Introduction
Cette présente séquence didactique porte sur le roman Le ciel tombe à côté (2003) de l’auteure québécoise Marie-Francine Hébert. Paru dans la collection Titan + chez Québec Amérique, ce roman jeunesse s’adresse aux élèves du deuxième cycle du secondaire. « Il semble essentiel à ce moment [les dernières années de l’enseignement secondaire] de travailler sur des genres et des textes de plus en plus complexes, notamment ceux du roman, du théâtre et de la poésie » (Simard et coll., 2010, p.344). Il est donc pertinent de travailler ce roman au secondaire puisqu’il représente le genre roman psychologique et qu’il contient des extraits de poèmes tirés de l’œuvre de Victor Hugo. Dans la classe, les enseignants se doivent de présenter des activités portant sur des objectifs très diversifiés permettant une meilleure compréhension des lectures ainsi qu’une amélioration considérable de la maitrise[1] de la langue. En ce sens, cette séquence présente des activités reliées à des problèmes de lecture, soit un travail sur la langue, sur l’intertextualité, sur la réécriture et sur l’analyse de chapitre, qui permettront de mieux comprendre certaines difficultés susceptibles de survenir lors de la lecture des élèves. De plus, le journal de lecture permettra aux élèves de conserver l’ensemble du travail effectué au cours des différentes activités. Enfin, cette séquence renvoie au fait que « la pratique de la lecture littéraire devrait apprendre aux élèves à tirer de chaque texte un maximum d’enseignements, à maitriser non seulement les informations mais aussi les codes et les stéréotypies que tout texte véhicule » (Dufays, 2009, p.129).
AVANT LA LECTURE
Première activité – Intention de lecture
Lors de cette activité, l’enseignant amène les élèves à se projeter dans le roman qu’ils auront à lire. En plénière, l’enseignant fait d’abord la lecture à voix haute de la quatrième de couverture. Il distribue ensuite un tableau présentant les titres de chacun des chapitres. En petits groupes, les élèves discutent de leurs impressions par rapport à l’information reçue. Ils échangent sur ce qu’ils connaissent maintenant du roman qu’ils auront à lire. Dans cette activité, le travail d’équipe est important puisqu’il permet l’utilisation « de stratégies didactiques qui mettent les élèves en discussion autour des textes […] et qui favorisent chez chacun la mise à distance de sa propre lecture, grâce à la parole des pairs » (Falardeau et Simard, 2011, p.196). Ensuite, dans un court texte d’environ 150 mots, les élèves mettent sur papier, dans leur journal de lecture, les perceptions et les sentiments qu’ils ont ressentis lors de la lecture des titres. Enfin, de retour en plénière, les élèves présentent leur texte à la classe et justifient leur raisonnement. Il est important que l’enseignant favorise la discussion en plénière, car « l’oral implique l’ensemble de la personne, dans la mesure où la production verbale ne peut pas être dissociée de la voix et du corps » (Simard et coll., 2012, p.288). À travers la discussion, l’enseignant, de son côté, confirme ou infirme l’information qui lui est présentée par les élèves. Enfin, l’enseignant présente brièvement quelques-uns des thèmes principaux qui seront abordés dans l’histoire, soit la souffrance, l’enfance, l’amitié, la famille, la puberté, les différences et la nature.
Deuxième activité – Recherche sur l’auteure
Cette activité consiste à amener les élèves à s’intéresser et à se familiariser davantage à l’institution littéraire en « permettant aux élèves de constater que la littérature n’est pas seulement un ensemble de savoirs du passé, mais aussi une pratique vivante, qui s’incarne dans des lieux, des objets et des personnes d’aujourd’hui » (Simard et coll., 2010, p.333). Afin de mieux se préparer à la lecture du roman, les élèves devront faire une recherche sur Marie-Francine Hébert, auteure de littérature jeunesse et écrivaine reconnue au Québec depuis près de vingt-cinq ans. L’enseignant doit prévoir la réservation d’un local informatique afin que tous les élèves puissent bénéficier d’un ordinateur pour effectuer la recherche. Au choix de l’enseignant, cette activité peut s’effectuer individuellement ou en dyade. L’enseignant propose quelques pistes de recherche aux élèves, telles que la bibliographie de l’auteure, sa reconnaissance, ses origines et ses inspirations. La recherche n’est pas contraignante, mais les élèves doivent tout de même rédiger un résumé d’environ une page présentant une synthèse de l’information qu’ils ont recueillie dans leur journal de lecture. Cet outil permet à l’élève de consigner les traces du travail effectué au cours de cette séquence. De plus, ce journal de lecture « permet à l’enseignant de prendre conscience de ce qui intéresse l’élève, de ce qu’il repère dans une lecture, de la manière dont il interprète le livre. » (Dufays, 2009, p.183)
PENDANT LA LECTURE
Troisième activité - Lecture de l’œuvre intégrale
Les élèves doivent lire l’œuvre intégrale afin de pouvoir effectuer un travail sur le texte en profondeur et en complexité. À la suite de chaque chapitre, les élèves doivent réagir à leur lecture en écrivant un court texte d’environ 50 mots pouvant prendre la forme d’un résumé, d’un commentaire critique ou d’une opinion personnelle. « L’enseignant peut demander à l’élève de noter non seulement ses réactions […], mais aussi ses pratiques, ses habitudes pendant la lecture. » (Dufays, 2009, p.183) Ces textes doivent être compilés dans le journal de lecture de l’élève afin qu’il puisse y avoir accès en tout temps.
