Introduction
Le théâtre québécois a grandement évolué au cours des dernières décennies. « De profonds changements dans la structure et dans la thématique [1] » ont conduit à l’établissement de ce « nouveau théâtre ». Par le regard qu’il pose sur la société à travers ses œuvres, Michel Tremblay est l’un des auteurs ayant contribué à cette évolution. L’aspect caricatural de l’univers fictif et la présence d’un parler joual caractérisent ses pièces. L’étude de ces dernières en classe est donc pertinente, puisqu’elle permet de rendre compte des nouvelles particularités de la dramaturgie québécoise. L’œuvre Les héros de mon enfance constitue une voie d’entrée dans la découverte de ces particularités. Dans sa pièce, Tremblay se moque « des références culturelles et des mythes européens [2] » par les personnages qu’il met en scène et par le lexique employé. Afin d’amener les élèves à percevoir cette critique de la part de l’auteur, deux problèmes doivent être résolus.
D’abord, un problème d’interprétation concernant les héros de l’histoire, qui correspondent à ceux que l’on retrouve dans les contes de Perrault, doit être travaillé avec les jeunes. Les différentes caractéristiques que l’auteur attribue à ses personnages sont à l’opposé de celles des personnages originaux. De cette façon, Michel Tremblay s’amuse de la naïveté qui se dégage des univers fictifs que l’on retrouve dans les contes pour enfants. Ensuite, le lexique utilisé par l’écrivain peut causer un problème de compréhension chez les élèves. Les héros parlent selon « un “français de France“ emprunté, faux mais […] très châtié[3] », ce qui peut compromettre l’intelligibilité de certaines répliques. Ce langage est utilisé pour rire de la culture linguistique des Français. Les activités proposées dans la présente séquence didactique auront comme objectif d’éclaircir ces problèmes de lecture afin que les étudiants prennent conscience de la critique qu’il y a dans la pièce Les héros de mon enfance.
Avant la lecture de l’œuvre
La préparation des élèves à la lecture de la pièce de théâtre est le but des exercices contenus dans cette partie de la séquence. Après les avoir réalisés, les étudiants sauront l’origine des personnages mis en scène dans l’œuvre de Tremblay et auront une meilleure connaissance de ces derniers.
Activité 1 : L’exploration des contes de Perrault
La première activité s’effectue en deux étapes. D’abord, l’enseignant présente l’écrivain Charles Perrault et fait part de l’impact que ce dernier a eu sur le monde littéraire, notamment par l’écriture de contes encore populaires aujourd’hui. Cette présentation permet de rendre compte du contexte dans lequel ces contes ont été rédigés, soit la société française du XVIIe siècle. Par la suite, l’enseignant place les élèves en équipe de 5 ou 6 et distribue, à chacune des équipes, une copie papier de l’un des contes suivant : Le petit Poucet, Cendrillon, Le petit Chaperon rouge, La Belle au bois dormant, Peau d’âne et Les Fées (des versions électroniques de ces textes sont disponibles gratuitement sur le site du Centre National de Documentation Pédagogique[4]). Après avoir lu ces textes, les adolescents reçoivent comme consigne de faire ressortir les caractéristiques physiques et psychologiques de chaque personnage faisant partie de l’histoire. Pour ce faire, les élèves doivent être capables de détecter « l’insertion d’éléments descriptifs ou de séquences décrivant des aspects des personnages[5]» dans un genre narratif. Afin de garder des traces de cette analyse, chaque conte peut être accompagné d’une feuille, contenant le nom des différents protagonistes, sur laquelle les élèves inscriront leurs observations. Cette activité permet de dresser le portrait des héros faisant partie des écrits de Perrault. Les données recueillies par cette analyse serviront à la réalisation de la prochaine activité, soit l’élaboration d’un tableau comparatif.
Activité 2 : La construction du tableau comparatif (première partie)
La seconde activité est une mise en commun des observations faites par les élèves. Après une brève présentation de la pièce Les héros de mon enfance et des personnages qu’elle met en scène, l’enseignant distribue une grille (outil 1) et invite chaque équipe à faire part de son analyse à l’ensemble du groupe en privilégiant les protagonistes suivant : Carabosse, le petit Chaperon rouge, Belle, Cendrillon, Anne, le Petit Poucet, le loup, le prince et la fée Marjolaine. L’enseignant note les réponses au tableau pour que les jeunes puissent les inscrire dans leur grille. Cette dernière comprend une section consacrée à la description que l’on retrouve dans les contes originaux et une autre consacrée au portrait se trouvant dans l’œuvre de Tremblay. Étant donné que le tableau rend compte des différences et des ressemblances entre ces descriptions, il facilite ainsi la comparaison entre ces dernières.
