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Le Horla

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
Le Horla
MAUPASSANT, Guy de
Par Kevin Dionne et Jonathan Pagé


Nationalité de l'auteur : Française
Genre : Nouvelles
Courant : Fantastique
Siècle : 19e siècle
Groupe d'âge visé : Deuxième cycle secondaire
Auteur de la séquence : Kevin Dionne et Jonathan Pagé
Date du dépôt : Automne 2020


Dossier littéraire et didactique


Introduction  


Le Horla de Maupassant est une nouvelle fantastique dont la version finale fut publiée en 1887. Cette version sera l’objet de notre travail. La nouvelle est sous la forme d’un journal intime dont les entrées s’étalent du 8 mai au 10 septembre. Le narrateur commence son récit alors qu’il est dans sa maison et qu’il observe la Seine. Ce jour-là, il y voit un trois-mâts brésilien. Le jour suivant, il commence à se sentir légèrement fiévreux puis, plus les jours passent, plus il se sent malade. La nuit, l’insomnie et les cauchemars s’enchainent, alors que le jour, il se sent épié, voire oppressé, par une présence. Lors d’un voyage au mont Saint-Michel, son état s’améliore; il en va de même lors de son voyage à Paris. Toutefois, cela ne dure guère puisqu’à son retour dans sa maison, ses cauchemars reprennent et la folie, croit-il, l’étreint de plus belle. Des carafes d’eau et des verres de lait, pourtant pleins à son coucher, sont vides à son réveil. Serait-ce du somnambulisme? se questionne-t-il. Puis s’ensuivent des hallucinations qu’il peine à distinguer de la réalité. Peu à peu, le narrateur commence à ressentir une étrange volonté qui n’est pas la sienne, comme s’il était possédé par cette présence, par le Horla, venu probablement d’Amérique du Sud, là où plusieurs cas semblables ont été rapportés. Dans le but de se débarrasser de cet être, il l’enferme à clé dans sa chambre, puis incendie la demeure. Or, persuadé que sa tentative a échoué et qu’il n’y a aucun moyen de tuer le Horla, il se tourne vers le suicide.

 

Au cours du texte qui suit, nous justifierons notre choix de la nouvelle Le Horla de Maupassant; analyserons celle-ci selon l’approche subjective en didactique; exposerons certains problèmes de lecture retenus; ferons la synthèse des savoirs nécessaires à l’enseignement de cette œuvre et conclurons avec l’énonciation de nos objectifs de formation. 

 

Justification du choix de l’œuvre 

 

L’idée de sélectionner cette œuvre pour notre travail nous est venue spontanément, alors que nous échangions sur les œuvres littéraires qui nous ont marqués lors de notre parcours scolaire et académique. En effet, comme Simard le soutient, il est judicieux de la part de l’enseignant de présenter des œuvres qu’il aime lui-même (Simard, 1996, p. 47). Nous avons d’ailleurs pris la décision de sélectionner Le Horla puisqu’il s’agit d’une nouvelle fantastique qui aborde des thèmes intéressants aux yeux des jeunes. La peur, la folie, le suspense, la solitude et le surnaturel sont des sujets qui s’inscrivent dans leurs champs d’intérêt, et qui sont susceptibles de développer, voire de stimuler, leur gout et leur habitude de lire des textes littéraires (Simard, 1996, p. 47). De plus, nous considérons que la présentation d’une œuvre appartenant à la littérature classique et française pourrait susciter l’intérêt de plusieurs jeunes, tout en contribuant à l’élargissement de leur savoir culturel (Simard, 1996, p. 46). En ce qui a trait aux apprentissages visés, Le Horla est une œuvre idéale afin de mettre en lumière les caractéristiques du genre textuel de la nouvelle (Simard, 1996, p. 46) à des élèves de quatrième secondaire (Chartrand, 2015, p. 45), conformément à la Progression des apprentissages. D’ailleurs, la « représentativité » de Maupassant en ce qui a trait au genre textuel de la nouvelle et du courant fantastique nous apparait comme un choix « incontournable » quant à l’enseignement des savoirs formels et historiques liés à ce texte. Finalement, la présentation d’une œuvre plus « classique », mais adaptée à leur niveau, sera une belle façon de les initier à des œuvres littéraires plus complexes et de les exposer à un héritage culturel de la littérature. 


Analyse de l’œuvre selon une approche subjective

 

Le Horla de Maupassant est une nouvelle littéraire de genre fantastique. Il va de soi que les caractéristiques de l’œuvre sont à la fois celles prêtées au genre de la nouvelle et au genre fantastique. Cela dit, le Horla est une œuvre brève, possédant une séquence narrative dominante enchâssante, dans laquelle on retrouve une quantité restreinte de personnages et de lieux. Par l’aspect fantastique de l’histoire, le lecteur se retrouve exposé à un univers réaliste dans lequel se produisent des évènements irrationnels. Le narrateur exprime, sous une forme rappelant le genre épistolaire, ses questionnements face aux expériences inexplicables qui le font douter de sa santé mentale. D’ailleurs, la narration est autodiégétique, ce qui signifie que le personnage narrant l’histoire est le héros de l’histoire dans laquelle il se trouve. En ce qui concerne le contenu, la peur et la folie sont les principaux thèmes que l’on retrouve dans cette nouvelle. Il s’agit donc d’une œuvre qui plonge dans la psyché du narrateur, à l’aide du fantastique, et qui invite le lecteur à y participer afin d’en construire du sens. Le sujet-lecteur, à la manière du narrateur qui se croit tantôt fou, tantôt lucide, tente de comprendre ce qu’il en est. Cela dit, l’approche subjective sera retenue pour cette séquence, puisque la subjectivité de chaque lecteur permet la formation de plusieurs interprétations quant aux problèmes de lecture posés par cette œuvre. En effet, le simple fait que l’œuvre soit du genre textuel de la nouvelle indique que le texte nécessite un acte de lecture littéraire dans lequel le lecteur, par sa subjectivité, tente d’interpréter la caractéristique principale d’une nouvelle : la chute. Il s’agit alors d’une œuvre « diversement interprétable » (Tauveron, 1999, p. 20), et donc d’un texte résistant de type proliférant, puisque les éléments du texte entrainent des problèmes de lecture qui nécessitent l’investissement du lecteur afin d’y construire du sens à l’aide de ses interprétations personnelles.

 

Le Programme de formation de l’école québécoise au secondaire présente la compétence Lire et apprécier des textes variés à l’aide de quatre composantes, la première étant Construire du sens. Afin de développer cette composante, le programme soutient que l’élève doit mobiliser des processus : Planifier sa lecture, Comprendre et interpréter un texte, Réagir au texte et Évaluer l’efficacité de sa démarche. (MEES, 2009, p. 43-52) En revanche, cette division pose un problème important en ce qui a trait à l’approche subjective. En effet, « le programme ne distingue pas la compréhension de l’interprétation. » (Falardeau et Sauvaire, 2017, p. 73) Donc, il nous parait d’abord important de séparer l’interprétation de la compréhension, puisque c’est l’interprétation qui est au centre de l’approche subjective. En effet, cette approche vise à placer l’élève en position de sujet-lecteur afin qu’il puisse participer à sa lecture en établissant des liens avec son répertoire personnel pour donner du sens aux symboles du texte. Puisque Le Horla est un texte résistant de type proliférant, le lecteur pourra ainsi en élaborer des interprétations personnelles qui seront le résultat de sa subjectivité. Ses interprétations lui permettront de Construire du sens afin de résoudre les problèmes de lecture liés à des difficultés d’interprétation que peut poser cette œuvre littéraire. Ce n’est qu’une fois ayant participé à l’acte de lecture en interprétant le texte que l’élève pourra réellement Réagir au texte lu. En d’autres mots, « la réaction est la composante de la compétence en lecture qui fait directement appel à la subjectivité du lecteur » (Falardeau et Sauvaire, 2017, p. 75) et qui lui permet finalement d’apprécier un texte littéraire. Donc, l’approche subjective qui sera retenue pour l’analyse de cette œuvre vise précisément l’interprétation, et non la compréhension, et ainsi combler la composante Construire du sens de la compétence Lire et apprécier des textes variés.  