Quatrième activité – L’oralité
Cette activité a pour objectif d’amener les élèves à considérer toute la complexité de la langue utilisée dans ce roman. À travers son œuvre, l’auteure utilise un langage cru, des jeux de mots, des expressions imagées et beaucoup de formes d’oralité. Cette présente activité s’intéresse davantage aux divers emplois de l’oralité dans le texte. « Soulignons que c’est la prise en compte des spécificités de l’oral dans l’élaboration d’activités d’enseignement […] qui entraine, chez les élèves, une meilleure représentation de la langue parlée. » (Sénéchal, 2012, p.22) Le choix des mots apporte énormément de profondeur à l’histoire qui est racontée par une jeune narratrice. Dans cette perspective, l’enseignant doit amener les élèves à surmonter les possibles problèmes de compréhension reliés à la langue. Pour ce faire, il présente d’abord divers phénomènes linguistiques particuliers à l’oral : l’emploi de mots ou d’expressions qui marquent la fonction du langage, l’usage de répétitions, les procédés de mise en relief, l’abondance des phrases interrogatives et la présence des déictiques. (Chartrand, 2008, p.18) Dans le roman, le style d’écriture est hors du commun. L’histoire est racontée par Mona, le personnage principal, qui raconte son histoire. L’écriture, teintée du caractère enfantin de la narratrice, présente plusieurs formes d’oralité, telles que les répétitions, les reprises, la formulation de la pensée et l’absence de la négation. Voici un exemple où Mona, en parlant, reprend elle-même un terme qu’elle croit fautif : « L’ange noir part en bicycle, à bicyclette, je veux dire » (Hébert, 2003, p.76). La langue orale utilisée dans le roman permet également d’établir des liens entre les personnages et leur environnement social. De façon générale, « les enfants parlent un français qui correspond à certaines caractéristiques : il s’agit d’une langue strictement orale, apprise par imitation de celle des parents et des autres membres de l’entourage, imprégnée des caractéristiques linguistiques propres à la langue parlée de la famille et du milieu » (Sénéchal, 2012, p.22). En considérant la langue orale employée par Angélique et Mona, il est facile de supposer la situation problématique dans laquelle elles vivent. Dans cette activité, l’enseignant doit insister sur l’importance de considérer la langue orale dans le récit puisqu’elle permet de porter un regard nouveau et plus complexe sur l’histoire. Enfin, « en prenant conscience de l’existence d’une norme pour le français oral au Québec, les acteurs du milieu scolaire seraient plus aptes à intervenir adéquatement dans la façon de s’exprimer des élèves » (Sénéchal, 2012, p. 26) et dans leur construction du rapport à l’oral.