Outil 1
Personnages
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Caractéristiques
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Contes de Perrault
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Les héros de mon enfance
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Le Petit Poucet
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Caractéristiques physiques : petit, délicat, etc.
Caractéristiques psychologiques : fin, parle peu mais écoute beaucoup, souffre-douleur, futé, etc.
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Caractéristiques physiques : petit, déguisé en chaperon rouge, etc.
Caractéristiques psychologiques : impoli, hypocrite, irrespectueux, etc.
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Le petit Chaperon rouge
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Caractéristiques physiques : jolie, petite, etc.
Caractéristiques psychologiques : naïve, gentille, serviable, obéissante, etc.
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Caractéristiques physiques : petite, etc.
Caractéristiques psychologiques : craintive, hypocrite, exigeante, méprisante, irrespectueuse, moqueuse, etc.
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Note : Le texte de la colonne Les héros de mon enfance nécessite préalablement la réalisation de la troisième activité.
L’outil présenté ci-dessus constitue un aperçu de ce que pourrait être le tableau et des éléments pouvant s’y retrouver. Le but de cet exercice est de permettre à l’ensemble des étudiants de connaitre le portrait que Michel Tremblay avait des personnages faisant partie des contes de Perrault avant de les insérer dans l’univers fictif de sa pièce de théâtre.
Pendant la lecture de l’œuvre
Les activités proposées pendant la lecture s’effectuent simultanément et non de manière chronologique. Par le biais de ces dernières, l’enseignant amène les élèves à porter une attention particulière aux deux aspects suivant : les caractéristiques physiques et psychologiques des personnages de l’histoire et le lexique utilisé par l’écrivain. Ces éléments leur serviront à effectuer les activités prévues après la lecture de la pièce.
Activité 3 : La construction du tableau comparatif (deuxième partie)
Tout au long de leur lecture, les élèves doivent prendre des notes afin de pouvoir remplir la section de la grille concernant la description des personnages mis en scène dans la pièce de théâtre Les héros de mon enfance. Puisque « l’initiation au plaisir de lire […] [est] un élément indispensable pour que […] [l’] apprentissage [de la littérature] revête un sens et soit perçu comme réussi [6] », il importe d’éviter une surcharge de travail aux jeunes pendant leur lecture afin que ces derniers ne perdent pas ce plaisir. L’enseignant leur propose donc d’analyser un ou deux personnages, soit ceux faisant partie du conte qu’ils ont travaillé lors de la première activité. Ils doivent, encore une fois, dresser un portrait de ces protagonistes en faisant ressortir leurs caractéristiques physiques et psychologiques. Cela nécessite la capacité à « cerner les personnages en ayant recours […] [aux] didascalies et [aux] dialogues [7] ». Ces caractéristiques devront ensuite être consignées dans la grille. Les étudiants pourront ainsi constater les différences et les ressemblances qu’il y a entre la description des héros faite par Charles Perrault et celle effectuée par Michel Tremblay. Le but de cette activité est donc d’amener les élèves à prendre conscience du contraste qui existe entre ces descriptions et à émettre des hypothèses sur les raisons ayant incité l’auteur québécois à fournir un portrait différent des héros originaux.
Activité 4 : La découverte du lexique
L’auteur québécois s’est servi d’un « français de France » pour écrire son œuvre, ce qui peut causer quelques difficultés de compréhension aux élèves. En effet, certains mots, comme godasses (page 17), garnement (page 51) et taré (page 67), ou certaines expressions, telles que me les casser (page 18), la barbe, quoi! (page 21) et que diable (page 83), peuvent être incompris par les adolescents. Ces éléments linguistiques font partie des « obstacles qui touchent la fonction instrumentale de la lecture et qui ont une incidence directe sur la construction du sens du texte[8] », donc sur la compréhension de ce dernier. Dans le cadre de cette activité, les élèves doivent repérer les mots et les expressions qui leur causent des difficultés et les inscrire sur une feuille. Par la suite, ils émettent des hypothèses sur la signification de ces unités linguistiques à partir de leurs connaissances des différents régionalismes [9] et du contexte dans lequel se trouvent ces unités. Le but de cet exercice est d’amener les élèves à se questionner sur la variété de la langue française que l’écrivain a utilisée et à percevoir l’impact de ce langage sur la lecture d’une œuvre québécoise.
Après la lecture de l’œuvre
Les activités prévues à la suite de la lecture de la pièce permettent un approfondissement de l’examen du lexique et une analyse du tableau comportant les différents portraits des personnages.