Justification du choix d’un ou de plusieurs problèmes de lecture posés par l’œuvre  

 

Puisque c’est l’approche subjective qui est retenue, il s’avère primordial de relever les différentes difficultés d’interprétation du Horla. En effet, l’œuvre offre plusieurs passages qui sont susceptibles de susciter des interprétations variées de la part des lecteurs. Ces passages seront donc la source de problèmes de lecture où l’approche subjective sera employée afin d’en élaborer diverses interprétations qui viseront à résoudre ces dits problèmes.

 

Tout d’abord, le fait que Le Horla soit du genre textuel de la nouvelle implique un élément qui est susceptible d’engendrer un problème de lecture : la chute. En ce qui concerne cette œuvre, il est ici question de : Le Horla est-il mort? Certes, pour le narrateur qui choisit la mort plutôt que de continuer de vivre en présence du Horla, la réponse semble claire. Or, plusieurs passages rendent difficiles de juger hors de tout doute si nous pouvons nous fier au jugement du narrateur. Cela dit, les interprétations possibles sont nombreuses. Par exemple, le Horla peut avoir péri dans l’incendie ou bien il peut avoir survécu; si le Horla possède le corps du narrateur, il peut s’être enfuit avec lui; le narrateur finit-il par se suicider? ou bien contrôlé par le Horla, il est incapable de passer à l’acte? Ce ne sont ici que quelques pistes de réponses selon l’interprétation que nous faisons du passage.  

 

Ensuite, un autre problème de lecture concerne un élément central à l’œuvre : Qu’est-ce que le Horla? Selon nous, l’interprétation du lecteur quant à ce problème de lecture tient un rôle central dans la perception qu’aura le lecteur face à l’œuvre entière. Nous avons opté pour une formulation simple de la question afin d’influencer le moins possible le jugement du lecteur dans son interprétation. Par exemple, demander « Que représente le Horla » aurait sous-entendu que le Horla ne peut être un être en soi, mais obligatoirement une représentation quelconque. Nous avons soulevé trois interprétations possibles, mais nous sommes conscients qu’il en existe bien d’autres.

 

La première interprétation serait que le Horla soit un fantôme. Autrement dit, qu’il soit une entité bien réelle. Il hante le narrateur depuis le passage du trois-mâts brésilien sur la Seine. Il boit le lait et l’eau laissés sur le comptoir. Le Horla contrôle d’une certaine façon le narrateur comme l’hypnotiseur possède un pouvoir de suggestion sur les pensées et sur les actions de l’hypnotisé. C’est cet être surnaturel, cet Invisible, qui a poussé le narrateur à aller cueillir des fraises et les manger le 14 aout, qui a commandé au conducteur de la voiture d’aller « À la maison » plutôt qu’« À la gare! » dans l’entrée du 16 aout (de Maupassant, 2003, p. 57).     

 

La seconde interprétation serait que le Horla soit une représentation de la dépression du narrateur. En effet, ce dernier mentionne fréquemment la solitude qui l’afflige. Déjà lors de la deuxième entrée, soit le 12 mai, après avoir vu les navires voguer sur la Seine, le narrateur affirme « Je me sens souffrant, ou plutôt je me sens triste. » (de Maupassant, 2003, p. 32) Cette solitude peut s’expliquer par le fait qu’il habite seul, dans un grand manoir, aux côtés de ses domestiques. En d’autres mots, être enfermé chez lui est la cause de sa dépression : « Je descends le long de l’eau; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m’attendait chez moi. » (de Maupassant, 2003, p. 32) Au fil de la nouvelle, il affirme même que ce n’est que lorsqu’il part en voyage, qu’il se sent libéré du Horla – de la dépression : « [...] et vingt-quatre heures de Paris ont suffi pour me remettre d’aplomb. » (de Maupassant, 2003, p. 43) Cependant, le narrateur n’arrive pas à déterminer sa solitude comme étant la cause de son malheur. Ainsi, il invente inconsciemment le Horla afin d’expliquer un phénomène qu’il ne comprend pas. Il s’agit d’un réflexe des humains que le docteur Parent mentionne lors du séjour du narrateur à Paris : « [...] cette hantise des phénomènes invisibles a pris des formes banalement effrayantes. De là sont nées les croyances populaires au surnaturel [...] » (de Maupassant, 2003, p. 45). De plus, alors que le narrateur revient d’une sortie au théâtre, il affirme « Quand nous sommes seuls longtemps, nous peuplons le vide de fantômes. » (de Maupassant, 2003, p. 43) En bref, le narrateur souffre de dépression à la suite de la solitude qu’il éprouve. En effet, il souffre des symptômes typiques de la dépression : « J’éprouve cela dans mon être moral d’une façon étrange et désolante. Je n’ai plus aucune force, aucun courage, aucune domination sur moi, aucun pouvoir même de mettre en mouvement ma volonté. » (de Maupassant, 2003, p. 55) Or, n’en comprenant pas la cause, il aurait inventé le Horla afin d’expliquer ce qu’il ne comprend pas.

 

La troisième interprétation considérée serait que le narrateur soit réellement fou et que le Horla soit l’expression de cette folie. Avec cette interprétation, il est enrichissant de sortir du récit en soi. Par exemple, la dénomination « Horla » proviendrait selon plusieurs, dont le psychologue français Johann Jung, des mots « Hors » et « Là », à la fois à l’intérieur et à l’extérieur (Jung, 2010, p. 510). Cela dit, il est ardu, autant pour le narrateur que pour le lecteur, de discerner ce qui est dans la tête du narrateur et ce qui est à l’extérieur, comme les hallucinations par exemple. En effet, dans l’entrée du 6 juillet, le narrateur écrit : « Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette nuit; – ou plutôt, je l’ai bue! » (de Maupassant, 2003, p. 41) Par ailleurs, la vie de Guy de Maupassant est elle-même caractérisée par la maladie mentale. En effet, sa mère est victime de trouble nerveux alors que son frère, Hervé, est placé en institut psychiatrique où il mourra en 1889 (Bonneville, 1999, p. 131). De plus, Guy de Maupassant a contracté la syphilis, en 1877, soit à l’âge de 27 ans. Cette maladie, incurable à l’époque, en vient à lui provoquer des hallucinations accompagnées de paranoïa. En 1887, année de la publication du Horla, l’écrivain souffre de « troubles importants de l’identité qui se traduisent notamment par l’impression de se voir à l’extérieur de lui-même ou encore d’être étranger à la personne qu’il voit dans le miroir. » (Jung, 2010, p. 508) À la suite d’une tentative de suicide en 1892, Guy de Maupassant est interné en institut où son séjour, empreint d’épisodes de délires, se terminera par son décès le 6 juillet 1893 (Bonneville, 1999, p. 131). Dans le Horla, à la façon de Maupassant, le narrateur est victime d’hallucinations, de paranoïa. Il peine à se reconnaitre dans ses actions, comme s’il n’était non plus une seule personne, mais bien deux :

 

[...] je vivais, sans le savoir, de cette double vie mystérieuse qui fait douter s’il y a deux êtres en nous, ou si un être étranger, inconnaissable et invisible, anime, par moments, quand notre âme est engourdie, notre corps captif qui obéit à cet autre, comme à nous-mêmes, plus qu’à nous-mêmes. (de Maupassant, 1887, p. 41) 

 