Cinquième activité – Interprétation d’un extrait
Cette activité a pour but de faire réagir les élèves sur un extrait choisi du roman. À voix haute, l’enseignant doit d’abord lire l’extrait aux élèves. La lecture à voix haute est privilégiée dans cette activité puisque « cette façon d’entrer dans un texte, par la voix de l’enseignant, alimente la relation que les élèves entretiennent avec le texte » (Falardeau et Simard, 2011, p.194). Le mode d’organisation du travail est donc très important au bon déroulement de cette activité. Voici l’extrait que l’enseignant doit lire aux élèves :
« Cri de mort. Oiseau et moi, on se ramène en vitesse à la maison. Maman est sur le point d’accoucher. “D’acheter”, mon père dit, comme dans l’ancien temps, il sait pas pourquoi. Acheter quoi? à qui? à quel prix? Mon idée est faite. “Tu vas pas te laisser avoir et sortir de là, bébé. Tu te rends pas compte. La vie, c’est un livre. Il y en a une qui te tombe dessus. N’importe quelle vie. Impossible de prévoir ce qu’il y a dedans. T’as pas le droit de la lire avant de l’acheter. Tu la payes cher, tu peux pas l’échanger après, elle est usagée, on remet pas l’argent. Il y a des taches dessus, les pages sont retroussées dans les coins. Qui en voudrait? Même pas toi-même”, je lui dis, au petit, dans ma tête. » (Hébert, 2003, p.93-94)
À la suite de la lecture de l’extrait, en plénière, l’enseignant amène les élèves à partager leurs interprétations du texte.
Voici des exemples de questions pouvant orienter la discussion :
- Comment interprétez-vous la comparaison entre la vie et le livre?;
- Quels sentiments ressentez-vous en analysant cet extrait?;
- Qu’est-ce que le personnage de Mona a voulu dire à travers cet extrait?
Il est important que l’enseignant favorise les discussions en plénière, car « les élèves bénéficient du regard de leur enseignant et de leurs pairs sur leur raisonnement pour apprendre à raffiner ce dernier, à intégrer de nouvelles connaissances qu’ils n’auraient pu apprendre à maitriser seuls » (Falardeau et Simard, 2011, p.196). Enfin, de manière individuelle, les élèves doivent rédiger leur propre interprétation de l’extrait. Pour ce faire, ils peuvent se référer aux connaissances préalablement acquises lors des activités précédentes, aux connaissances soulevées lors de la discussion en plénière et à leurs connaissances personnelles. Leur texte doit contenir environ 250 mots et doit être rédigé dans le journal de lecture des élèves.
Sixième activité – L’intertextualité à travers la poésie de Victor Hugo
Le but de cette activité est d’amener les élèves à mieux comprendre le roman en effectuant un travail en profondeur sur la langue utilisée à travers les extraits du poème présent dans le roman, tiré du recueil Les Contemplations de Victor Hugo. « Pour entamer tout travail sur un texte poétique, la première démarche consiste à mettre les élèves en condition de réception. » (Simard et coll., 2010, p.347) Pour ce faire, l’enseignant présente aux élèves une brève contextualisation biographique de Victor Hugo : sa vie, son œuvre et son époque. Par la suite, il effectue une première lecture orale de l’extrait et, à la fin de sa lecture, laisse le temps aux élèves d’effectuer une relecture silencieuse. L’enseignant invite les élèves à se concentrer sur leurs impressions quant aux sons, aux sens et aux valeurs dégagés par le texte. Le poème, écrit en 1847, évoque une certaine lueur d’espoir qui s’oppose à la noirceur présente dans le récit. L’enseignant doit amener les élèves à analyser les vers en s’interrogeant sur leur signification et à se forger un jugement à propos du texte proposé. L’enseignant doit favoriser « des questions complexes qui lancent la discussion, permettent les tentatives de réponses qui, ensemble, échafaudent des hypothèses. » (Falardeau et Simard, 2011, p.196)
Voici des exemples de questions pouvant orienter la discussion :
- Qu’avez-vous ressenti durant la lecture de l’extrait?;
- Quelles sont les valeurs qui se dégagent de cet extrait?;
- Quels liens pouvez-vous établir avec les mots à connotation religieuse (seigneur, cieux)?;
- Comment expliquez-vous les oppositions ennuis/peines/misères et joyeux/aimable/douche présentes dans l’extrait?
Au cours de cette discussion, les élèves doivent prendre des notes sur ce qu’ils considèrent comme pertinent dans leur journal de lecture. À la suite de la discussion en plénière, l’enseignant présente une brève synthèse de l’information qui a été présentée par les élèves.
