Comment traiter tout à la fois de culture, de morale et de faits de langue avec les élèves? En les faisant lire! Cette séquence didactique d’enseignement et d’apprentissage, spécialement conçue pour des élèves du premier cycle du secondaire, porte sur une œuvre intégrale, Oscar et la dame rose d’Éric-Émmanuel Schmitt. La nature brève de ce récit extrêmement bien ficelé suscite chez les lecteurs de tous âges de vives émotions, car le texte aborde des thématiques sociales complexes et souvent polémiques. La pertinence pédagogique de cette œuvre réside, entre autres, dans le fait que ces thématiques délicates sont traitées de manière sensible avec une touche humoristique, sans pourtant perdre en profondeur. De plus, la forme que prend le récit comporte un intérêt didactique, car l’écriture d’un roman épistolaire représente un choix singulier, mais porteur de sens. Le style épistolaire appelle à une certaine introspection et nous invite dans ce cas à introduire l’univers coloré d’un jeune garçon de dix ans.

La problématique retenue pour l’étude de cette œuvre en est une de transposition que l’on abordera selon trois perspectives. D’abord, Schmitt se glisse dans la peau d’un jeune garçon leucémique de dix ans qui, par le biais de lettres à Dieu, partage son vécu et ses interrogations. On observe donc, dans un premier lieu, un travail de transposition en abordant l’œuvre selon la perspective de l’auteur. Puis, selon celle d’un lecteur adolescent québécois, une transposition d’ordre linguistique s’impose, puisque l’élève se heurtera à un lexique familier inusité et des références culturelles légèrement différentes des siennes. Cette perspective fournira un prétexte permettant le développement d’une nouvelle conscience lexicale et linguistique facilitant la lecture. La dernière perspective abordée tient de l’éthique et s’inscrit dans le contexte plus vaste des thèmes de l’œuvre. L’objet culturel étudié constitue en soi une transposition de ces thèmes qu’il sert dans un contexte alimentant la réflexion.

Activité 1

En amont de la lecture, nous proposons une activité exécutée en petits groupes, afin de susciter la discussion, dont l’objectif est de vérifier les connaissances antérieures des élèves, en particulier leurs perceptions et préconceptions de Dieu et de la religion. Pour ce faire, l’enseignant propose quelques pistes de réflexion, somme toute assez simples (As-tu déjà entendu parler de Dieu? Es-tu déjà allé à l’église? Si tu avais à décrire Dieu en 2 mots, quels seraient-ils? Etc.), dans le but d’amener progressivement le sujet. L’enseignant propose ensuite une activité d’écriture aux élèves : « Si vous aviez la possibilité d’écrire une lettre à Dieu, en sachant qu’elle sera lue, que lui diriez-vous? » Il s’agit de jouer le jeu du personnage principal avant même de l’avoir présenté afin de ménager un horizon d’attente pour la lecture. L’enseignant invite les élèves, au cours suivant, à comparer leur lettre à celles d’Oscar.

Activité 2

Pour amorcer la lecture de l’œuvre, l’enseignant peut lire à haute voix la première lettre d’Oscar en expliquant simultanément le lexique et le contexte. La seconde lettre ne doit pas être lue tout de suite. L’objectif de cette activité est de dévoiler progressivement l’œuvre, de ménager le suspense, de permettre des activités d’anticipation et de rétroaction ainsi que de bien ancrer la compréhension du livre. Les élèves sont ensuite invités à se mettre en équipe pour relever, à l’aide de la comparaison de leur lettre à celle d’Oscar, diverses caractéristiques du style épistolaire. (Cf. CALLAS, Frédéric, Le roman épistolaire, Nathan université, 1996, 128 pages.) Ensuite, l’enseignant propose aux élèves de se mettre dans la peau de Dieu et de rédiger une réponse à la première lettre du roman. Cette activité d’anticipation lance les élèves sur une fausse piste, préparant ainsi un effet de surprise. La problématique de départ prend ici toute son ampleur, puisque les élèves travaillent selon une perspective d’auteur (se mettre dans la peau de) et abordent des thématiques difficiles (soit la mort, la maladie et la religion), tout en étant attentifs à des faits de langues précis (style épistolaire).