Activité 5 : L’impact du lexique
En plénière, l’enseignant invite les élèves à faire part des mots et des expressions qui leur ont causé des problèmes de compréhension. Il inscrit ces unités linguistiques au tableau et demande aux jeunes d’émettre des hypothèses sur les définitions de ces unités. Le professeur les questionne ensuite sur les méthodes qu’ils ont utilisées pour établir leurs hypothèses. Tous ces questionnements mènent à un enseignement magistral portant sur les moyens pour découvrir le sens d’un mot nouveau ou étranger, soit l’utilisation du contexte[10] dans lequel le mot s’inscrit et la consultation de différents ouvrages de références et de ressources électroniques (Antidote, Le Trésor de la Langue française informatisée, etc.).
Par la suite, le professeur montre deux extraits, l’un québécois et l’autre français, du même épisode de l’émission Un gars, une fille. Après le visionnement, il questionne les élèves sur les différences qu’ils ont observées, entre les deux adaptations, concernant les personnages, le langage, le décor, etc. L’enseignant doit animer la discussion dans le but d’aborder la question relative au sentiment d’identification par rapport à la présentation de l’émission. Il s’agit d’amener les jeunes à déterminer la version à laquelle ils s’identifient le plus et les raisons qui sous-tendent leur choix. En effectuant le lien entre l’émission Un gars, une fille et la pièce Les héros de mon enfance concernant le vocabulaire employé par les protagonistes, les élèves comprendront dans quelle mesure ce vocabulaire influence la participation dans la lecture littéraire, soit « l’implication psychoaffective du lecteur dans les référents du texte[11] ». Cette participation a elle-même un impact sur la compréhension, locale et globale[12], du texte. De plus, ce visionnement permet de mettre en évidence l’utilisation du « français de France[13] », ce qui confirme que l’auteur se moque de références culturelles européennes. Les buts poursuivis par cette activité sont donc l’apprentissage des moyens permettant de découvrir le sens d’un mot inconnu et la prise de conscience de l’impact du lexique sur la réception d’un texte.
Activité 6 : La description par le dialogue
La première étape de cette activité est la mise en commun des données consignées dans le tableau. Puisque chaque élève devait analyser un ou deux personnages, ce partage d’informations permet à l’ensemble du groupe de remplir leur tableau. Pour chacun des personnages, l’enseignant demande aux jeunes l’ayant étudié de faire part de ses caractéristiques physiques et psychologiques au groupe, et inscrit ces dernières au tableau. Cette finalisation de la construction du tableau vient après l’étude du lexique, car celle-ci peut avoir résolu certains problèmes de compréhension concernant des passages susceptibles de contenir des traits caractérisant les héros. L’enseignant amène par la suite les jeunes à prêter attention aux principales conclusions que l’on peut tirer du tableau. D’abord, l’aspect physique est peu décrit dans la pièce de Tremblay, et quand il l’est, il correspond à celui des protagonistes des contes de Perrault. Toutefois, pour ce qui est des caractéristiques psychologiques, elles sont très différentes d’une œuvre à l’autre. L’auteur québécois attribue des vices aux personnages vertueux que l’on retrouve dans les contes pour enfants. C’est donc par une description contrastive que Tremblay se moque « des références culturelles et mythes européens » dans lesquels le bien l’emporte toujours sur le mal.
Puisque « la littérature [est] l’objet possible d’une diversité d’activités d’écriture et d’oralité [14] », les élèves devront écrire un dialogue qu’ils présenteront oralement devant leurs camarades de classe. Cette présentation peut constituer une évaluation sommative. Les constations faites à partir de l’analyse du tableau comparatif serviront à la réalisation de cette activité. L’enseignant ayant amené les élèves à prendre conscience de la manière dont se sert Michel Tremblay pour se moquer des contes de Perrault, soit par l’attribution de vices à des personnages vertueux, il invitera ces jeunes à faire de même. Ces derniers recevront la consigne suivante :
En équipe de deux, vous devrez écrire deux versions d’un dialogue entre deux personnages traitant d’un même sujet. Il peut s’agir d’une conversation téléphonique, d’une rencontre entre collègues de bureau, d’un échange entre un vendeur et un client, etc. Le dialogue devra être d’une longueur de deux pages. Des éléments descriptifs concernant le physique et la psychologie des interlocuteurs doivent être insérés dans le dialogue et dans les didascalies afin que l’on puisse dresser un portrait de ces derniers. L’une des versions doit présenter des personnages vertueux, alors que l’autre doit mettre en scène des personnages ayant de nombreux vices. Puisque vous devrez présenter ce dialogue devant la classe, vous devez utiliser un langage favorisant la compréhension de vos camarades.
