I) PRÉSENTATION DE LA SÉQUENCE
Cette séquence didactique a été créée pour le cours Littérature québécoise et elle s’échelonne sur trois semaines, soit six cours. L’œuvre qui en est à la base est un roman de Jacques Godbout, L’Isle au dragon (1976) et son principal thème est l’américanisation du Québec.
D’emblée, il ne faut pas croire que ce texte sera compris de tous les élèves dès la première lecture. Il est très difficile et il pose problème, d’une part, par la présence de symboles mythiques (dragon, princesse, aiguille d’or, etc.) et, d’autre part, par le personnage de William T. Shaheen. Au terme des six cours, l’élève devrait être en mesure de résoudre la situation-problème établie préalablement et il aura la chance de témoigner de sa compréhension par la dissertation qu’il aura à rédiger à la fin de la séquence. En fait, l’élève devra expliquer le discours que tient Jacques Godbout dans L’Isle au dragon2. Pour résoudre le problème, l’élève devra inévitablement comprendre le sens des symboles mythiques et l’imposante présence du personnage de William T. Shaheen qui représente les États-Unis.
Nous poursuivons plusieurs objectifs généraux par cette séquence didactique. D’abord, nous voulons que l’étudiant soit capable de comprendre et d’interpréter une œuvre littéraire. Nous voulons aussi que l’élève puisse percevoir clairement qu’un texte s’inscrit dans une société et qu’il est conditionné par elle. Enfin, nous souhaitons que l’étudiant acquière une certaine autonomie dans la résolution de problèmes.
II) AVANT LA LECTURE
2.1) 1er cours
Les objectifs que nous proposons aux élèves pour ce premier cours sont les suivants : analyser les différents aspects de la réalité québécoise à travers ses productions littéraires, saisir les relations entre la langue, les œuvres littéraires et le contexte géographique, historique, social ou autre et comprendre l’influence du discours littéraire sur l’élaboration de l’imaginaire collectif québécois.
Comme amorce, l’enseignant pourrait parler du phénomène des marques avec les élèves. Il serait même intéressant de leur présenter un extrait de L’empire des marques, documentaire d'Emmanuelle Garnaud réalisé par Michel Pelletier. Durant la première moitié du cours, les élèves se placeront en groupe de trois ou quatre personnes et ils auront à travailler sur la Révolution tranquille. La consigne pourrait être la suivante : « À partir des connaissances que vous possédez sur la Grande Noirceur, essayez de faire le portrait de la Révolution tranquille ». Les élèves possèderont déjà quelques connaissances sur la Grande Noirceur. Ils comprendront mieux ce que les écrivains dénoncent dans leurs textes.
Dans la deuxième partie du cours, il y aura une plénière dans laquelle les équipes pourront faire part de leurs idées aux autres. L’enseignant écrira les réponses au tableau et, peu à peu, le portrait de la Révolution tranquille se dressera. Pour chacun des points, nous recommandons à l’enseignant de lire un court extrait d’une œuvre en lien avec le sujet. Par exemple, le professeur pourrait faire la lecture d’un poème de Gaston Miron pour illustrer la montée du nationalisme. Ainsi, les élèves pourront mieux percevoir l’engagement des écrivains et, puisque Jacques Godbout s’inscrit dans cette période, ils s’attendront à retrouver une critique de la société québécoise dans L’Isle au dragon.
2.2) 2e cours
Par le deuxième cours, nous voulons que les élèves connaissent davantage Jacques Godbout. L’enseignant commencera son cours en parlant de l’auteur. En sachant que Godbout était très engagé dans la politique, les élèves seront mieux préparés à la lecture de l’Isle au dragon. La fin de la première partie du cours sera consacrée à l’œuvre de Godbout. L’enseignant parlera des essais, des romans, de la poésie et des films de l’auteur. Le professeur lira ensuite un extrait d’une entrevue que Jacques Godbout avait accordée à Donald Smith en 19822 et dans laquelle l’auteur mentionne que nous retrouvons « les mêmes combats » dans ses œuvres : « plus on les évoque, plus je me rends compte que c’est toujours le même livre sous différentes formes3. » Si les œuvres de Godbout se ressemblent, les élèves s’attendront à retrouver une thématique semblable dans le roman à l’étude. Leur lecture sera informée et elle sera meilleure.
Pour la deuxième partie du cours, les étudiants se regrouperont en équipe de quatre ou cinq et ils liront quatre extraits tirés des livres de Godbout. Il faut qu’au terme de l’activité, les élèves soient capables de dire que Godbout se préoccupe de l’avenir du peuple québécois et qu’il y a une très forte dimension politique et nationaliste dans ses œuvres. Après avoir fait la lecture des extraits, les élèves essayeront de faire le portrait de Jacques Godbout. Dix minutes avant la fin du cours, l’enseignant récupérera les réponses et les inscrira au tableau pour faire une synthèse, tout en commentant chaque réponse. Les élèves auront donc un avant-goût de la pensée de Godbout et leur compréhension du texte sera meilleure.