Activité 3

Nous proposons à ce moment d’aborder plus spécifiquement la perspective de transposition linguistique. Pour ce faire, l’enseignant demande aux élèves d’effectuer une lecture individuelle de la deuxième lettre d’Oscar et d’y relever une dizaine de mots qu’ils ne comprennent pas. Par la suite, les élèves se réunissent en équipe pour essayer, dans un premier temps, de les définir selon le sens des phrases desquelles ils sont tirés. Cet exercice préliminaire favorise un questionnement sur le sens du texte et le développement d’une curiosité lexicale. Les équipes procèdent ensuite à une recherche des mêmes mots dans plusieurs dictionnaires afin de comparer ce qu’on en dit quant au niveau de langue plus particulièrement. Ainsi, ils appréhenderont progressivement le phénomène de la variation linguistique. (Cf. MERCIER, L., VERREAULT, C., et al. Le français une langue à apprivoiser. Textes et conférences prononcées au Musée de la civilisation, Québec, Presses de l’université Laval, 2002, 110 pages.) L’enseignant profite de cet exercice de compréhension du lexique pour expliquer la notion de registre et offrir un aperçu de la variation linguistique en français. Pour ce faire, l’enseignant propose aux élèves de compléter un tableau qui pourrait se présenter ainsi :

Registre familier ou populaire   /   Registre neutre       /     Registre soutenu 
     France   /   Québec                  France    /   Québec            France     /   Québec 
     Furax    /   Fru                           Vexé     /     Fâché             Courroucé    /    Vexé

Activité 4

Partant de cet exercice sur le lexique, les élèves pourront poursuivre leur réflexion sur la langue en reprenant la perspective de l’auteur. L’enseignant demande d’abord aux élèves de faire la lecture de la troisième lettre d’Oscar. Il leur demande ensuite de former des équipes et de relever, dans cette lettre, tous les noms propres porteurs de sens (Crâne d’œuf, Sarah Youp-la-boum, etc.) afin de trouver un autre nom qui aurait pu convenir au personnage. L’enseignant doit encadrer l’activité et questionner les élèves sur la signification des noms qui ne sont pas explicités dans l’œuvre. Ce travail de lecture se complète bien par une activité de création littéraire : les élèves peuvent créer leur propre réseau de personnages, qu’ils devront décrire en quelques lignes pour ensuite leur donner un nom qui éclaire l’un de leurs traits physiques ou psychologiques. Cet exercice original, à caractère ludique, est de nature à susciter la motivation des élèves tout en demandant une compréhension fine des personnages, ceux de Schmitt autant que les leurs.

Activité 5

Plusieurs textes peuvent être exploités pour alimenter la réflexion sur Oscar et la dame rose (pensons à l’engouement actuel des médias pour le christianisme). Nous proposons « Le monde où l’on catche » tiré des Mythologies de Roland Barthes. (BARTHES, Roland, Mythologies, Éditions du Seuil, 1957, chapitre premier.) Nous convenons que ce texte a été écrit il y a un demi-siècle dans une langue tout à fait inaccessible pour des élèves de premier cycle. Cependant, il a le mérite de démystifier le symbolisme de la lutte et de le lier à celui du christianisme, ce qui cadre tout à fait avec le texte à l’étude et permet de répondre à la question suivante : Pourquoi Mamie-Rose est-elle une ancienne catcheuse? Pourquoi pas une ancienne secrétaire, infirmière, femme d’affaires ou actrice? Nous avons synthétisé et vulgarisé cette interprétation dans un texte de deux pages que l’enseignant peut lire avec ses élèves afin d’alimenter une discussion en plénière ou, éventuellement, un débat éthique sur la lutte et/ou la religion. L’objectif de cette activité est d’amener à un second degré la compréhension qu’ont les élèves du texte de Schmitt par le biais de l’intertextualité, tout en enrichissant leur culture générale pour leur permettre de développer un regard critique sur un objet de culture première (la lutte).

Activité 6

Après cette dernière activité d’interprétation plus exigeante sur le plan cognitif, nous proposons le retour à une activité plus ludique pour le prolongement de cette séquence didactique. Il s’agit d’un jeu de rôles inspiré du roman qui pourra s’étirer plus ou moins longuement, selon le bon vouloir de l’enseignant ou la participation des élèves, sans empêcher de travailler autre chose que le roman de Schmitt. Le jeu consiste à récupérer l’idée de Mamie-Rose qui propose à Oscar de vivre dix ans par jour. Ainsi, les élèves passeront le premier cours de l’activité en feignant d’avoir de zéro à dix ans, le deuxième de dix à vingt, etc. Pour ce faire, ils devront s’inventer chacun un personnage (ils pourront récupérer à cet effet les personnages créés lors de la quatrième activité) et le jouer en s’imaginant de façon diachronique sa psychologie, ses attitudes et comportements, ses goûts, etc. L’enseignant réserve quinze minutes à la fin de chaque cours pour que les élèves rédigent une sorte de journal intime qui sera, à la fin de l’activité, ni plus ni moins que les mémoires d’un personnage. L’enseignant peut aussi prendre part à ce jeu en adaptant sa matière ou sa façon d’enseigner à ses destinataires fictifs : lorsqu’ils seront octogénaires, par exemple, il pourra parler d’archaïsmes en parlant très fort (surdité oblige) et en écrivant très gros au tableau (presbytie…), etc.