Finalement, un dernier passage nous semble important afin d’approfondir l’interprétation du Horla. Il s’agit même d’un passage où l’interprétation de celui-ci conditionnera grandement l’interprétation du lecteur face aux autres problèmes de lecture précédemment présenté. Ce problème porte sur un passage qui semble isolé de l’œuvre, voire détaché de l’histoire : la rencontre du narrateur avec le docteur Parent à Paris, et son initiation à l’hypnose. En effet, l’interprétation du lecteur face à ce passage influencera l’interprétation qu’il élaborera face à ce qu’est le Horla, de là à la rendre des plus recevables. Pourquoi le narrateur prend-il le temps de raconter l’histoire de sa rencontre avec le docteur Parent? D’emblée, le lecteur peut ne rien voir à ce passage. Ce n’est que plus tard dans l’œuvre que le texte lui permet de faire un parallèle entre l’hypnose et le Horla : « Certes, voilà comment était possédée et dominée ma pauvre cousine [...] Elle subissait un vouloir étranger entré en elle, comme une autre âme, comme une autre âme parasite et dominatrice. » (de Maupassant, 2003, p. 56) Le lecteur, dont l’interprétation du Horla est qu’il soit un fantôme, interprètera ainsi ce passage comme étant une illustration du sentiment d’impuissance vécu par le narrateur, alors que le Horla prend possession de son corps. Quant au lecteur qui a interprété le Horla comme étant la dépression, il interprètera ce passage comme un parallèle entre l’hypnose et les symptômes de la dépression, où le narrateur ne trouve pas la force de réaliser quoi que ce soit : « Je suis rivé à mon siège; et mon siège adhère au sol, de telle sorte qu’aucune force ne nous soulèverait. » (de Maupassant, 2003, p. 55) Pour finir, le lecteur qui interprète le Horla comme étant une représentation de la folie du narrateur pourra expliquer son interprétation à l’aide de ce passage. En effet, comme l’hypnotiseur contrôle facilement sa cousine, le narrateur est facilement habité par la peur, thème central de l’œuvre. Tout au long de la nouvelle, le narrateur est déchiré par le doute de ce qu’il voit : « Décidément, je suis fou! [...] Cette fois, je ne suis pas fou. J’ai vu… j’ai vu… j’ai vu! [...] Certes, je me croirais fou, absolument fou [...] Je suis perdu! » (de Maupassant, 2003, p. 42, 51, 53 et 55) Ainsi, c’est l’incertitude qui habite le narrateur qui le conduit à avoir peur en tout temps. Tout comme l’hypnotiseur contrôle sa cousine, cette peur contrôle le narrateur, jusqu’à mettre fin à ses jours puisqu’il doute de la mort du Horla : « Non… non… sans aucun doute, sans aucun doute… il n’est pas mort… Alors… alors… il va donc falloir que je me tue, moi!... » (de Maupassant, 2003, p. 68) En bref, l’interprétation du lecteur face à ce problème de lecture permet d’appuyer l’interprétation qu’il fera du problème de lecture Qu’est-ce que le Horla? afin de la rendre plus recevable.

 

Principaux savoirs à enseigner pour l’étude de cette œuvre en classe

 

De prime abord, il est essentiel d’étudier les savoirs formels afin d’analyser Le Horla de Maupassant afin d’en dégager des savoirs transférables. Ce récit appartient au genre de la nouvelle littéraire, qui est à étudier lors de la quatrième secondaire (MEES, 2011, p. 28), et s’imbrique dans le registre fantastique ainsi que celui psychologique, car cette nouvelle implique de façon importante la psyché humaine. La narration autodiégétique et le point de vue du narrateur sont des éléments particulièrement importants dans l’étude de l’œuvre, puisque le personnage principal exprime ses pensées et ses doutes, de façon à les transmettre d’une certaine manière au lecteur. De ce fait, ce dernier est instinctivement porté à croire ce qu’on lui dit, sans le remettre en doute lors d’une première lecture. Le caractère bref de la nouvelle permet donc une relecture qui permettra de prendre une distance avec les propos du narrateur de sorte à en retirer diverses interprétations. Par ailleurs, la structure épistolaire du récit écrit sous forme d’entrées dans un journal intime contribue à suivre le personnage au jour le jour, un peu comme une correspondance entre celui-ci et le lecteur. Tout comme la structure de la nouvelle, les figures de style font en sorte de créer une ambiance inquiétante. C’est notamment le cas des répétitions « Oh! mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu! » (de Maupassant, 2003, p. 56) ou encore de comparaisons telles que « [...] j’attends le sommeil comme on attendrait le bourreau » et « [...] je tombe tout à coup dans le repos, comme on tomberait pour s’y noyer, dans un gouffre d’eau stagnante. » (de Maupassant, 2003, p. 35)    

 

Ensuite, dans une visée du processus Comprendre et interpréter un texte de la compétence Lire et apprécier des textes variés, il s’avère important d’étudier le Horla de Maupassant à l’aide des savoirs historiques. En effet, plusieurs éléments de l’histoire « interne » et de l’histoire « externe » de l’œuvre et de l’auteur sont importants à prendre en compte afin d’appuyer le lecteur dans son processus d’interprétation de l’œuvre. D’une part, l’étude du Horla selon l’histoire « interne » permet au lecteur de réaliser la singularité de cette œuvre en ce qui a trait à son appartenance au courant du fantastique. Alors que ce courant n’abordait que les êtres surnaturels, Maupassant a imposé un nouveau point de vue en intériorisant le fantastique au personnage. Ainsi, le fantastique devient matière à l’exploration de la psychologie humaine et à son incompréhension, de là à approcher le thème de la folie. D’autre part, l’étude du Horla selon l’histoire « externe » permet au lecteur d’approfondir ses interprétations. En effet, l’histoire « externe » s’intéresse à « l’inscription du texte dans un contexte historique et culturel précis [...] » (Canvat, 2000, p. 63). En ce qui concerne Le Horla, c’est plus particulièrement l’étude de l’auteur qui s’avère essentielle. Selon l’approche subjective, l’étude du vécu de cet écrivain peut permettre au lecteur de modifier ses interprétations du texte. Comme nous l’avons expliqué lors des problèmes de lecture, Maupassant a publié Le Horla alors qu’il souffrait de troubles importants de l’identité. Il s’agit alors d’une information qui peut influencer le lecteur quant à son interprétation de ce qu’est le Horla, se rangeant ainsi du côté de l’interprétation où le Horla est l’expression de la folie du narrateur. Pour le lecteur qui ne connaissait rien de Maupassant, l’étude de l’histoire de l’auteur peut le pousser à s’interroger sur ses interprétations, et même à entamer une relecture de l’œuvre afin d’élaborer d’autres interprétations. Donc, l’étude de l’histoire « externe » de l’œuvre de Maupassant s’avère essentielle pour aider le lecteur dans l’élaboration de ses interprétations, et les rendre ainsi plus recevables.

 

En ce qui concerne les savoirs liés à la maitrise de la langue, les types de phrases sont très présentes dans la nouvelle Le Horla et ils permettent d’ajouter des éléments modifiant l’ambiance. D’un côté, des phrases exclamatives permettent au narrateur d’exprimer tantôt la peur et la panique : « L’Être était dessus, venant de là-bas, où sa race est née! Et il m’a vu! [...] Oh! mon Dieu! » (de Maupassant, 2003, p. 60), tantôt le soulagement et le bienêtre : « J’étais sûr qu’il n’avait pu s’échapper et je l’enfermai, tout seul, tout seul! Quelle joie! Je le tenais! » (de Maupassant, 2003, p. 66). D’un autre côté, des phrases interrogatives ajoutent de la force au doute et à l’incompréhension exprimés par le narrateur : « Mais, est-ce moi? Est-ce moi? Qui serait-ce? Qui? Oh! mon Dieu! Je deviens fou? Qui me sauvera? » (de Maupassant, 2003, p. 41) Pour le lecteur, l’étude de ces types de phrases peut l’influencer dans l’élaboration de ses interprétations. Par exemple, la succession, voire l’accumulation, de phrases interrogatives expriment le doute qui afflige le narrateur, ou de phrases exclamatives qui expriment sa panique, le tout qui mène inexorablement à sa folie. À cela, nous pouvons ajouter l’usage des points de suspension qui, imbriqués entre des comparaisons et des répétitions, reflètent l’incertitude et la panique du narrateur « Non… non… sans aucun doute, sans aucun doute… il n’est pas mort… Alors… alors… il va donc falloir que je me tue, moi!... » (de Maupassant, 2003, p. 68)    


Objectifs de la séquence

 

Le présent travail a pour but l’élaboration d’une séquence didactique où les élèves pourront prendre conscience de l’apport du lecteur dans les œuvres littéraires et l’influence que cette subjectivité peut avoir sur leurs interprétations. Ainsi, l’objectif général de cette séquence est : Réaliser la diversité interprétative du Horla de Maupassant au travers d’activités orales et écrites. Pour atteindre cet objectif général, des objectifs spécifiques seront mis en place à l’aide d’activités orales et écrites. En effet, au travers d’un journal dialogué, d’un cercle littéraire et d’un débat interprétatif, les élèves auront à réfléchir sur leur vision de l’œuvre, et seront confrontés aux interprétations de leurs pairs. Ils prendront ainsi conscience de la diversité d’interprétations qu’un texte littéraire peut offrir, pour finalement revenir à leur journal dialogué afin d’y écrire l’évolution de leurs interprétations. 

