1. Choix de l’œuvre
Il nous semblait pertinent de mettre à l’étude Les Aurores montréales pour plusieurs raisons. Le genre de la nouvelle demeure méconnu et rime souvent à tort avec fantastique (alors qu’on sait que pour plusieurs nouvellistes, il n’en est rien). De plus, le recueil Les Aurores montréales donne à voir, étant donné la force de chaque texte qui le compose, des personnages et des tableaux qui interpellent la sensibilité du lecteur ainsi qu’une représentation de la ville qui saura, sans doute, piquer l’intérêt des élèves. En outre, ce qui nous amène par-dessus tout à mettre l’œuvre de Proulx à l’étude, c’est le questionnement qu’elle suscite sur la culture d’ici et sur plusieurs enjeux sociaux actuels, dont l’interculturalisme.
Nous avons construit cette séquence didactique autour de deux principaux problèmes de lecture. Le premier concerne la forme du récit bref. Nous croyons qu’il est nécessaire que les élèves se familiarisent d’abord avec la forme (caractéristiques, mécanique textuelle, etc.), avant même la lecture de l’œuvre. Le second problème réside plutôt dans la lecture du recueil comme une œuvre globale. D’ailleurs, la deuxième partie de la séquence met l’accent sur les liens qui existent entre les nouvelles.
Bref, la séquence suivante se veut évolutive en ce sens qu’elle guide les élèves dans leur compréhension de l’œuvre, et ce, en leur donnant les outils nécessaires du début à la fin.
2. Séquence didactique
1er cours : Présentation de la forme du récit bref
La visée de ce premier cours est de familiariser l’élève avec la forme du récit bref. La première partie du cours sert d’introduction au genre par une activité réalisée à partir de deux (ou trois) nouvelles québécoises brèves (environ une page). En équipe, les élèves doivent essayer de relever les caractéristiques du genre en appuyant leurs choix sur des exemples tirés du texte. À la fin de cet exercice, l’enseignant récupère les caractéristiques relevées en plénière et discute de leur validité, tout en les complétant lorsque le cas l’impose. L’enseignant propose ensuite aux élèves de rédiger une nouvelle d’une page en équipe (de trois ou quatre élèves), sur un thème imposé, afin de leur permettre de travailler avec les mécanismes textuels qu’ils ont relevés plus tôt. Le choix du thème, « Une activité d’hiver en famille au Québec », a pour but de guider les élèves dans l’écriture, de permettre la mise en relief des rédactions, mais surtout de réutiliser ultérieurement ces textes dans un autre contexte d’apprentissage.
2e cours : L’interculturalisme littéraire : les cultures des immigrants au sein de la littérature québécoise.
Cette séance a pour objectif de mettre les élèves en contact avec des textes d’auteurs migrants — à qui Proulx dédicace certaines nouvelles — qui résident au Québec. L’enseignant soumet quelques extraits des textes de Dany Laferrière, Ying Chen, Wajdi Mouawad, etc. Sans trop les approfondir, l’enseignant propose aux élèves de se regrouper en petites équipes. Les élèves doivent faire ressortir de l’extrait qui leur a été assigné le caractère exotique du vocabulaire, des images, le côté extraordinaire de la vision de l’auteur, etc. L’activité réalisée, l’enseignant organise une plénière qui permet à chaque équipe de présenter et d’expliquer brièvement les éléments retenus.
L’enseignant met le reste du temps du cours à la disposition des élèves afin qu’ils commencent la réécriture de leur courte nouvelle qui mettra dorénavant en scène une famille haïtienne, exercice qu’ils devront remettre au prochain cours et qui sera évalué de façon sommative à l’aide d’une grille de correction préalablement établie. Cette activité veut préparer les élèves à interpréter les interférences culturelles qui se multiplient dans plusieurs nouvelles du recueil de Monique Proulx.
3e cours : Réflexion sociocritique et formelle sur le recueil
L’enseignant commence par rappeler les caractéristiques de la nouvelle. Il sélectionne une courte nouvelle du recueil (par exemple Ça) et demande aux élèves, en plénière, de lui indiquer les principaux mécanismes textuels qui font de ce texte une nouvelle. Il amène ensuite les élèves à s’interroger quant à la critique sociale qui émerge de cette nouvelle. L’enseignant propose ensuite aux élèves de discuter, en petites équipes, du sens général de l’œuvre, en tenant compte des liens thématiques qui relient toutes les nouvelles du recueil : « Quelle est l’intention de l’auteure ? Quelles sont les valeurs véhiculées dans les textes ? ». Après quelques minutes, l’enseignant soulève cette question : « D’après vous, est-ce que les textes en italiques (c’est-à-dire Gris et blanc, Jaune et blanc, Rose et blanc, Noir et blanc, Rouge et blanc et Blanc) font partie d’une même nouvelle ou s’avèrent-ils être des textes autonomes ? ». Cette dernière réflexion permettra aux élèves de discuter des liens potentiels entre toutes les nouvelles, de la cohérence de la mise en recueil de ces dernières.
