« S’intéresser au sujet lecteur, c’est prendre en compte la façon originale selon laquelle un lecteur habite une œuvre et considérer les états singuliers de réalisation d’un texte par l’activité liseuse d’un sujet comme le matériau privilégié de l’analyse littéraire. » (Langlade et Foutanier, 2007, p. 102)
Fred Vargas et le roman policier au collégial
Le roman policier Pars vite et reviens tard, écrit par l’auteure française Fred Vargas, de son vrai nom Frédérique Audoin-Rouzeau, met en scène un Paris contemporain hanté par la peste, un fléau venu du Moyen Âge. Le commissaire Adamsberg et son acolyte Danglard entraînent avec eux les lecteurs dans une intrigue policière hors du commun. C’est avec un vif intérêt que chacun suit le dénouement des fils de l’intrigue, intérêt souvent perçu comme la marque d’une littérature de consommation « facile ». Depuis ses débuts, le roman policier a en effet été relégué à la littérature populaire, à la littérature de masse ou à la paralittérature, tous des qualificatifs qui sont associés au divertissement. Bien que le statut du roman policier soit moins connoté négativement que la science-fiction ou la fantasy, par exemple, il n’en demeure pas moins que la richesse de ce genre est parfois, voire souvent, sous-estimée par l’élite littéraire, et donc les apports pédagogiques des paralittératures sont souvent dévalorisés (Voir Reuter, 1986). Dans de telles conditions, on peut se demander quel intérêt il y aurait à étudier Pars vite et reviens tard dans le cadre d’un cours de français au collégial[1].
Le statut plutôt ambigu du genre est à lui seul une motivation suffisante pour faire l’objet d’une séquence didactique. De fait, la tension qui existe entre la littérature consacrée et la paralittérature est féconde de réflexions critiques. Toutefois, il ne s’agit pas là de sa seule valeur didactique, loin de là. La structure de ce type de romans et, surtout, la part extrêmement active que prend le lecteur dans l’évolution de la trame narrative sont des éléments qui font du roman à l’étude un objet d’analyse fort pertinent : « le mouvement de l’interprétation fait que le lecteur est aussi coproducteur du texte » (Chabanne, 1998, p. 30). Il ne faut évidemment pas nier l’intérêt que peut susciter le roman policier chez les étudiants. En effet, étant un genre plus populaire, il est raisonnable de penser que ce type de roman est, sinon plus apprécié, à tout le moins davantage lu par la masse étudiante qu’un genre plus « classique ». Comme « c’est par une intervention subjective de lecture que les choses commencent » (Chabanne, 1998, p.36), il est intéressant de prendre comme point de départ la réception subjective des étudiants pour construire une réflexion plus rigoureuse et distanciée du roman Pars vite et reviens tard.
Problématisation de l’œuvre
J’ai choisi de construire la présente séquence didactique autour du nœud principal de la réception de l’œuvre. Tout texte est conçu pour produire un certain nombre d’effets chez son récepteur. Dans le roman policier, l’auteur joue volontairement avec les tentatives interprétatives de son lecteur. Or, selon l’encyclopédie intertextuelle et culturelle du lecteur, la réception ne sera pas la même. Un habitué du roman policier aura ainsi plus de facilité à déceler les fausses pistes qu’un néophyte. De la même façon, il reconnaîtra les stéréotypes du genre et sera plus à même de concevoir des hypothèses quant au développement de l’action. La séquence didactique que j’ai conçue permet d’explorer cette réalité, mais elle offre également et surtout des outils d’analyses aux étudiants afin qu’ils puissent avoir un regard critique et distancié de leur réception, d’abord subjective, de l’œuvre et de son intrigue. Il s’agit en quelque sorte de forcer la métacognition chez les étudiants afin qu’ils se familiarisent avec les ressorts de la lecture – du roman policier, certes, mais par la même occasion de tous écrits. Ils seront également à même de comprendre et d’identifier les mécanismes mis en place dans la fiction afin de créer des effets précis chez le lecteur.
Les diverses activités qui seront développées dans les prochaines lignes contribuent ainsi toutes, dans une perspective de complémentarité, à enrichir l’interprétation des étudiants et à leur fournir des outils d’analyse qui permettent de mieux comprendre l’œuvre à l’étude. La séquence didactique a été prévue pour une plage horaire de cinq semaines, ce qui permet l’étude de trois romans dans le cadre d’une session de quinze semaines.