 

Objectif général de la séquence didactique

Réaliser la diversité interprétative du Horla de Maupassant au travers d’activités orales et écrites.

Objectifs spécifiques de la séquence didactique

  1. Lors de la lecture du Horla de Maupassant, entretenir un journal dialogué afin de conserver des traces écrites de ses interprétations sur des passages précis et d’autres libres au choix.
  2. Exprimer lors d’un cercle littéraire sa compréhension et ses interprétations de sa propre lecture du Horla afin de les valider.
  3. Au sein d’un débat interprétatif, partager ses interprétations avec ses pairs et prendre conscience des leurs. 
  4. Revenir sur son journal dialogué afin d’y écrire l’évolution de ses interprétations à la suite de la participation au débat interprétatif. 


Conclusion 

 

Pour tout dire, c’est l’approche subjective qui sera retenue afin d’analyser Le Horla de Maupassant, pour ainsi faire réaliser aux élèves la diversité d’interprétations qu’il est possible d’en soulever, notamment à partir des problèmes de lecture énumérés plus haut. Des savoirs formels, des savoirs historiques et certains savoirs liés à la maitrise de la langue seront essentiels à enseigner afin d’atteindre cet objectif général.

 

Bibliographie

Bonneville, J. (1999) Contes réalistes et contes fantastiques : Guy de Maupassant. Beauchemin Chenelière Éducation.

Chartrand, S.-G., Émery-Bruneau, J. et Sénéchal, K. avec la coll. de Pascal Riverin (2015). Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français. Québec : Didactica. www.enseignementdufrançais.fse.ulaval.ca

 Canvat, K. (2000). Quels savoirs pour l’enseignement de la littérature? Réflexions et propositions. Dans G. Langlade et M.J. Fourtanier (dir.) Enseigner la littérature (p. 57-72). Paris : Delagrave, CRDP Midi-Pyrénées.

 Falardeau, É. et Sauvaire, M. (2015). Les composantes de la compétence en lecture littéraire. Le français aujourd’hui, 191(4), 71-84.

 Jung, J. (2010) Du paradoxe identitaire au double transitionnel : Le Horla de Guy de Maupassant. Revue française de psychanalyse, 74(2), 507-519. https://doi.org/10.3917/rfp.742.0507 

 de Maupassant, G. (2003). Le Horla. Éditions Gallimard.

 Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). (2009). Programme de formation de l’école québécoise : Français, langue d’enseignement. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/formation_jeunes/PFEQ_FrancaisLangueEnseignement.pdf

 Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). (2011). Progression des apprentissages au secondaire : Français, langue d’enseignement. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/education/jeunes/pfeq/PDA_PFEQ_francais-langue-enseignement-secondaire_2011.pdf

 Simard, C. (1996). Le choix des textes littéraires, une question idéologique. Québec français, 100, 44-47. 

 Tauveron, C. (1999). Comprendre et interpréter le texte littéraire. Repères, 19, 9-38.

 

Séquence didactique sur Le Horla


Introduction


Le Horla de Guy de Maupassant est une œuvre littéraire intéressante à aborder sous l’approche subjective puisqu’il s’agit d’un texte proliférant qui suscite diverses interprétations de la part de ses lecteurs (Tauveron, 2009, p. 20). Notre séquence vise notamment à placer l’élève dans son rôle de sujet-lecteur afin qu’il puisse prendre conscience de la place qu’il tient dans l’enrichissement d’une œuvre littéraire. Cette séquence incitera donc des élèves de la quatrième secondaire à formuler des interprétations quant aux problèmes de lecture posés par cette nouvelle littéraire, et à les confronter à celles de leurs pairs afin d’en tirer des interprétations plus recevables. L’engagement des élèves sera donc essentiel à la réalisation de cette séquence puisqu’elle vise un cheminement réflexif de la part de chacun d’eux, et une collaboration entre ceux-ci afin de mieux comprendre et interpréter ce texte littéraire (MEES, 2009, p. 43-52). Pour y arriver, au travers des huit séances de cette séquence, diverses activités stimulantes permettant de travailler à la fois la lecture, l’écriture et l’oral seront mises en place de façon à accompagner l’élève dans son processus réflexif et interprétatif de l'œuvre littéraire fantastique. De plus, la sélection du Horla s’avère judicieuse afin de piquer l’intérêt des élèves. En effet, la peur, la folie, la solitude et le surnaturel sont des sujets qui s’inscrivent dans leurs champs d’intérêt, et qui sont susceptibles de développer, voire de stimuler, leur goût et leur habitude de lire des textes littéraires (Simard, 1996, p. 47). D’ailleurs, pour des élèves du deuxième cycle du secondaire, une séquence didactique autour du Horla permettra de les initier aux œuvres littéraires plus complexes et de les exposer à un héritage culturel de la littérature. Nous présenterons d’abord notre séquence de façon détaillée, et poursuivrons avec une justification de nos choix didactiques pour chacune des séances.

 

Objectif général

 

Réaliser la diversité interprétative du Horla de Maupassant et témoigner de l’évolution de son parcours réflexif.


Présentation de la séquence didactique


Séance

Nom de l’activité

Description

Savoirs impliqués

Durée

Objectif(s) spécifique(s)

 

1

Activité d’amorce 1 :

La main

- L’enseignant annonce aux élèves que les prochaines séances seront consacrées à la lecture d’une nouvelle littéraire;

- La classe visionne le court-métrage La main, adapté d’une nouvelle de Maupassant;

- L’enseignant questionne les élèves par rapport aux différents éléments de la nouvelle (nombre de personnages, évènements, le registre (fantastique) et la fin).

 

Activation des connaissances antérieures sur les caractéristiques de la nouvelle.

20 min

Introduire les élèves au genre littéraire de la nouvelle.

 

Activité d’amorce 2 : 

Fou?

 

- L’enseignant lit à voix haute la nouvelle Fou? de Maupassant;

- Il guide une discussion afin que les élèves partagent leur compréhension de la nouvelle :

- De quoi le narrateur est-il jaloux?;

- Pourquoi le narrateur se croit-il fou?;

- L’enseignant leur demande comment ils interprètent la chute de cette nouvelle :

- Le cheval est-il la vraie source de la jalousie du narrateur? Est-il la véritable cause de la joie de la femme du narrateur?;

- Le narrateur est-il réellement fou?;

- L’enseignant demande aux élèves de justifier leurs réponses à l’aide d’éléments du texte.

 

- Activation des connaissances antérieures;

- Compréhension;

- Interprétation;

- Justification.

 

25 min

- Introduire les élèves à la notion d’interprétation;

- Réaliser qu’une nouvelle littéraire peut engendrer diverses interprétations.

Activité 3 :

introduction au Horla de Maupassant

- Présentation de l'œuvre, du genre littéraire et du courant dans lequel il s’inscrit;

- Présentation de Guy de Maupassant : courte biographie et le contexte d’écriture du Horla;

- Étude de la couverture et lecture à voix haute de la quatrième de couverture;

- Présentation d’un diaporama des différentes couvertures des nombreuses éditions du Horla;

- Discussion en groupe : ce qu’ils prédisent de l’histoire; leurs attentes; 

- L’enseignant leur annonce que la nouvelle doit être lue pour la séance 4.

 

- Savoirs historiques sur l’œuvre / sur l’auteur;

- Anticipation de l’histoire.

 

30 min

- Découvrir l’œuvre à lire;

- Établir ses attentes en tant que sujet-lecteur.

 

 

2

Activité 1 : 

la notion d’interprétation

 

- L’enseignant présente ce qu’est l’interprétation, et fait des liens avec les activités d’amorce;

- Il présente le rôle du lecteur dans l’acte d’interprétation;

- Il présente l’importance de justifier ses interprétations à l’oral et à l’écrit à l’aide d’éléments du texte afin de rendre ses interprétations recevables;

- Il illustre ce concept à l’aide de la nouvelle Fou?.