APRÈS LA LECTURE
Septième activité – Réécriture d’un chapitre
Cette activité a pour objectif d’amener les élèves à interpréter davantage le texte. Le chapitre 11, qui porte le même titre que le roman, est central dans l’histoire. En plénière, l’enseignant effectue d’abord la lecture à voix haute du chapitre. Il est important d’intégrer la lecture à voix haute de l’enseignant dans la classe, car les élèves « apprécient le souffle et la vie qu’un bon lecteur donne à un texte, ce que la plupart d’entre eux sont incapables de faire dans leur tête » (Falardeau et Simard, 2011, p. 194). À la suite de la lecture, l’enseignant lance la discussion en demandant aux élèves en quoi ce chapitre est important dans l’histoire. Au cours de la discussion, les élèves doivent prendre en note les éléments importants présentés. Ensuite, de manière individuelle, les élèves doivent réécrire le chapitre 11 en y insérant leur propre jeu avec la langue, car « celui qui écrit mobilise sa pensée, son affectivité, son corps dans le geste graphique et ses représentations sur les contenus thématiques. » (Simard et coll., 2010, p.262) Les élèves doivent également ajouter des effets de style dans leur réécriture de chapitre en utilisant différentes figures de style[2].
Huitième activité – Évaluation sommative
Cette activité permet d’établir les liens entre la lecture de l’œuvre littéraire et les différentes activités réalisées précédemment. « L’évaluation de la lecture littéraire est une activité particulièrement complexe […] [mettant] en jeu une diversité d’opérations (il s’agit de comprendre, d’interpréter, d’apprécier le texte… et d’exprimer ces différentes opérations dans une forme écrite ou orale adéquate) » (Simard et coll., 2010, p. 147). Afin d’évaluer ces différents aspects, les élèves doivent écrire une note critique portant sur le roman à l’étude. « Pour l’enseignant, la note critique est aussi un moyen de vérification possible de l’activité métacognitive de l’élève » (Simard et coll., 2012, p.148). Dans leur note critique, les élèves doivent résumer brièvement l’histoire, établir un jugement personnel et justifier, à l’aide de deux ou trois arguments, pourquoi l’œuvre devrait ou non être travaillée en classe de français. Cette note critique, rédigée de manière individuelle, doit compter un minimum de 500 mots. Pour faciliter la réalisation de cette activité, les élèves peuvent se servir des dix-huit courts textes qu’ils ont rédigés sur chacun des chapitres lors de la troisième activité de cette séquence.
Conclusion
Cette séquence d’activités est pertinente dans la mesure où « il ne peut y avoir d’apprentissage que si l’apprenant sort de lui-même, que s’il est confronté à des objets sociaux […] construits par d’autres dans le temps et l’espace, que s’il accepte les significations de ces objets, que s’il se les approprie. » (Chartrand, 2008, p.5) À travers les différentes activités proposées dans cette séquence, les élèves ont pu construire des apprentissages significatifs en lien avec le roman à l’étude. Le travail effectué sur la langue, l’intertextualité présentée en lien avec le poème de Victor Hugo, la réécriture et l’analyse de chapitres ne sont que quelques exemples qui illustrent parfaitement le travail didactique proposé, à partir de l’œuvre intégrale Le ciel tombe à côté. Élaborée pour favoriser la lecture littéraire avec des élèves du deuxième cycle du secondaire, cette séquence didactique devrait permettre aux enseignants de développer davantage de stratégies et d’habiletés en lecture chez leurs élève
CHARTRAND, S-G. (2008) Progression dans l’enseignement du français langue première au secondaire québécois, Les publications Québec français, Hors série, Québec, 55 p.
DUFAYS J-L, GEMENNE, L. et LEDUR D. (2009) Pour une lecture littéraire – Histoire, théories, pistes pour la classe, 2e édition, Éditions De Boeck Université, Bruxelles, 370 p.
FALARDEAU, É. et D. SIMARD. (2011) La culture dans la classe de français - Témoignages d’enseignants, Presses de l’Université Laval, Québec, 224 p.
HÉBERT, M-F. (2003) Le ciel tombe à côté, Éditions Québec Amérique inc., Titan jeunesse, Québec, 146 p.
SÉNÉCHAL, K. (2012) L’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation de la communication orale dans la classe de français au secondaire québécois, mémoire de maitrise, Université Laval, Québec, 220 p.
SIMARD, C., DUFAYS, J-L., DOLZ, J. et GARCIA-DEBANC C. (2010) Didactique du français – langue première, 1re édition, Éditions De Boeck Université, Bruxelles, 459p.
[1] Ce texte adopte l’orthographe rénovée à la suite des Rectifications orthographiques approuvées par l’Académie française en janvier 1991.
[2] Selon la Progression des apprentissages, un travail sur les figures de style a été effectué préalablement.