PERTINENCE DU TEXTE CHOISI
L’œuvre intégrale au cœur de cette séquence est La route des Flandres de Claude Simon. Cette œuvre s’inscrit directement dans la mouvance1 du Nouveau Roman. Le choix de ce texte se justifie par les difficultés qu’il présente pour le lecteur. Il se situe dans la zone de développement proximal, cette zone ni trop éloignée ni trop proche qui oblige l’élève à se surpasser dans la poursuite de ses objectifs. De plus, La route des Flandres offre un terrain idéal pour développer chez l’élève une lecture dite littéraire : ce va-et-vient entre participation et distanciation. Cette lecture est bel et bien présente et s’impose d’elle-même dans l’œuvre de Claude Simon qui accapare le lecteur et le repousse en même temps continuellement. Bref, ce sont les difficultés soulevées par la lecture de l’œuvre de Claude Simon qui, en obligeant le lecteur à dépasser ses habitudes usuelles de lecture, permettent de développer chez l’élève la lecture littéraire. Nous croyons qu’une lecture réussie et appréciée d’une oeuvre valorisée intellectuellement peut devenir une importante source de motivation et de plaisir pour les élèves. De plus, par la place qu’elle occupe au sein de l’histoire littéraire, l’œuvre de Claude Simon permet d’aborder une foule d’éléments appartenant tant à l’histoire des lettres, à la sociologie de la littérature, qu’au formalisme.
IDENTIFICATION DES PROBLÈMES À RÉSOUDRE
Les deux problèmes retenus sont, premièrement, amener les élèves à surmonter les difficultés de lecture posées par le texte et, deuxièmement, les amener à comprendre en quoi et comment La route des Flandres exprime l’échec des valeurs, des idéologies et de la culture face à la guerre.
OUTILS
Recueil de textes :
Recueil de textes présentant divers concepts littéraires : une définition du Nouveau Roman tirée d’un ouvrage de référence, la définition de certains procédés stylistiques comme les types de discours, les registres de langue, etc.
Fiche de lecture :
Bien que La route des Flandres soit un roman extrêmement éclaté, il présente, pour ce qui est de la préparation à la lecture, un avantage qu’il faut exploiter : l’œuvre de Claude Simon n’est en fait qu’une répétition de scènes, d’événements ou de lieux qui sont pour la plupart tous présents dans les vingt premières pages. Il ne faut pas cacher ce fait aux étudiants, il faut plutôt les aider à identifier les personnages et les espaces, car cela les aidera dans leur compréhension du texte. La fiche, rédigée en style télégraphique, devra donc identifier les personnages et les lieux, par exemple : le train, la route, le camp de prisonniers, aux courses, au lit avec Corinne, etc. C’est au professeur d’aiguiller les élèves sur de bonnes pistes.
LA SÉQUENCE DIDACTIQUE
1er cours
Pour ce cours, les élèves doivent avoir lu les vingt premières pages du roman en prêtant attention aux personnages et aux espaces présents. Les premières minutes de ce cours sont consacrées à la présentation de La route des Flandres et de Claude Simon (sa vie, son expérience militaire, ses prix littéraires). La vie militaire de Claude Simon peut intéresser les élèves et même leur faire voir l’écrivain sous un angle héroïque. Il faut ensuite rassurer les élèves, leur expliquer qu’il est normal qu’ils se sentent perdus à la lecture de La route des Flandres, que c’est voulu par l’auteur et que c’est là une des richesses du texte. La deuxième partie de ce cours sera réservée à la construction, de la fiche d’aide à la lecture.
2e cours
Les élèves remettent la fiche de lecture et sont invités à entamer pour de bon leur lecture. Ce deuxième cours servira à identifier comment l’œuvre de Claude Simon perd son lecteur. Les élèves seront de nouveau placés en équipe et l’on distribuera à chacune des équipes un extrait de l’œuvre. Les équipes devront répondre, à l’aide des extraits et pendant la première partie du cours, à la question suivante : « Comment, par quels procédés, Claude Simon égare-t-il ses lecteurs ? » Dans la deuxième heure, les réponses seront mises en commun et le professeur en écrira la liste au tableau. Il est important qu’il y ait, dans cette liste, entre autres, les transitions qui interviennent sans avertissement, l’utilisation incorrecte de la ponctuation, la difficulté de s’y reconnaître avec les pronoms, les incertitudes généralisées, une recherche du terme exact qui vient allonger la phrase et l’absence totale d’ordre chronologique. Les trois extraits utilisés sont, les pages 274 à 276, 260 à 262 et 11 à 13. Les deux premiers cours, en ce qu’ils montrent comment La route des Flandres perd son lecteur, devraient aider grandement les élèves dans leur lecture, car ils n’auront plus l’impression d’être incompétents.