4e cours : L’évolution de la ville à travers les personnages
Le cours se déroule autour d’une activité centrale qui a pour but le réinvestissement de la compréhension des personnages et des espaces ainsi que des principaux enjeux abordés par les nouvelles de Monique Proulx : la réécriture d’une nouvelle. L’enseignant soumet, à chaque équipe (de deux ou trois élèves), une nouvelle du recueil qu’ils doivent résumer en une quinzaine de lignes maximum (en quelque sorte, les élèves doivent rédiger le synopsis de la nouvelle). Ensuite, il demande à chaque équipe de décrire le (les) personnage(s) principal(aux), tant sur le plan physique que psychologique, de façon très brève. Cela fait, chaque équipe échange son synopsis avec une équipe voisine qui devra réécrire en deux ou trois pages la nouvelle, en considérant que le personnage principal est maintenant celui dont ils ont relevé les caractéristiques plus tôt. À la fin de la séance, les équipes lisent à voix haute leur nouvelle et l’enseignant ainsi que les autres élèves commentent les créations.
5e cours : L’univers fictionnel du recueil
L’activité proposée pour cette période consiste en un débat sur la possibilité que tous les personnages du recueil fassent partie d’un même univers fictionnel. Pourraient-ils se croiser dans la rue ou se retrouver au même restaurant ? La visée de ce débat est d’amener les élèves à pousser davantage leur réflexion et à articuler leur pensée. Les élèves sont aussi invités à mettre leurs arguments et leurs justifications à l’écrit : ceux-ci seront évalués de façon sommative pour leur pertinence.
6e et 7e cours : Dissertation critique
Les quatre heures de cours de la dernière semaine sont mises à la disposition des élèves afin qu’ils rédigent une dissertation sommative (de 800 mots) dont le sujet permet de récupérer tous les éléments étudiés en classe : la forme de la nouvelle, du recueil, les thèmes et les enjeux sociaux abordés, les personnages et les lieux. Après cette séquence didactique, les élèves devraient posséder toutes les clés leur permettant d’articuler de façon pertinente une argumentation sur ce sujet :
À propos des Aurores montréales, Danielle Laurin écrit dans Le Devoir, en parlant de la mise en recueil des nouvelles : « Une structure admirable, qui offre une formidable mosaïque de Montréal sous ses multiples aspects contradictoires ». Discutez cette affirmation en vous appuyant sur l’organisation des nouvelles en recueil, sur les principaux thèmes qu’il aborde ainsi que sur les espaces et les personnages qu’il met en scène1.
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1 Danielle LAURIN, « Monique Proulx », dans Le Devoir, édition du 23 mars 1996.
Bibliographie
CARPENTIER, André, « Commencer et finir souvent. Rupture fragmentaire et brièveté discontinue dans l’écriture nouvellière », dans La nouvelle : écriture(s) et lecture(s), sous la dir. de Agnès WHITFIELD et Jacques COTNAM, Toronto/Montréal, Éditions du GREF/XYZ Éditeur, 1993.
DUCHET, Claude, « Pour une socio-critique ou variations sur un incipit », dans Littérature, no 1 (février 1971), p. 9.
LAURIN, Danielle, « Monique Proulx », dans Le Devoir, édition du 23 mars 1996.
NEUMEYER, Odette et Michel, « Contrepoint. Corriger, réécrire ou relancer ? », dans Animer un atelier d’écriture. Faire de l’écriture un bien partagé, Issy-les-Moulineaux, ESF Éditeur, coll. Didactique du français, 2003, p. 168.
SAUVÉ, Denis, Des nouvelles ayant trop de mots, sous la dir. de René Audet et Andrée Mercier, Québec, Presses de l’université Laval, à paraître.
D. SIMARD et S. MARTINEAU, « Qu’elle culture à l’école : Goethe ou Herder? », dans Pédagogie collégiale, Montréal, vol. 12, no 4 (mai 1999), p. 11.