Puisqu’elle permet aux élèves d’effectuer des descriptions contrastives à travers un même dialogue et qu’elle nécessite de porter une attention particulière au lexique, cette production requiert la mobilisation de l’ensemble des connaissances acquises tout au long de la présente séquence didactique.
Conclusion
L’étude des pièces de théâtre écrites par Michel Tremblay est pertinente puisqu’elle permet de rendre compte des changements qui se sont produits dans l’univers théâtral québécois depuis les dernières décennies. La façon dont l’écrivain se moque des références culturelles européennes dans la pièce Les héros de mon enfance est représentative des nouvelles pratiques caractérisant ce nouveau théâtre. C’est en comparant le portrait des personnages des contes de Perrault à celui des personnages de l’œuvre de Tremblay et en utilisant le lexique pour découvrir l’endroit fictif où se déroule l’histoire que les élèves ont pu prendre conscience de cette moquerie de la part de l’auteur.
Bibliographie
CENTRE NATIONAL DE DÉVELOPPEMENT PÉDAGOGIQUE, « Neuf contes », dans Centre national de développement pédagogique, CNDP.FR, Des ressources pour enseigner, [en ligne], http://www.cndp.fr/actualites/neuf-contes-de-perrault-en-ligne.html [Texte consulté le 07 avril 2012]
CHARTRAND, Suzanne-G. et al., Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, 2e édition, Chenelière Éducation, Saint-Laurent, 2011, 412 pages.
DUVAYS, Jean-Louis et al., Pour une lecture littéraire, 2e édition, Histoire, théories, pistes pour la classe, De Boeck, Bruxelles, 2005, 370 pages.
MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT, Progression des apprentissages au secondaire, Français, langue d’enseignement, Août 2011, 89 pages.
SIMARD, Claude et al., Didactique du français langue première, De Boeck, Bruxelles, 2010, 459 pages.
TREMBLAY, Michel, Les héros de mon enfance, Leméac, Montréal, 2009, 101 pages.
WEISS, Jonathan, « Le théâtre québécois: une histoire de famille », dans L’Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, n. 5-6, (1988-1989), 10 pages. [Article consulté dans Érudit, [en ligne], http://www.erudit.org/revue/annuaire/1989/v/n5-6/041066ar.pdf [Article consulté le 07 avril 2012]]
[1]Jonathan Weiss, « Le théâtre québécois: une histoire de famille », dans L’Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, n. 5-6, (1988-1989), p.131. [Article consulté dans Érudit, [en ligne], http://www.erudit.org/revue/annuaire/1989/v/n5-6/041066ar.pdf [Article consulté le 07 avril 2012]]
[2]Michel Tremblay, Les héros de mon enfance, Leméac, Montréal, 2009 p.8.
[3] Idem.
[4] Centre national de développement pédagogique, « Neuf contes », dans Centre national de développement pédagogique, CNDP.FR, Des ressources pour enseigner, [en ligne], http://www.cndp.fr/actualites/neuf-contes-de-perrault-en-ligne.html [Texte consulté le 07 avril 2012]
[5] Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Progression des apprentissages au secondaire, Français, langue d’enseignement, Août 2011, p.30.
[6] Jean-Louis Duvays et al., Pour une lecture littéraire, 2e édition, Histoire, théories, pistes pour la classe, De Boeck, Bruxelles, 2005, p.143-144.
[7] Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Progression des apprentissages au secondaire, Français, langue d’enseignement, Août 2011, p.36.
[8] Jean-Louis Duvays et al., Pour une lecture littéraire, 2e édition, Histoire, théories, pistes pour la classe, De Boeck, Bruxelles, 2005, p.137.
[9] Suzanne-G. Chartrand et al., Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, 2e édition, Chenelière Éducation, Saint-Laurent, 2011, p.305.
[10] Suzanne-G. Chartrand et al., Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui, 2e édition, Chenelière Éducation, Saint-Laurent, 2011, p.362.
[11] Jean-Louis Duvays et al., Pour une lecture littéraire, 2e édition, Histoire, théories, pistes pour la classe, De Boeck, Bruxelles, 2005, p.92.
[12] Ibid, p. 112-117.
[13] Michel Tremblay, Les héros de mon enfance, Leméac, Montréal, 2009 p.8.
[14] Claude Simard et al., Didactique du français langue première, De Boeck, Bruxelles, 2010, p.334.