Avant la lecture
Activité préparatoire à la séquence : constitution d’une banque d’images et de mots
Avant de commencer la séquence didactique, les étudiants doivent effectuer un devoir préparatoire. Ils sont appelés à constituer une banque de mots (environ 15) et d’images (deux ou trois) qu’ils associent spontanément au roman policier. Il leur est « interdit » d’effectuer des recherches sur le roman policier pour trouver les termes et les images; le travail doit être basé sur leurs préconceptions en s’inspirant de leur expérience personnelle (importante ou non) du roman policier. C’est d’ailleurs pour cette raison que ce petit exercice doit être effectué avant la lecture, mais aussi avant que la théorie ne leur soit donnée. Ils devront remettre le tout au premier cours[2], mais ce ne sera utilisé que lors du troisième cours, lequel traite des stéréotypes du genre.
Cours 1 : Origines et évolution du roman policier
Activité 1 : Prezi sur l’origine et l’évolution du roman policier
Avant que les étudiants ne commencent leur lecture, il est pertinent de situer Pars vite et reviens tard dans le champ littéraire et culturel. La présentation, qui dresse un court panorama des origines et de l’évolution du roman policier, prend la forme d’un prezi. Il importe que les étudiants ne soient pas uniquement placés dans une situation d’écoute passive. Ils doivent être sollicités par de nombreuses questions sur leurs connaissances et sur leurs expériences de lecture.
Afin de stimuler leur participation, mais surtout afin de leur faire prendre conscience de la tension qui existe entre la « Grande Littérature » et la littérature de consommation, le prezi commence par une discussion sur la paralittérature qui se fait en petits groupes de quatre ou cinq personnes et qui est suivi d’un retour en plénière. Les étudiants ont à s’interroger sur le statut du roman policier ainsi que sur la valeur accordée aux divers écrits. L’objectif est de susciter un débat afin de conscientiser les étudiants sur le statut ambigu du roman policier[3].
L’enseignant explique ensuite la naissance du roman policier à la fin du xixe siècle. Il est primordial de noter le rôle fondateur d’Edgar Allan Poe : « Le coup de génie de Poe, qui fonde le genre, est d’avoir senti que le raisonnement en tant que tel, c’est-à-dire la succession des déductions et inductions, possédait à lui seul un intérêt dramatique, qu’il pouvait devenir à lui seul l’essentiel de l’histoire. » (Reuter, 2009, p. 12) Afin que les étudiants comprennent bien le changement de paradigme effectué dans la construction de l’histoire (de l’action à la réflexion), l’enseignant leur fait lire l’incipit (transcrit dans le prezi) de la nouvelle Double assassinat dans la rue Morgue, nouvelle qui est considérée avec La lettre volée et Le Mystère de Marie Roget comme la première trilogie policière. Ensuite, l’enseignant voit avec les étudiants les liens étroits qui unissent ce genre au roman-feuilleton, notamment en ce qui concerne l’utilisation des faits divers. Enfin, les principaux courants du roman policier sont présentés aux étudiants, c’est-à-dire la période entre les deux Guerres mondiales, celle de l’après-guerre et l’époque contemporaine.
Activité 2 : Les deux sous-genres principaux
La deuxième partie du cours est réservé à la différenciation des deux sous-genres principaux (roman à énigme et roman noir). L’enseignant remet aux étudiants un tableau comparatif des principales caractéristiques et en discute avec eux. L’objectif est de leur montrer qu’il n’y a pas une seule structure possible dans ce genre. La majorité des gens connaît la forme très typée et figée du roman à énigme (associé à Sherlock Holmes et à Hercule Poirot), mais ignore que, dans le roman noir, la structure peut prendre une forme plus libre, et l’histoire, mettre en scène des personnages avec une psychologie plus développée. C’est le cas de Pars vite et reviens tard. L’ensemble des informations qui leur seront fournies dans ce cours permettra ainsi aux étudiants de plonger dans la lecture avec un regard plus critique sur le texte.