- Notion d’interprétation;

- Justification.

 

40 min

- Comprendre la notion d’interprétation;

- Prendre conscience de son rôle de lecteur dans le processus d’interprétation;

- Justifier ses
interprétations à l’aide d’éléments du texte afin de les rendre recevables.

Activité 2 : 

présentation du journal dialogué

 

- L’enseignant distribue à chaque élève son journal dialogué portant sur Le Horla, et en fait la présentation;

- Il parcourt le document avec les élèves, et lit les questions réflexives élaborées à partir des problèmes de lecture relevés qu’ils auront à compléter pendant/après leur première lecture de l’œuvre :

- Pour toi, qu’est-ce que le Horla?;

- Comment interprètes-tu la fin?;

- Pourquoi le narrateur prend-il le temps de raconter l’histoire de sa rencontre avec le docteur Parent?;

- Il leur explique ce qu’est un problème de lecture;

- Il leur explique qu’ils auront à rédiger une hypothèse d’interprétation pour chacune de ces questions pour la cinquième séance où se tiendront les cercles littéraires;

- Ils doivent justifier leurs hypothèses à l’aide d’éléments du texte.

 

- Journal dialogué;

- Notion de problème de lecture;

- Notion d’interprétation;

- Justification.

 

35 min

- Comprendre le but du journal dialogué;

- Introduire les élèves aux questions réflexives qui leur permettront d’amorcer l’évolution de leurs interprétations quant aux problèmes de lecture.

 

 

3

Activité 1 :

approche générique du genre de la nouvelle littéraire

 

- En début de séance, l’enseignant questionne les élèves par rapport aux éléments qu’ils avaient relevés à la suite du visionnement du court-métrage La main;

- En équipe de deux, les élèves doivent relever des caractéristiques du genre à partir du texte de la nouvelle Fou? lue en début de séquence :

- Qu’observes-tu de particulier dans ce texte?;

- Est-ce qu’il y a des éléments semblables avec le court-métrage?.

- Savoirs formels;

- Savoirs liés à la maitrise de la langue.

 

25 min

- Dégager des caractéristiques de la nouvelle littéraire.

Activité 2 :

élaboration d’une fiche critériée de la nouvelle littéraire

 

- En groupe, l’enseignant ouvre un tableau Word qu’il projette à l’avant;

- Il anime une discussion où les élèves partagent les caractéristiques qu’ils ont relevées;

- L’enseignant échange sur la pertinence de chacune des caractéristiques apportées;

- Si la caractéristique est pertinente, il l’ajoute au tableau sous forme d’un critère qui permet de lier la caractéristique au genre de la nouvelle littéraire;

- Une fois la séance terminée, l’enseignant peaufine la fiche qu’il a élaborée avec les élèves lors du cours, il l’imprime et il la distribuera aux élèves lors de la prochaine séance.

 

- Savoirs formels;

- Savoirs liés à la maitrise de la langue.

 

50 min

- Élaborer une fiche critériée du genre de la nouvelle littéraire que les élèves pourront réutiliser.

 

4

Activité 1 :

retour sur la lecture du Horla

- En groupe, engager une discussion sur leur lecture du Horla, sur leur appréciation et sur leur compréhension. - Attention : ne pas échanger sur leurs interprétations de certains passages.

- Appréciation;

- Compréhension;

- Justification.

 

10 min

- Formuler une appréciation et la justifier.

Activité 2 :

retour sur les premières interprétations

 

- L’enseignant s’assure que les élèves ont, au minimum, amorcé la rédaction de leurs hypothèses d’interprétations quant aux trois questions interprétatives portant sur les problèmes de lecture du Horla;

- Il leur accorde du temps pour poursuivre leur rédaction pendant qu’il circule pour vérifier leur travail.

 

- Interprétation;

- Justification.

 

15 min

- Peaufiner leurs hypothèses d’interprétations afin qu’elles soient bien élaborées pour les cercles littéraires.

Activité 3 :

étude du Horla en tant que nouvelle littéraire

- En équipe de deux, les élèves doivent étudier Le Horla à l’aide des caractéristiques du genre de la nouvelle littéraire qu’ils ont relevées lors de la dernière séance (leur fiche critériée);

- Ils identifient si les critères relevés sont aussi présents dans Le Horla.

- Savoirs formels;

- Savoirs liés à la maitrise de la langue;

 

20 min

- Identifier Le Horla comme étant une nouvelle littéraire.

Activité 4 :

étude des effets des différents critères sur leur lecture

 

- En groupe, les élèves partagent leur étude des caractéristiques de la nouvelle littéraire dans Le Horla. Ils doivent justifier leurs réponses à l’aide de passages ou d’éléments du texte;

- L’enseignant questionne les élèves sur les effets que de telles caractéristiques peuvent avoir sur leur lecture.

 

- Savoirs formels;

- Savoirs liés à la maitrise de la langue;

- Interprétation;

- Justification.

 

30 min

- Utiliser les caractéristiques relevées afin de soutenir les premières hypothèses d’interprétation du Horla.

 

5

Activité 1 :

cercles littéraires

 

- En cercles littéraires de quatre élèves déterminés au hasard, les élèves doivent partager leurs interprétations qu’ils ont rédigées dans leur journal dialogué quant aux problèmes de lecture suscités par Le Horla;

- Ils doivent justifier leurs interprétations à l’aide d’éléments ou de passages du Horla;

- Avant de les lancer en cercles, l’enseignant leur présente la deuxième partie du journal dialogué, où ils auront à écrire l’évolution de leurs interprétations à la suite du cercle littéraire;

- L’enseignant les invite à prendre en note les interprétations intéressantes qui seront apportées par leurs pairs.

 

- Problème de lecture;

- Interprétation;

- Justification.

 

40 min

- Exprimer et justifier ses interprétations;

- Prendre conscience de la singularité de leurs interprétations;

- Amorcer un processus réflexif quant à leurs propres interprétations.

 

Activité 2 :

retour dans leur journal dialogué

 

- En vue du débat interprétatif, les élèves inscrivent dans leur journal dialogué, sous forme de notes personnelles, les effets que le cercle littéraire a eus sur leurs interprétations personnelles;

- Est-ce que tes camarades ont proposé des interprétations différentes des tiennes quant aux problèmes de lecture du Horla? Explique-les brièvement.;

- Est-ce que ces nouvelles interprétations sont venues changer, approfondir ou confirmer tes interprétations initiales? Si oui, explique tes nouvelles interprétations et justifie-les à l’aide des éléments apportés par tes pairs.;

- Selon leur jugement, ils peuvent remanier leurs interprétations à l’aide des éléments apportés par leurs pairs – d’éléments justificatifs tirés du texte – afin de rendre leurs interprétations plus recevables;

- Dans le cas où leurs interprétations se sont avérées non recevables, ils peuvent tout simplement les abandonner et en élaborer une nouvelle, plus recevable.

* Cette partie du journal ne sera pas évaluée. Elle permet de conserver des traces de l’évolution de leur parcours interprétatif. *

 

- Problème de lecture;

- Interprétation;

- Justification.

 

35 min

- Reconstruire ses interprétations en sélectionnant, en abandonnant ou en empruntant des éléments apportés lors des cercles.

 

6

Activité 1 :

débat interprétatif

 

- La classe est disposée en cercle;

- L’enseignant explique les règles du débat;

- Il explique qu’il jouera le rôle du modérateur;

- Il prend le temps de rappeler aux élèves que toutes les hypothèses sont bonnes. Ils doivent toutefois s’assurer de les justifier en s’appuyant sur le texte;

- Il demande à tous les élèves de prendre des notes sur les différentes interprétations présentées par leurs pairs et sur les éléments justificatifs du texte dans la section associée au débat interprétatif de leur journal dialogué.

 

- Débat interprétatif;

- Interprétation;

- Justification;

- Savoirs historiques;

- Savoirs formels;

- Savoirs liés à la maitrise de la langue.

 

60 min

- Déterminer la recevabilité des hypothèses d’interprétations présentées;

- Comprendre Le Horla et son contexte d’écriture.

