éditions Bernard Grasset (collection Le livre de Poche), 1925, 185 p.
[4] Jérôme Meizoz, Le droit de « mal écrire ». Quand les auteurs romands déjouent le « français de Paris », Éditions Zoé (collection critique), Genèvre, 1998, p.7-8.
[5] Ibid., p. 9.
[6] Ibid., p.16.
[7] Source:http://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/Cahiers/cours/comp.asp?NoObj=0002
[8] Source:http://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/Cahiers/DescFG.asp
[9] A. Rouxel, «La littérature comme lieu de formation », dans Enseigner la lecture littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 36.
[10] Ibid., p. 20.
[11] Source :http://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/Cahiers/cours/comp.asp?NoObj=0002
[12] Michel Dentan, La Grande Peur dans la montagne. Ramuz, Paris, Hatier (collection Profil d’une œuvre), 1977, p. 72 à 75.
[13] Meizoz, Le droit de « mal écrire ». Quand les auteurs romands déjouent le « français de Paris », op.cit, p. 18.
[14] Michel Dentan, La Grande Peur dans la montagne. Ramuz, op. cit., p. 44.
[15] Source : http://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/Cahiers/cours/comp.asp?NoObj=0002
[16] Id.
[17] F. Le Goff, « Les malles du lecteur, ou la lecture en écrivant », dans C. Mazauric, M.-J. Fourtanier et G. Langlade (dir.), Textes de lecteurs en formation, Bruxelles, Peter Lang, 2011, p. 222.
[18] Denise Barbeau, Angelo Montini et Claude Roy, « Comment favoriser la motivation scolaire », dans Pédagogie collégiale, vol. 11, no 1 (octobre 1997), p. 12.
[19] J. Lecavalier et S. Richard, Enseigner la littérature au collégial : une démarche stratégique, Montréal, Chenelière éducation, 2010.
[20] Suzanne Richard et Jacques Lecavalier, « Une démarche stratégique pour enseigner la littérature », dans Correspondance, vol. 14, no 3 (février 2009), p. 1.
[21] Id.
[22] Id.
[23] D. Ledur, « Lecture littéraire et enseignement professionnel : faut-il former des "héritiers"? », dans J.-L. Dufays, L. Gemenne et D. Ledur, Pour une lecture littéraire 2. Bilans et confrontations. Actes du colloque de Louvain-la-Neuve (3-5 mai 1995), Bruxelles, De Boeck & Duculot, 1996, p. 337.
[24] J. Lecavalier et S. Richard, Enseigner la littérature au collégial : une démarche stratégique. op. cit., p. 1.
[25] Id.
[26] J.-L Dufays, L. Gemenne et D. Ledur, « Initier au jeu des hypothèses », dans Pour une lecture littéraire : histoire, théories, pistes pour la classe (2e éd.), Bruxelles, De Boeck, 2005, p. 212.
[27] N. Lacelle, « L’intégration du film dans une approche culturelle de l’enseignement de l’œuvre littéraire », dans A.-M. Boucher et A. Pilote (dir.), La culture en classe de français), Québec, Publications Québec français, 1996, p. 43.
[28] Id.
[29] Ibid., p. 44.
[30] Ibid., p. 45.
[31] É. Falardeau et L.-P. Carrier, « Exploiter l’interactivité d’Internet avec les enseignants en formation dans la production de séquences didactiques », dans Recherches, no 44 (2006), p. 146.
[32] A.-M. Tauveron, « Le commentaire justificatif après l’écriture d’invention ou travailler la prise de distance avec son texte. », dans Pratiques, no 127/128 (2005), p. 117.
[33] Michel Dentan, La Grande Peur dans la montagne. Ramuz, op.cit., p. 34.
[34] D. Ledur, « Lecture littéraire et enseignement professionnel : faut-il former des "héritiers"? », dans J.-L. Dufays, L. Gemenne et D. Ledur, Pour une lecture littéraire 2. Bilans et confrontations. Actes du colloque de Louvain-la-Neuve (3-5 mai 1995), Bruxelles, De Boeck & Duculot, 1996, p. 337.
[35] Source :http://www.mels.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/Cahiers/DescFG.asp
[36] Donat Rütimann, « L’exemple de Cézanne ou la matière d’art transposée dans l’universel », dans C.F. Ramuz 6 au carrefour des cultures et des esthétiques, Paris, La revue des lettres modernes, 1998, p. 120.
[37] Yves Reuter, « Enseigner la littérature? », dans Recherches, no 16 (1992), p. 62.
[38] C. Simard, J.-L. Dufays , J. Dolz et C. Garcia-Debanc, « Planification et conception d’un cours de français », dans Didactique du français langue première, Bruxelles, Éditions De Boeck, 2010, p. 101.
[39] Rachèle Lavoie, « La résolution de problème », 2000.