Remise et explication du dossier d’enquête
À la fin du cours, l’enseignant remet et explique le dossier d’enquête aux étudiants, lequel sera ramassé et noté à la fin de la séquence. Le dossier d’enquête comprend, à des moments précis de l’histoire[4], des prises de notes succinctes sur leurs impressions de lecture, les questions suscitées par la fiction, les indices perçus, les pistes de résolution envisagées et les hypothèses formulées. Il s’agit en fait d’un guide qui sera la trace de leur réception. Durant la séquence, les étudiants seront également appelés à construire des fiches de personnages qu’ils incluront à leur dossier. Ce travail doit être sollicité dans les cours suivants, ce qui permettra aux étudiants de porter un regard distancié sur leur première impression de lecture. Ils seront ainsi amenés à comprendre ce qui, dans la fiction, a provoqué leur réaction.
Pendant la lecture
Cours 2 : Théories de la lecture
Activité 1 : L’horizon d’attente
Le cours commence par une activité sur l’horizon d’attente créé par le paratexte. L’enseignant projette par le biais d’un powerpoint les pages couvertures de différents romans[5] et demande aux étudiants de répondre à quelques questions : « À qui s’adresse le roman ? Quel type d’histoire sera raconté ? Peut-on faire des projections sur le contenu du texte ? Quels éléments permettent de supposer cela ? etc. » L’objectif est de faire prendre conscience aux étudiants que l’histoire commence à se raconter avant même que le lecteur n’ait ouvert le livre pour entamer la lecture. En effet, « [t]oute lecture commence par une phase de pré-réception où le lecteur se prépare à lire […] Côté valeurs, tout lecteur commence, consciemment ou non, par orienter le texte en fonction de ses attentes, des intérêts qui sont les siens. […] À [cela] se superpose la plupart du temps la projection préalable sur le texte des significations et des valeurs que l’on suppose lui appartenir. » (Dufays, Gemenne et Ledur, 2005, p. 110-111) L’image, le titre, l’auteur, la collection, le genre, le résumé en quatrième de couverture, les informations métalinguistiques, etc., sont autant d’éléments qui participent à la création d’un horizon d’attente qui peut parfois être déjoué (comme c’est le cas dans la Cantatrice chauve de Ionesco). Le powerpoint permet donc de donner la théorie sur le paratexte au fur et à mesure que les étudiants répondent aux questions. Par la suite, en équipe de deux ou trois, les étudiants discutent de leurs impressions du paratexte de Pars vite et reviens tard en se référant à leur dossier d’enquête. Il y a ensuite un retour en plénière. L’enseignant attire l’attention des étudiants sur l’image de couverture (édition J’ai lu), qui annonce l’importance que prendront les symboles des quatre à l’envers. La projection de couvertures de différentes éditions sur lesquelles le symbole n’apparaît pas permet ensuite de montrer l’impact que peut avoir l’illustration liminaire (surtout dans les romans de paralittérature).
Activité 2 : La tension narrative
La deuxième partie du cours porte sur la tension narrative, plus particulièrement sur les notions de curiosité et de suspense telles que les définit Raphaël Baroni :
Il y a création d'un effet de curiosité quand on constate que la représentation de l'action est incomplète. Quand l'incomplétude du texte s'accompagne de l'attente que le texte fournira une réponse après un certain délai, la curiosité produit l'une des modalités de la tension narrative. Dans ce cas, il y a également une forme quelconque de retardement stratégique de la réponse qui oriente l'interprétation vers un dénouement à venir. » (Baroni, 2007, p. 99-100)
Le suspense, quant à lui, est déclenché lorsqu’il y a une « disjonction de probabilité » dans le « développement chronologique de l’action » (Baroni, 2006, p. 170), bref, lorsque le futur de l’action est incertain. La fiction suscite ainsi des interrogations différentes selon le type de tension mis en place. Une question telle que « Qui est le meurtrier ? » relève de la curiosité, alors qu’une question telle que « L’enquêteur parviendra-t-il à attraper le coupable à temps ? » relève du suspense. Dans un cas on cherche à comprendre le présent ou le passé de l’action, dans l’autre on anticipe le futur de l’action.
Avant d’expliquer ces notions littéraires, l’enseignant demande aux étudiants de se réunir en équipes de cinq ou six afin de discuter des questions qui ont été suscitées chez eux lors de la lecture en se référant à leur dossier d’enquête[6]. Le retour en plénière porte sur les questions qui semblent rejoindre la majorité des membres de chacune des équipes. L’enseignant pourra ainsi appuyer ses explications sur ces questions afin d’illustrer la différence entre le suspense et la curiosité. Ensuite, il propose l’analyse d’extraits[7] tirés de différents écrits mettant en place les deux types de tension narrative afin que les étudiants s’approprient la matière. Ils doivent relever les moyens narratifs mis en place dans le texte pour provoquer une réaction de suspense ou de curiosité.