 

Activité 2 :

clôture du débat

 

- L’enseignant met fin au débat et remercie les élèves de leur participation;

- Il revient sur les principales hypothèses d’interprétations apportées par les élèves, et précise les éléments justificatifs du texte qui ont été présentés;

- Il doit s’assurer d’être le plus neutre possible;

- Il demande aux élèves de réfléchir aux différentes hypothèses d’interprétation proposées lors du débat, et si elles viennent modifier leurs propres interprétations initiales.

 

- Interprétation;

- Justification.

 

15 min

- Amorcer un processus réflexif quant à sa/ses propres interprétations.

 

 

7 et 8

Du point A au point B : Voyage du sujet interprétatif - Conclusion du journal dialogué

- Avant, l’enseignant s’assure de rappeler aux élèves qu’il n’y a pas de mauvaises interprétations. Certaines sont plus recevables que d’autres en fonction de leurs justifications à l’aide du texte. Les élèves sont donc libres de sélectionner les interprétations avec lesquelles ils sont en accord, pourvu qu’ils puissent les justifier à l’aide d’éléments du texte;

- À la fin de leur journal dialogué, les élèves doivent rédiger un texte réflexif d’environ 300 mots dans lequel ils rendent compte de l’évolution de leur parcours interprétatif (consigne en Annexe 1);

- Ils présentent une ou plusieurs interprétations qu’ils avaient formulées lors de leur première lecture;

- Ils expliquent en quoi cette ou ces interprétations ont été modifiées ou abandonnées à la suite du cercle littéraire et du débat interprétatif;

- Ils justifient leurs interprétations finales à l’aide d’éléments du texte.

 

- Justification;

- Interprétation;

- Problèmes de lecture.

2 x 75 minutes

- Réaliser la diversité interprétative du Horla de Maupassant;
- Rédiger un texte réflexif dans lequel ils partagent l’évolution de leur parcours réflexif.

 

 

Justification des activités

 

La première séance de notre séquence didactique a pour but d’introduire les élèves au genre de la nouvelle littéraire, ainsi qu’à l'œuvre qu’ils auront à lire : Le Horla de Maupassant. Elle leur permettra aussi d’amorcer un processus réflexif quant à la notion de subjectivité en lecture littéraire. D’abord, une première activité d’amorce permettra de piquer leur curiosité. En effet, la présentation d’un court-métrage adapté de la nouvelle La main de Maupassant aura pour but de susciter leur intérêt quant au genre de la nouvelle fantastique : un récit bref, guidé par un rythme rapide, et suivant l’évolution psychologique du personnage principal jusqu’au dénouement inattendu (Chartrand, 2015, p. 45). Ensuite, la lecture en groupe d’une autre nouvelle de Maupassant : Fou?, aura pour but de leur faire prendre conscience de la singularité de leur interprétation. À l’aide d’une discussion guidée par l’enseignant, les élèves pourront réaliser que certaines nouvelles littéraires peuvent être interprétées de différentes façons, et que les échanges entre une communauté lectorale – la classe – permettent d’élaborer des interprétations proposées à l’aide d’éléments textuels (Louichon, 2011, p. 208). Finalement, cette séance d’introduction se terminera par la présentation de l'œuvre à lire : Le Horla. L’enseignant pourra ainsi présenter différents savoirs historiques quant à l'œuvre et son auteur. Il s’avère toutefois important que l’enseignant présente une courte biographie de Maupassant et le contexte d’écriture du Horla afin de leur fournir certaines informations qu’ils pourront réutiliser plus tard pour enrichir leurs interprétations. Ainsi, certains élèves pourront établir des liens entre le texte et l’auteur afin de justifier leurs hypothèses. Il s’agit donc de leur donner le plus d’éléments possible pour alors favoriser une diversité d’interprétations au sein de la communauté interprétative. L’enseignant pourra clore la séance en questionnant les élèves quant à leurs attentes sur l'œuvre.

 

C’est lors de la deuxième séance que l’enseignant présentera la notion d’interprétation et son caractère central dans le rôle du lecteur. Par sa subjectivité, celui-ci interprète un texte selon la signification qu’il donne à ce dernier en fonction de ses connaissances, de ses stratégies, de ses expériences, de ses émotions et de ses valeurs (Sauvaire, 2015, p. 1). En faisant un retour sur la nouvelle Fou?, l’enseignant sera en mesure d’exposer aux élèves la complexité et surtout la diversité des interprétations que l’on peut faire d’un texte. Cela dit, s’il est important que les élèves soient au courant qu’il n’existe pas de mauvaises interprétations, il est tout de même primordial que l’enseignant fasse rimer interprétation avec justification. En effet, une hypothèse interprétative ne saurait être recevable que si elle est justifiée de manière adéquate. Ainsi, en questionnant les élèves sur leurs interprétations de Fou?, l’enseignant leur demandera de les justifier à l’aide de passages du texte qui pourront soutenir leur argumentaire. Dans la seconde partie de la séance, les élèves se verront remettre un journal dialogué qui leur servira pendant et après la lecture du Horla. Dans ce document, les élèves auront à répondre à des questions réflexives afin de résoudre certains problèmes de lecture engendrés par l’œuvre. Leurs réponses prendront ainsi la forme d’interprétations personnelles qu’ils auront à justifier à l’aide d’éléments du texte. En d’autres mots, ils auront à interpréter le Horla et à justifier leurs hypothèses. De plus, le journal dialogué leur permettra à la fois de conserver des traces de leur réflexion tout au long de la séquence didactique et « de générer, de comparer et de confronter leurs propres opinions et questions [favorisant ainsi] la compréhension, l’interprétation et l’appréciation des textes littéraires » (Hébert, 2004, p. 605).     

 

La troisième séance sera centrée autour d’une approche générique du genre de la nouvelle littéraire. En équipes, les élèves auront à étudier la nouvelle Fou? de Maupassant qu’ils ont déjà lue et étudiée avec l’enseignant lors des deux dernières séances. Ainsi, ils seront déjà familiers avec les divers éléments textuels que l’enseignant aura relevés pour justifier certaines hypothèses d’interprétations de cette nouvelle. Ils seront alors plus aptes à concentrer leur attention sur les différentes caractéristiques qui s’y cachent. Les élèves pourront ainsi réaliser que certaines des caractéristiques de la nouvelle littéraire permettent de soutenir des hypothèses d’interprétation. Par exemple, des phrases exclamatives et interrogatives permettent d’exprimer l’état d’âme du narrateur tel que le doute : « Et cependant est-ce vrai? L’ai-je aimé? » (Maupassant, 1882), ou bien une figure de style telle que la répétition : « Non, non, non. » (Maupassant, 1882) De plus, les élèves pourront observer certaines caractéristiques textuelles similaires au court-métrage La main, tels une histoire brève, un nombre restreint de personnages et un dénouement inattendu. Ensuite, l’enseignant pourra faire un retour en groupe afin que les équipes puissent partager aux autres leurs observations. À l’aide de celles-ci, l’enseignant formulera des critères qui composeront la fiche critériée de la nouvelle littéraire. Il leur remettra cette fiche lors de la séance suivante afin qu’ils puissent utiliser les caractéristiques relevées pour les observer à l’intérieur du Horla, et ainsi soutenir leurs premières hypothèses d’interprétation.

 

Les deux premières activités de la quatrième séance permettront à l’enseignant de s’assurer que la progression de la séquence se déroule comme prévu et que les élèves entretiennent efficacement leur journal dialogué afin que leurs hypothèses d’interprétation soient prêtes pour la prochaine séance : celle des cercles littéraires. Ensuite, le reste de la séance sera consacrée à l’approfondissement des savoirs formels et des savoirs liés à la maitrise de la langue présents dans leur fiche critériée sur la nouvelle littéraire. En effet, les élèves auront à replonger dans Le Horla afin d’y observer les caractéristiques du genre. Cette activité leur permettra de réaliser les effets que la chute, le caractère bref de la nouvelle, la narration autodiégétique, les figures de style et la présence importante de phrases exclamatives et interrogatives peuvent avoir sur leurs impressions du texte, et en quoi ces caractéristiques peuvent les aider à appuyer leurs interprétations. En somme, leurs observations pourront leur servir comme éléments textuels afin de soutenir leurs premières hypothèses d’interprétations. L’enseignant aura à faire un retour en grand groupe afin de permettre l’échange des observations entre les équipes. Ainsi, les élèves seront tous outillés à justifier efficacement leurs interprétations et à recevoir celles des autres lors des cercles littéraires.

