Dans le cadre d’un projet d’élaboration de situation-problème, nous avons choisi des textes de Hubert Aquin ¹. Malgré le contenu parfois aride des publications d’Aquin ─ elles ne s’adressent vraisemblablement pas à des néophytes ─, nous sommes certains de la pertinence de les enseigner, entre autres parce que les thèmes qui y sont abordés sont autant de voies à emprunter pour familiariser les cégépiens à la philosophie existentialiste. Ces textes se présentent comme des exemples de « mises en récit » des théories sartriennes. Et en amont de ces fictionnalisations, ou « mises en récit », se dessine le contexte sociopolitique du Québec des années quarante et cinquante, époque de la rédaction de ces récits. Étant donné qu’Aquin baigne ─ et peut-être même se noie ─ dans le duplessisme d’alors, et que ce contexte influe directement sur son écriture et sur les thèmes qu’il privilégie, nous prévoyons répondre, par l’étude de ces récits, au premier critère de performance du cours de français 103 qui vise à ce que l’élève puisse donner, au terme de la session, une « description appropriée des représentations du monde contenues ou exprimées dans des textes de la littérature québécoise ». Notre séquence didactique se divise en trois parties : l’avant, le pendant et l’après de la lecture.

Avant la lecture

En premier lieu, l’élève se familiarisera avec les notions existentialistes. Pour ce faire, une semaine avant que ne débute la séquence didactique, nous allons diviser la classe en quatre groupes. Trois des groupes devront trouver une définition de l’existentialisme dans une de ces sources : le Petit Robert, le Larousse, et un dictionnaire philosophique. Les membres du dernier groupe devront définir par eux-mêmes, sans référence à quelque dictionnaire que ce soit, ce qu’ils entendent par existentialisme. En classe, après concertation entre les membres de chaque équipe ─ où ils joindront toutes les acceptions trouvées pour en créer une seule ─, un représentant de chacun des groupes inscrira au tableau la définition finale acceptée par son équipe. Nous les comparerons ensuite en tentant de comprendre leurs différences et leurs ressemblances. Le professeur complétera son enseignement en donnant quelques notions complémentaires sur cette philosophie et, avec les élèves, il en dégagera les thèmes principaux. À la fin de cet exercice, l’élève comprendra davantage ce qu’est l’existentialisme.
Nous nous pencherons ensuite sur des extraits de La Nausée de Jean-Paul Sartre afin d’y déchiffrer des « mises en récit » de thèmes existentialistes. En plus de se familiariser avec les notions existentialistes, l’élève aura ici l’occasion de s’exercer à chercher des thèmes à l’intérieur d’un texte, comme il devra ultérieurement le faire avec les récits d’Aquin.
Par ailleurs, l’enseignant réservera un peu de temps afin de parler des intérêts de l’écrivain : son style d’écriture, l’époque à laquelle il vécut, les thèmes privilégiés dans son œuvre, etc.
Afin de faire le lien avec les théories apprises et de bien ancrer ces nouvelles connaissances, nous présenterons une partie du documentaire Sartre par lui-même ². Les élèves devront lire les douze premiers récits de Récits et nouvelles, Tout est miroir pour le cours suivant, tout en gardant en tête les thématiques existentialistes.

Pendant la lecture

La classe sera divisée en douze équipes et chacune d’elles travaillera sur un des récits : les équipes devront trouver et faire ressortir tous les éléments existentialistes contenues dans le récit qu’elles analysent. Elles devront ensuite trouver des parallèles entre les idées aquiniennes et celles de Sartre ³. La recherche des thèmes s’effectuera autant sur le plan de la forme que du fond des récits. Nous mettrons ensuite en commun les découvertes de chaque équipe.
Au cours suivant, dans une recherche d’approfondissement de la matière, l’enseignant expliquera les rudiments du courant baroque, car Aquin s’y réfère souvent dans la construction de ses récits par l’utilisation, entre autres, du trompe-l’œil. Toujours en groupes, les élèves devront établir des liens entre ce courant, les textes policiers et l’existentialisme; pour ce faire, ils s’aideront des récits d’Aquin. Cet exercice sera complété par une mise en commun des liens trouvés et par une réflexion sur la pertinence de ces liens.

Après la lecture

Les élèves devront participer à un atelier de création où, en équipe de deux, ils construiront des pastiches des récits d’Aquin, c’est-à-dire des récits où seront exposées les thématiques existentialistes. Pour ce faire, ils pourront emprunter la voie du roman policier, ou encore, à leur guise, imaginer d’autres voies formelles qui facilitent l’insertion de propos existentialistes. Tous les récits seront lus en classe. Ensuite, nous les comparerons en nous questionnant : les consignes relatives aux thèmes existentialistes ont-elles été respectées? A-t-on traité ces thèmes à la façon d’Aquin, de Sartre ou d’une manière originale? En somme, ces problématiques permettront à l’élève de vérifier par lui-même la qualité de son apprentissage, car il réalisera s’il est en mesure ou non, au terme de la séquence, de comparer sa démarche à celles des auteurs étudiés. Il devra réfléchir sur les différences et les ressemblances entre sa création et celles des autres écrivains.

Nous croyons que les diverses préparations proposées faciliteront l’investissement de l’élève dans sa lecture, car un sentiment de familiarité naîtra au fur et à mesure qu’il déchiffrera et fera des liens entre ce qu’il a appris sur l’existentialisme et les « mises en récit » qu’il décèle dans les textes. Au terme de cet exercice, l’élève pourra mesurer l’apport des autres disciplines dans toute analyse littéraire, car, comme le mentionne à juste titre Falardeau, « les élèves qui arrivent au collégial n’ont jamais ou que très peu été habitués à lire un texte en se référant à des notions périphériques. ⁴» Nous espérons enfin que les récits aquiniens auront comme atout celui de la forme policière, car si cette forme est moins enseignée au collégial, elle y trouve pourtant de nombreux adeptes.

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¹ Nous nous référons aux douze premiers textes de Récits et nouvelles, Tout est miroir, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1998, p. 1-50.
² Ce vidéo relate quelques-unes des actions entreprises par Sartre pour que soit véhiculée sa théorie existentialiste.
³ Par exemple, pourquoi peut-on dire que la forme policière employée dans plusieurs récits d’Aquin sert au thème de l’« Autre »?
⁴ Érick Falardeau, « La préparation à la lecture pour améliorer les compétences des élèves en littérature », Pédagogie collégiale, vol. 16, n° 1, p. 10.