Explication de la criée
Au début de chacun des prochains cours, l’enseignant procédera à une criée à la manière du personnage de Joss le Guern. À la fin du cours, les étudiants pourront déposer dans une boîte prévue à cet effet les nouvelles qu’ils souhaitent entendre au cours suivant. Évidemment, le professeur effectuera un tri afin de choisir les nouvelles intéressantes ou amusantes. Il pourra également lire des extraits de romans policiers ou de faits divers au travers des nouvelles des étudiants. Cela ne durera pas plus de cinq minutes au début des cours 3, 4, 5 et 6. Le but de cette criée est surtout ludique, mais permettra aussi, par la lecture d’extraits, de susciter l’intérêt des étudiants.
Cours 3 : Les stéréotypes
Activité 1 : Préconceptions des étudiants sur le genre et sur la figure d’enquêteur
Cette activité commence par un retour sur la banque d’images et de mots constituée par les étudiants au début de la séquence. S’ensuit une discussion sur la conception que les étudiants avaient du genre avant de commencer la lecture et ce qu’ils perçoivent une fois qu’elle est débutée. Est-ce que leurs préjugés rejoignent la fiction qu’ils sont en train de lire ? Comme le dit Baroni, « […] il est impossible d'aborder un texte sans préjugés et, loin de constituer une entrave au processus interprétatif, ces derniers sont au contraire absolument nécessaires pour rendre le texte intelligible […]. La compréhension du texte devient alors un phénomène résultant de la fusion entre deux horizons, celui du texte et celui des préjugés de l'interprète. » (Baroni, 2007, p. 161) Les étudiants seront ainsi amenés à comprendre le rôle des stéréotypes dans la lecture de texte de fiction. Les auteurs peuvent les solliciter pour ensuite les déjouer, ou au contraire les respecter. À ce moment, il peut être intéressant de faire lire aux étudiants les vingt règles édictées par S.S. Van Dine (Van Dine, 2006, p. 60) et d’en discuter avec eux. Comme ils seront à même de le constater, il s’agit de règles qui sont la plupart du temps respectées dans le roman à énigme, mais qui n’ont plus nécessairement cours à mesure que le roman policier évolue vers le roman noir. Des auteurs peuvent également volontairement décider de s’en distancier.
Activité 2 : La figure d’enquêteur en divers extraits
La deuxième partie du cours est réservée à l’analyse d’extraits décrivant différents personnages d’enquêteur : Sherlock Holmes et son acolyte le Dr. Watson (Arthur Conan Doyle), Hercule Poirot et son assistant Arthur Hastings (Agatha Christie), Maud Graham (Chrystine Brouillet) et Adamsberg et Danglard (extrait tiré du chap. 4). Les étudiants devront induire de ces différents extraits une figure typique – le stéréotype, donc – des personnages d’enquêteur. Ils devront voir également dans quelle mesure certains personnages peuvent se distancier de ce stéréotype. Cette activité est effectuée en équipes de deux ou trois et est suivie d’un retour en grand groupe.
Cours 4 : Le fléau du Moyen Âge à l’époque contemporaine
Activité 1 : Retour sur le dossier de presse
Les étudiants devront avoir lu pour ce cours un dossier de presse sur la peste au Moyen Âge dans lequel on retrouve à la fois des articles ou des extraits de monographie qui traitent de cette maladie, mais aussi des peintures qui ont été inspirée de ce fléau destructeur. Au début du cours, les étudiants devront se mettre en équipe pour discuter de leur lecture. Comment se sentent-ils par rapport à la peste ? Ont-ils l’impression qu’il s’agit d’une maladie venue du fond des âges et qui ne les menacera jamais ? Comment ont-ils réagi lorsqu’ils ont lu le roman et constaté que la peste en était l’élément central ? Ont-ils été déstabilisés ? Cela a-t-il rendu la lecture plus intéressante, plus stimulante ? Bref, quel effet a eu l’emploi de la peste chez eux ? Comment ont-ils réagi lorsqu’ils se sont rendu compte que les puces n’étaient pas réellement infectées ? Comment se sont-ils sentis par rapport aux personnages d’Arnaud et de Mané, qui croyaient réellement à la peste, alors qu’eux connaissaient la vérité ? Ce sont autant de questions qui devront faire l’objet de leur discussion. Les réponses seront partagées en grand groupe par la suite.