3e cours
Après avoir établi comment Claude Simon crée de la confusion chez le lecteur, il est nécessaire d’expliquer pourquoi. Ce cours sera consacré à la présentation (sous l’angle historique et thématique) du Nouveau Roman dont l’œuvre de Roger-Michel Allemand donne, en une centaine de pages et dans un style simple et accessible, une idée assez claire. C’est ensuite le monde de l’édition et les concepts d’avant-garde et de champ des biens culturels qui seront abordés. Finalement, il est important de présenter certaines caractéristiques du Nouveau Roman : le fait que le Nouveau Roman n’est pas une école littéraire, qu’il se présente essentiellement comme une aventure de l’écriture et qu’il se définit principalement par une foule de rejets : rejet des formes traditionnelles du récit, rejet du personnage romanesque balzacien, souci de vraisemblance inutile.
4e cours
Ce cours portera sur les thèmes qu’il est possible d’identifier dans La route des Flandres. L’utilité de ce cours est avant tout de répondre au second problème : amener les élèves à comprendre en quoi et comment La route des Flandres exprime l’échec des valeurs, des idéologies et de la culture face à la guerre. Les élèves seront placés en équipe et auront à répondre, à l’aide de trois extraits (p. 211, 78 à 79 et 282) particulièrement signifiants et dans un minimum d’une page, à la question suivante : « Quels thèmes ont en commun ces trois extraits ? »
5e cours
Le professeur remettra le travail et il y aura mise en commun des réponses faites par chaque équipe. Le professeur écrira tous les thèmes énoncés par les élèves au tableau et procédera avec eux à l’identification de trois ou quatre thèmes récurrents. De plus, en prenant appui sur ces thèmes, il tentera de faire ressortir le rejet ou l’échec des valeurs et des idéologies face à la guerre : qui me semble être le thème principal de ces trois extraits. À la fin de cet exercice, le professeur donnera le sujet de la dissertation finale qui est, bien sûr : « En quoi et comment l’œuvre de Claude Simon exprime-t-elle l’échec des valeurs, des idéologies et de la culture face à la guerre ? » Il est important, en terminant, de bien indiquer aux élèves que, la littérature n’étant pas une science exacte, l’œuvre de Claude Simon (et toute œuvre littéraire en fait) peut être abordée sous une infinité d’angles de lectures et d’interprétations : toutes d’égales valeurs, si bien argumentées. Cet angle a été retenu et imposé aux étudiants, car il leur permet, il me semble, de mieux réinvestir l’ensemble des connaissances abordées, c’est-à-dire l’œuvre, l’écrivain et tout ce qui les entoure.
BIBLIOGRAPHIE2
• ALLEMAND, Roger-Michel, Le Nouveau Roman, Paris, Éditions Ellipses, 1996, 118 p.
• CRESCIUCCI, Alain, TOUZOT, Jean [dir.], Claude Simon autour de La Route des Flandres, Littératures contemporaines, no 3, Paris, Éditions Klincksieck, 1997, p. 222.
• RICARDOU, Jean, « Un ordre dans la débâcle », dans Critique, décembre 1960, Paris, Éditions de Minuit, p. 1011 à 1024.
• DÄLLENBACH, Lucien, « La question primordiale », dans Sur Claude Simon, Paris, Éditions de Minuits, 1987, p. 63-93.
• VIART, Dominique, Une mémoire inquiète La Route des Flandres de Claude Simon, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, 302 p.
• ROUXEL, Annie, Enseigner la lecture littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, 15-38 p.
• FALARDEAU, Érick, Didactique du français au collégial I recueil de textes, Québec, Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage Université Laval, automne 2004.
• SIMON, Claude, La route des Flandres, Paris, Les Éditions de Minuit, 1960, 314 p.
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1 Le Nouveau Roman n’étant ni une école ni un groupe littéraire formellement constitué, nous utiliserons le terme mouvance, avancé par Roger-Michel Allemand dans Le Nouveau Roman, qui s’est lui-même inspiré de l’expression mouvement utilisé par Michel Butor.
2 Étant donné les visées didactiques de ce travail, les ouvrages ont été placés en ordre d’importance, en commençant par celui qui m’a le plus éclairé.