 

La cinquième séance sera divisée en deux parties. Tout d’abord, les élèves se réuniront en cercles littéraires. Cette activité leur permettra d’échanger sur leurs interprétations par rapport aux questions réflexives du journal dialogué, et de confronter leurs idées à celles de leurs pairs.  L’objectif n’est en rien de convaincre, mais bien de justifier ses hypothèses de façon à ouvrir les horizons d’interprétation des élèves.  À cet instant, ils constateront la singularité de leurs interprétations. Les échanges entre élèves viendront enrichir leurs réflexions quant à l'œuvre littéraire à l’étude. Certes, les questions réflexives du journal dialogué offriront des pistes de discussions. Toutefois, les élèves seront autonomes au sens où ils profiteront d’une liberté de discussion sur leurs interprétations et sur leurs perceptions du Horla. Une fois les cercles littéraires terminés, les élèves documenteront dans leur journal dialogué les effets que l’activité a eus sur leurs interprétations. En effet, le journal dialogué et le cercle littéraire « ne doivent être vues non pas comme simples activités de "socialisation des subjectivités", mais comme des outils sociaux de construction du sens et une occasion de confronter et de modéliser les interprétations élaborées pendant et après la lecture. » (Hébert, 2004, p. 607)

 

L’intégralité de la sixième séance sera consacrée en intégralité au débat interprétatif. Cette activité a pour but de mener les élèves à une meilleure compréhension de l'œuvre littéraire en permettant les échanges en grand groupe. Le débat interprétatif viendra clore d’une certaine façon le processus de construction des interprétations avec les pairs. Au cours de cette discussion, il s’agit de « déterminer ensemble si les hypothèses proposées sont recevables pour les membres d’une communauté interprétative » (Sauvaire, 2015, p. 2), soit la classe, dans ce cas-ci. Au fur et à mesure que les interprétations seront échangées et justifiées, chaque élève sera libre de sélectionner les éléments qu’il considère comme étant pertinents afin d’appuyer ses interprétations finales. Ainsi, à l’aide des nouvelles informations reçues, les élèves pourront reconfigurer « leurs interprétations en établissant des liens nouveaux entre les éléments empruntés ou sélectionnés et les passages du texte. » (Sauvaire, 2015, p. 3)

 

Les septième et huitième séances serviront à conclure la séquence didactique, et donc à atteindre l’objectif général, qui est de réaliser la diversité interprétative du Horla de Maupassant et de témoigner de l’évolution de son parcours interprétatif. En effet, la rédaction d’un texte réflexif leur permettra de consolider les apprentissages réalisés depuis le début de la séquence. En d’autres mots, les élèves auront à retourner à leurs interprétations initiales et à suivre leur évolution au fil des différentes activités. De ce fait, ils pourront réaliser en quoi la lecture littéraire leur permet de mobiliser différents savoirs littéraires, linguistiques, poétiques et historiques, et en quoi les échanges entre une communauté de lecteurs contribuent à l’élaboration d’une interprétation des plus recevables en croisant divers éléments du texte (Goff, 2018, p. 113).


Conclusion

 

Au fil de cette séquence didactique, les élèves découvriront et interprèteront Le Horla de Guy de Maupassant. Comprendre et interpréter un texte, Réagir au texte et Évaluer l’efficacité de sa démarche sont autant de processus que les élèves auront mis en place au cours de ces huit séances. Au terme de celles-ci, ils auront alors développé la compétence langagière Construire du sens, et seront à même d’étayer, de questionner et de justifier leurs interprétations d’une œuvre littéraire. De plus, la présentation d’une œuvre marquante de la littérature française comme Le Horla peut s’inscrire dans la mission de l’enseignant de français comme passeur de l’héritage culturel et patrimonial de la littérature. Ainsi, par cette séquence, nous souhaitons transmettre une certaine curiosité des œuvres littéraires classiques aux élèves afin de les amener non seulement à s’y intéresser par eux-mêmes, mais également à leur faire découvrir ce monde qui est de plus en plus délaissé de nos jours.

 

Bibliographie 

 

Chartrand, S.-G., Émery-Bruneau, J. et Sénéchal, K. avec la coll. de Pascal Riverin (2015). Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français. Québec : Didactica. www.enseignementdufrançais.fse.ulaval.ca

Hébert, M. (2004). Les cercles littéraires entre pairs en première secondaire : études des relations entre les modalités de lecture et de collaboration. Revue des sciences de l’éducation, 30(3), 605-630. https://doi.org/10.7202/012084ar 

Le Goff, F. (2018). L’écriture de la réception : ses principes. Dans Le Goff, F., & Larrivé, V. (dir.) Le temps de l’écriture : écritures de la variation, écritures de la réception. UGA Éditions. P. 109-122.

Louichon, B. (2011). La lecture littéraire est-elle un concept didactique? Les concepts et les méthodes en didactique du français. Namur : PUN, 195-210.

De Maupassant, G. (1882). Fou? Bibliothèque NUMÉRIQUE TV5 MONDE. https://bibliothequenumerique.tv5monde.com/livre/456/Fou-

De Maupassant, G. (2003). Le Horla. Éditions Gallimard.

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). (2009). Programme de formation de l’école québécoise : Français, langue d’enseignement. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/formation_jeunes/PFEQ_FrancaisLangueEnseignement.pdf

 Sauvaire, M. (2015). Le rôle des pairs dans l’interprétation du texte littéraire. Correspondance, 20(2).

Simard, C. (1996). Le choix des textes littéraires, une question idéologique. Québec français, 100, 44-47. 

 Tauveron, C. (1999). Comprendre et interpréter le texte littéraire. Repères, 19, 9-38.

 

Annexe 1 - Consigne d'écriture 

 

Consigne d’écriture pour la rédaction du texte réflexif en fin du journal dialogué :

 

Après avoir participé à un cercle littéraire et à un débat interprétatif, tu as pu constater que tes interprétations initiales quant aux problèmes de lecture du Horla ont été confrontées à des interprétations différentes de la part de tes pairs.  

 

Maintenant, à l’aide de ton journal dialogué, explique dans un texte d’environ 300 mots en quoi tes interprétations initiales ont évolué au fil de ces activités. Les as-tu modifiées? approfondies? abandonnées? Pour terminer, partage ton interprétation finale de l’un des problèmes de lecture du Horla.

 

Fais attention! Tout au long de ton texte, tu dois t’assurer de bien justifier tes interprétations à l’aide d’éléments et/ou de passages du texte.

 

Annexe 2 - Fou? de Guy de Maupassant 

 

Suis-je fou ? ou seulement jaloux ? je n’en sais rien, mais j’ai souffert horriblement. J’ai accompli un acte de folie, de folie furieuse, c’est vrai ; mais la jalousie haletante, mais l’amour exalté, trahi, condamné, mais la douleur abominable que j’endure, tout cela ne suffit-il pas pour nous faire commettre des crimes et des folies sans être vraiment criminel par le cœur ou par le cerveau ?

Oh ! j’ai souffert, souffert, souffert d’une façon continue, aiguë, épouvantable. J’ai aimé cette femme d’un élan frénétique… Et cependant est-ce vrai ? L’ai-je aimée ? Non, non, non. Elle m’a possédé âme et corps, envahi, lié. J’ai été, je suis sa chose, son jouet. J’appartiens à son sourire, à sa bouche, à son regard, aux lignes de son corps, a la forme de son visage ; je halète sous la domination de son apparence extérieure ; mais Elle, la femme de tout cela, l’être de ce corps, je la hais, je la méprise, je l’exècre, je l’ai toujours haïe, méprisée, exécrée ; car elle est perfide, bestiale, immonde, impure ; elle est la femme de perdition, l’animal sensuel et faux chez qui l’âme n’est point, chez qui la pensée ne circule jamais comme un air libre et vivifiant ; elle est la bête humaine, moins que cela : elle n’est qu’un flanc, une merveille de chair douce et ronde qu’habite l’infamie.