Il importe que les étudiants réalisent que Fred Vargas sort en quelque sorte du commun en intégrant la peste à sa diégèse. Il s’agit d’une maladie qui a considérablement marqué l’imaginaire collectif par l’ampleur de la dévastation et de la peur qu’elle a causées à travers les siècles. Son utilisation dans un contexte contemporain ne peut que déstabiliser le lecteur, mais aussi les personnages. Il s’agit en effet de l’intégration d’un élément étranger au lecteur, qui n’a connu cette réalité que par les livres d’histoire, et le place donc dans un état d’incertitude, de déséquilibre.
Activité 3 : Analyse d’extraits
Les étudiants pourront voir de quelle façon cela se traduit dans le roman en analysant deux extraits : le moment où Danglard annonce qu’il a été piqué par des puces chez la première victime, le lecteur ignorant encore, tout comme les personnages, qu’il n’est pas mort de peste (p. 147-150), et la conversation entendue par Adamsberg dans un café entre une personne qui croit à la peste et une autre qui n’y croit pas, le lecteur sachant alors que la peste est une mise en scène (p. 225-226). Par ces deux extraits, l’enseignant peut faire comprendre aux étudiants de quelle façon la peste est utilisée pour créer de la tension narrative, mais aussi comment le lecteur peut se retrouver dans des postures différentes par rapport aux indices et à l’avancement de l’enquête. En effet, dans un cas il est ignorant, comme les personnages, et vit donc avec eux l’angoisse; dans l’autre, il sait non seulement, tout comme Andamsberg, que la peste est un leurre, mais il sait également, ce que l’enquêteur ignore, que le personnage d’Arnaud croit en son pouvoir. Il a donc un avantage considérable sur le personnage du roman et peut dès lors formuler des hypothèses auxquelles Adamsberg ne peut encore penser : il y a probablement une autre personne qui passe après le semeur pour tuer les victimes.
Cours 5 : Les figures des enquêteurs « amateurs » et du semeur dans le roman
Comme le souligne Reuter, « le personnage est le pivot du récit envisagé comme un ensemble organisé produisant des effets et émotions » (Reuter, 1988, p. 19). Il est dès lors primordial de travailler les personnages du roman à l’étude, c’est-à-dire de « mieux [les] définir, mieux [les] analyser dans les textes (et rompre ainsi avec le flou et les implicites qui [leur] sont liés), mieux [les] lire tout au long du récit dans [leur] stabilité et [leur] transformation » (Reuter, 1988, p. 20). Analyser les personnages est d’ailleurs, selon Reuter, un tremplin pour la compréhension de problème plus large comme le fonctionnement de la lecture. C’est donc à cela que s’appliquent les prochains cours de la séquence didactique.
Activité 1 : Analyses des personnages dans le roman
Les étudiants ont à dresser le portrait des personnages de Joss le Guern, de Decambrais et de Damas. L’enseignant leur remet des fiches de personnage qui devront être remplies à la manière d’un rapport de police et qui seront intégrées à leur dossier d’enquête. Ils devront ainsi noter leur nom, leur nom d’emprunt, leur âge, leur profession, leur description physique, leur description psychologique, l’histoire de leur passé et leur lien dans l’affaire. L’enseignant ne leur fournit pas d’extraits précis, mais leur propose des chapitres de références[8]. Les étudiants devront par la suite faire des affiches qui résument ce qu’ils ont trouvé. Ils devront également intégrer à leur affiche la manière dont sont perçus ces personnages par les lecteurs et en expliquer la raison. À la fin du cours, il y a un retour en grand groupe durant lequel les affiches sont présentées. Les étudiants pourront alors compléter les fiches sur lesquels ils n’auront pas travaillé. L’enseignant attire leur attention sur l’évolution de la description du meurtrier à mesure que l’histoire progresse. En effet, les enquêteurs construisent un profil du meurtrier qui ne correspond pas du tout à l’image projetée par Damas dans la fiction. Il leur fait comprendre l’importance de l’utilisation du stéréotype (l’homme un peu niais qui se soucie uniquement de son apparence) pour induire le lecteur en erreur. L’enseignant s’assure que les étudiants ont bien compris le rôle de Le Guern et de Decambrais dans l’évolution de l’enquête. Enfin, il explique l’importance du développement de la psychologie des personnages dans le roman en insistant sur le personnage de Damas (sa psychologie est très complexe et nuancée).
Après la lecture
Cours 6 : La surprise du dénouement final
Activité 1 : Réaction des étudiants
Le dernier cours porte sur la surprise générée par le dénouement final. Il convient donc de recueillir les impressions des étudiants. L’enseignant peut enrichir la discussion en proposant des questions telles que « Ont-ils été effectivement surpris ? », « Ont-ils apprécié cette fin inattendue ? », « Ont-ils été au contraire déçus que la coupable ne soit pas arrêtée? », « Cette fin est-elle conforme au stéréotype du roman policier ? », etc. L’enseignant tente également de leur faire verbaliser ce qui, dans la fiction, a provoqué leur réaction.
Activité 2 : Analyse d’extraits
En équipes, les étudiants devront par la suite analyser des extraits qui permettent d’avoir un deuxième regard sur les passages qui servaient à détourner l’attention du lecteur afin qu’il ne soupçonne pas les véritables coupables. Les étudiants auront par la même occasion à constituer une fiche du personnage de Marie-Belle (la même forme que lors du cours précédent). Les étudiants devront porter une attention particulière à la rencontre entre Marie-Belle et Adamsberg (chap. 24) et à la lettre d’aveux (chap. 37). Comme avec Damas, les stéréotypes ont joué un grand rôle dans la surprise ressentie par le lecteur à la découverte de la culpabilité de Marie-Belle et de son frère Antoine, mais aussi dans la surprise créée par le fait que la coupable n’est pas arrêtée, comme on s’y attend généralement dans un roman policier.
Remise des sujets de l’examen explicatif
Les étudiants doivent comparer, dans le roman et le film,
- le dénouement final (avec Marie-Belle);
- le personnage de Damas;
- la peste et la criée.
Les explications doivent être développées sous l’angle de la réception en utilisant les théories vues en classe (horizon d’attente, tension narrative et stéréotypes). Sur les trois sujets proposés par l’enseignant, l’étudiant doit en sélectionner deux qu’il développera en 300 à 350 mots chacun (citations exclues). Il importe que les étudiants puissent choisir leurs sujets, car il est possible qu’ils ne soient pas tout à fait à l’aise avec chacune des questions proposées. Il est également à noter que les extraits ciblés dans la séquence didactique font échos aux sujets de cet examen explicatif. Les étudiants ont donc une très bonne base pour construire leur comparaison.
Cours 7 : L’adaptation cinématographique
Ce cours est réservé au visionnement du film en classe.
Cours 8 : On se prépare pour la rédaction finale
Activité 1 : Retour sur les différences entre le roman et le film
Le retour sur le film est effectué en grand groupe. L’enseignant demande aux étudiants leur appréciation du film en leur posant des questions (Est-ce que certains éléments du film les ont agacés ? Qu’est-ce qu’ils ont aimé ? Ont-ils senti que les changements effectués dans l’adaptation changeaient la réception de l’histoire ? Quel état le film cherche-t-il à provoquer chez le spectateur ? etc.) Les étudiants seront appelés à compléter, nuancer ou réfuter les propos de leurs pairs. Comme l’examen explicatif est assez complexe, l’enseignant analyse avec eux les trois questions. Cela lui permettra de proposer des pistes de réflexion sur lesquelles les étudiants pourront construire leurs explications.
Activité 2 : Constitution du plan de rédaction
Le reste de la période est réservé à la rédaction du plan. Les étudiants auront ainsi la possibilité de poser des questions à leurs pairs et au professeur. Il est également possible de proposer aux étudiants des rencontres individuelles au bureau de l’enseignant.
Cours 9 et 10 : Rédaction en classe
Ces deux derniers cours sont réservés à la rédaction en classe.
Bibliographie
Œuvre sur laquelle porte la séquence
Fred Vargas (2010). Pars vite et reviens tard. J’ai lu, 346 p.