Les premiers temps de notre liaison furent étranges et délicieux. Entre ses bras toujours ouverts je m’épuisais dans une rage d’inassouvissable désir. Ses yeux, comme s’ils m’eussent donné soif, me faisaient ouvrir la bouche. Ils étaient gris à midi, teintés de vert à la tombée du jour, et bleus au soleil levant. Je ne suis pas fou ; je jure qu’ils avaient ces trois couleurs.

Aux heures d’amour ils étaient bleus, comme meurtris, avec des pupilles énormes et nerveuses. Ses lèvres, remuées d’un tremblement, laissaient jaillir parfois la pointe rose et mouillée de sa langue qui palpitait comme celle d’un reptile, et ses paupières lourdes se relevaient lentement, découvrant ce regard ardent et anéanti qui m’affolait.

En l’étreignant dans mes bras je regardais son œil et je frémissais, secoué tout autant par le besoin de tuer cette bête que par la nécessité de la posséder sans cesse.

Quand elle marchait à travers ma chambre, le bruit de chacun de ses pas faisait une commotion dans mon cœur, et quand elle commençait à se dévêtir, laissant tomber sa robe, et sortant, infâme et radieuse, du linge qui s’écrasait autour d’elle, je sentais tout le long de mes membres, le long des bras, le long des jambes, dans ma poitrine essoufflée, une défaillance infinie et lâche.

Un jour, je m’aperçus qu’elle était lasse de moi. Je le vis dans son œil, au réveil. Penché sur elle, j’attendais chaque matin ce premier regard. Je l’attendais, plein de rage, de haine, de mépris pour cette brute endormie dont j’étais l’esclave. Mais quand le bleu pâle de sa prunelle, ce bleu liquide comme de l’eau, se découvrait, encore languissant, encore fatigué, encore malade des récentes caresses, c’était comme une flamme rapide qui me brûlait, exaspérant mes ardeurs. Ce jour-là, quand s’ouvrit sa paupière, j’aperçus un regard indifférent et morne qui ne désirait plus rien.

Oh ! je le vis, je le sus, je le sentis, je le compris tout de suite. C’était fini, fini, pour toujours. Et j’en eus la preuve à chaque heure, à chaque seconde.

Quand je l’appelais des bras et des lèvres, elle se retournait ennuyée, murmurant : « Laissez-moi donc ! » ou bien : « Vous êtes odieux ! » ou bien : « Ne serai-je jamais tranquille ! »

Alors, je fus jaloux. Mais jaloux comme un chien, et rusé, défiant, dissimulé. Je savais bien qu’elle recommencerait bientôt, qu’un autre viendrait pour rallumer ses sens.

Je fus jaloux avec frénésie ; mais je ne suis pas fou ; non, certes, non.

J’attendis ; oh ! j’épiais ; elle ne m’aurait pas trompé ; mais elle restait froide, endormie. Elle disait parfois : « Les hommes me dégoûtent. » Et c’était vrai.

Alors je fus jaloux d’elle-même ; jaloux de son indifférence, jaloux de la solitude de ses nuits ; jaloux de ses gestes, de sa pensée que je sentais toujours infâme, jaloux de tout ce que je devinais. Et quand elle avait parfois, à son lever, ce regard mou qui suivait jadis nos nuits ardentes, comme si quelque concupiscence avait hanté son âme et remué ses désirs, il me venait des suffocations de colère, des tremblements d’indignation, des démangeaisons de l’étrangler, de l’abattre sous mon genou et de lui faire avouer, en lui serrant la gorge, tous les secrets honteux de son cœur.

Suis-je fou ? – Non.

Voilà qu’un soir je la sentis heureuse. Je sentis qu’une passion nouvelle vivait en elle. J’en étais sûr, indubitablement sûr. Elle palpitait comme après mes étreintes ; son œil flambait, ses mains étaient chaudes, toute sa personne vibrante dégageait cette vapeur d’amour d’où mon affolement était venu.

Je feignis de ne rien comprendre, mais mon attention l’enveloppait comme un filet.

Je ne découvrais rien, pourtant.

J’attendis une semaine, un mois, une saison. Elle s’épanouissait dans l’éclosion d’une incompréhensible ardeur ; elle s’apaisait dans le bonheur d’une insaisissable caresse.

Et, tout à coup, je devinai ! Je ne suis pas fou. Je le jure, je ne suis pas fou !

Comment dire cela ? Comment me faire comprendre ? Comment exprimer cette abominable et incompréhensible chose ?

Voici de quelle manière je fus averti.

Un soir, je vous l’ai dit, un soir, comme elle rentrait d’une longue promenade à cheval, elle tomba, les pommettes rouges, la poitrine battante, les jambes cassées, les yeux meurtris, sur une chaise basse, en face de moi. Je l’avais vue comme cela ! Elle aimait ! Je ne pouvais m’y tromper !

Alors, perdant la tête, pour ne plus la contempler, je me tournai vers la fenêtre, et j’aperçus un valet emmenant par la bride vers l’écurie son grand cheval, qui se cabrait.

Elle aussi suivait de l’œil l’animal ardent et bondissant. Puis quand il eut disparu, elle s’endormit tout à coup.

Je songeai toute la nuit ; et il me sembla pénétrer des mystères que je n’avais jamais soupçonnés. Qui sondera jamais les perversions de la sensualité des femmes ? Qui comprendra leurs invraisemblables caprices et l’assouvissement étrange des plus étranges fantaisies ?

Chaque matin, dès l’aurore, elle partait au galop par les plaines et les bois ; et, chaque fois, elle rentrait alanguie, comme après des frénésies d’amour.

J’avais compris ! j’étais jaloux maintenant du cheval nerveux et galopant ; jaloux du vent qui caressait son visage quand elle allait d’une course folle ; jaloux des feuilles qui baisaient, en passant, ses oreilles ; des gouttes de soleil qui lui tombaient sur le front à travers les branches ; jaloux de la selle qui la portait et qu’elle étreignait de sa cuisse.

C’était tout cela qui la faisait heureuse, qui l’exaltait, l’assouvissait, l’épuisait et me la rendait ensuite insensible et presque pâmée.

Je résolus de me venger. Je fus doux et plein d’attentions pour elle. Je lui tendais la main quand elle allait sauter à terre après ses courses effrénées. L’animal furieux ruait vers moi ; elle le flattait sur son cou recourbé, l’embrassait sur ses naseaux frémissants sans essuyer ensuite ses lèvres ; et le parfum de son corps, en sueur comme après la tiédeur du lit, se mêlait sous ma narine à l’odeur âcre et fauve de la bête.

J’attendis mon jour et mon heure. Elle passait chaque matin par le même sentier, dans un petit bois de bouleaux qui s’enfonçait vers la forêt.

Je sortis avant l’aurore, avec une corde dans la main et mes pistolets cachés sur ma poitrine, comme si j’allais me battre en duel.

Je courus vers le chemin qu’elle aimait ; je tendis la corde entre deux arbres ; puis je me cachai dans les herbes.

J’avais l’oreille contre le sol ; j’entendis son galop lointain ; puis je l’aperçus là-bas, sous les feuilles comme au bout d’une voûte, arrivant à fond de train. Oh ! je ne m’étais pas trompé, c’était cela ! Elle semblait transportée d’allégresse, le sang aux joues, de la folie dans le regard ; et le mouvement précipité de la course faisait vibrer ses nerfs d’une jouissance solitaire et furieuse.

L’animal heurta mon piège des deux jambes de devant, et roula, les os cassés. Elle ! je la reçus dans mes bras. Je suis fort à porter un bœuf. Puis, quand je l’eus déposée à terre, je m’approchai de Lui qui nous regardait ; alors, pendant qu’il essayait de me mordre encore, je lui mis un pistolet dans l’oreille… et je le tuai… comme un homme.

Mais je tombai moi-même, la figure coupée par deux coups de cravache ; et comme elle se ruait de nouveau sur moi, je lui tirai mon autre balle dans le ventre.

Dites-moi, suis-je fou ?


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