Articles ou ouvrages cités
Baroni, Raphaël (automne-hiver 2006). « Passion et narration ». Protée, vol. xxxiv, n° 2-3, p. 163-175.
¾¾ (2007). La tension narrative : suspense, curiosité et surprise. Seuil (Poétique), 437 p.
Chabanne, Jean-Charles (1998). « La lecture avant la lecture ». Le français aujourd’hui, n ° 121, p. 28-36.
Dufays, Jean-Louis, Louis Gemenne et Dominique Ledur (2005). « Le processus de lecture ». Pour une lecture littéraire : histoire, théories, pistes pour la classe. De Boeck, p. 109-123).
Langlade, Gérard et Marie-Josée Foutanier (2007). É. Falardeau, C. Fisher, C. Simard et N. Sorin [dir.]. La didactique du français : les voies actuelles de la recherche. Presses de l’Université Laval, p. 101-123.
Reuter, Yves (1986). « Les paralittératures: problèmes théoriques et pédagogiques ». Pratiques, n° 50, p. 3-21.
¾¾ (1988). « L’importance du personnage ». Pratiques, n° 60, p. 3-22.
¾¾ (2009). Roman policier (2e édition). Armand Colin, 127 p.
Van Dine, S. S. (2006). « Les 20 règles du roman policier ». Québec français, n° 141, p. 60. Repéré à http://www.erudit.org/culture/qf1076656/qf1180056/50235ac.pdf
Articles ou ouvrages consultés pour la préparation de la séquence
Eco, Umberto (2004). Lector in fabula. Livre de Poche (essais), 314 p.
St-Gelais, Richard (automne-hiver 2006). « Récits par la bande ». Protée, vol. xxxiv, n° 2-3, p. 77-90.
Vanoncini, André (1993). Le roman policier. Que sais-je?, 127 p.
[1] L’étude de ce roman peut très bien s’inscrire dans le cadre du cours Littérature et imaginaire (601-102-MQ). En effet, en analysant Pars vite et reviens tard, l’étudiant est appelé à expliquer les représentations du monde contenues dans le roman. Plus particulièrement, dans cette séquence didactique, il sera appelé à expliquer comment cette représentation du monde est reçue par le lecteur. Le roman peut également faire l’objet d’un cours du programme d’arts et lettres. Dans ce cas, l’enseignant a la liberté de proposer des réflexions plus approfondies sur le texte.
[2] Le devoir devrait être remis de façon électronique. Ainsi, le professeur peut en faire une synthèse qu’il présentera lors du cours sur les stéréotypes.
[3] En effet, quelques « Grands » auteurs ont écrit du roman policier. Toutefois, plusieurs d’entre eux l’ont fait sous la couverture d’un pseudonyme, ce qui prouve que l’écriture de ce type de roman n’était pas bien perçue.
[4] Ils devront d’abord noter leur attente en ne considérant que la page couverture et la quatrième de couverture. Ils devront par la suite s’arrêter en cours de lecture après les chapitres 4, 8, 12, 16, 19, 23, 26, 31 et 33. Ces arrêts ont été choisis à des moments clés de l’évolution de l’enquête.
[5] Les chaussettes de Miss Abeille de Nicole Snitselaar et Benedicte Boullet, Appelle-moi Zaza de Louise Champagne, Des baisers au pluriel d’Essie Summers, Une oasis de nacre et de corail de Roumelia Lane, La voie martienne d’Isaac Asimov, La route obscure de Guy Gavriel Kay, La chute d’Albert Camus et La cantatrice chauve de Ionesco.
[6] À ce moment de la séquence, les étudiants devraient avoir lu jusqu’au chapitre 8 inclusivement.
[7] Les extraits ne seront pas tirés uniquement de roman policier, mais aussi d’autres genres afin de montrer aux étudiants que ces procédés peuvent être employés dans tous les types d’écrits, et ce, autant dans la paralittérature que dans la Grande Littérature. Je propose des extraits tiré du Comte de Monte Cristo d’Alexandre Dumas, de La Tapisserie de Fionavar de Guy Gavriel Kay, de Huis clos de Jean-Paul Sartre et du roman à l’étude, Pars vite et reviens tard.
[8] Le Guern : 2, 5, 7 et 11. Decambrais : 3, 5, 11, 20 et 36. Damas : 3, 14, 23, 33 et 35.