III) PENDANT LA LECTURE
3.1) 3e cours
Rendu à ce stade, il faudrait que les élèves aient lu au moins le quart du roman pour le troisième cours, et la moitié pour le quatrième. L’enseignant entrera dans le texte dès le troisième cours. Ce dernier poursuivra deux objectifs : amener les élèves à établir un premier contact avec l’américanisation et avec le discours idéologique de l’œuvre et leur permettre de se familiariser avec la notion de champ littéraire. La première chose que l’enseignant devra faire lors de ce cours sera d’interroger les élèves afin de recueillir leurs commentaires. Il est évident que la plupart d’entre eux auront remarqué la prédominance américaine, entre autres par la présence du personnage de William T. Shaheen. Toutefois, ils ne comprendront pas nécessairement le pourquoi de cette présence. Pour les aider davantage dans leur lecture, l’enseignant présentera un extrait d’un documentaire de Jacques Godbout réalisé en 1984, Comme en Californie. L’intérêt du visionnement de cette vidéo provient de ses nombreuses ressemblances avec le roman L’Isle au dragon. Par ailleurs, il sera important que l’enseignant aborde le côté autobiographique de l’œuvre puisque Godbout s’est basé sur des événements réels pour construire son œuvre. De plus, il serait intéressant que l’enseignant termine son cours avec la théorie des champs. En effet, les élèves auront vu comment les écrivains dont Godbout se servent de leur plume pour dénoncer et critiquer. L’œuvre est certes le fruit de son auteur, mais elle est aussi conditionnée par l’époque dans laquelle elle s’inscrit. Certes, il importe que l’élève comprenne que Godbout dénonce l’immobilité du peuple qui ne fait rien pour contrer ce « dragon » américain, mais l’étudiant devra aussi saisir que l’Isle-Verte, c’est le Québec et qu’il est en fait question du peuple québécois.
3.2) 4e cours
L’élève devrait avoir lu la moitié de l’œuvre pour ce cours qui poursuit deux objectifs : créer une atmosphère de réflexion, de prise de conscience de la condition humaine et faire comprendre aux élèves et les rendre capables d’expliquer le phénomène de l’américanisation du Québec par les théories des stéréotypes et du colonisateur/colonisé. Tout d’abord, l’enseignant devra définir le concept du stéréotype avec ses élèves. Dans un second temps, les étudiants auront quelques minutes pour trouver des stéréotypes dans le texte. L’Isle au dragon en est rempli : le Pepsi, la compagnie Kraft, Marilyn Monroe (symbole de la beauté et de la sexualité), la publicité (les belles femmes, la liberté…), etc. Une plénière suivra et les élèves donneront leurs réponses. À partir de celles-ci, l’enseignant devra les amener à réfléchir sur les raisons pour lesquelles l’auteur emploie autant de stéréotypes connus. Dès lors, il pourra montrer aux étudiants que ces stéréotypes sont universels, employés partout dans le monde, et qu’il y a un parallèle à faire avec l’universalité et l’influence des États-Unis sur les gens.
Durant la deuxième partie du cours, l’enseignant ira plus loin dans le sujet de l’américanisation en parlant des deux protagonistes, soit le narrateur Michel Beauparlant et l’Américain William T. Shaheen. Pour ce faire, il utilisera la théorie du colonisateur et du colonisé d’Albert Memmi. L’enseignant devra amener les élèves à comprendre que la population de l’Isle-Verte renie ses racines afin de profiter de la chance qui s’offre à elle pour changer de côté et ainsi pouvoir rejoindre le colonisateur. Michel Beauparlant est le seul qui se lève et qui s’oppose à ce mouvement. L’enseignant fera par la suite un rapprochement entre la question de l’identité chez la population de l’Isle-Verte et celle présente chez le peuple québécois, ce qui sera très bénéfique pour l’interprétation qu’ils pourront faire de l’œuvre.
IV) APRÈS LA LECTURE
4.1) 5e cours
Il serait pertinent de commencer le 5e cours par une table ronde afin de vérifier ce que les élèves ont compris et ce qui reste nébuleux pour eux. Le cours se divisera en deux parties et il poursuivra l’objectif suivant : amener les étudiants plus loin dans leur réflexion sur l’œuvre. D’abord, les étudiants auront à se placer en équipe de 3 ou 4 personnes. Les élèves répondront aux questions proposées par l’enseignant, questions qu’il inscrira au tableau :
1. Quelles sont les questions qui vous viennent à l’esprit après avoir lu l’œuvre?
2. Que vient faire le pepsi dans l’histoire, qu’est-ce que cela signifie?
3. Pourquoi le roman est-il divisé en huit jours?
4. Pourquoi le protagoniste se nomme-t-il « Beauparlant »?
5. Expliquez la symbolique des bouteilles.
6. Expliquez la présence de la princesse.
7. Expliquez le double sens du dragon.
8. Que vient faire Marilyn Monroe dans le roman?
9. Pourquoi l’auteur insère-t-il un vocabulaire anglophone dans son texte?
Les étudiants auront 50 minutes pour essayer de répondre à ces questions. Après la pause, il y aura une plénière dans laquelle chaque équipe aura à intervenir. Ce cours est très important puisque les élèves comprendront davantage la symbolique de certains éléments du texte. Ceux-ci pourront nourrir la compréhension et l’interprétation que les élèves auront de l’œuvre. À la fin du cours, le professeur distribuera un article paru dans le journal Le Soleil en 19764, tout de suite après la publication de l’œuvre. Les élèves pourront lire ce texte à la maison et cela constituera une bonne synthèse de tout ce qu’ils auront vu puisque l’article englobe presque tous les points qui auront été abordés dans la séquence.
4.2) 6e cours
Le dernier cours de la séquence sera consacré à la dissertation. Les objectifs de ce cours seront directement liés aux éléments de la compétence du cours : être capable de comparer des textes et d'élaborer un plan de rédaction. L’enseignant amorcera son cours en parlant du plan dialectique. Par la suite, les élèves se placeront en équipe de 3 ou 4 et ils auront à rédiger un plan. L’enseignant leur remettra deux extraits et le sujet de la dissertation. L’activité ne doit pas être trop difficile, car les élèves n’auront que 50 minutes pour rédiger leur plan. À la fin de la période, l’enseignant récupérera les copies et les corrigera de façon formative. Il leur remettra au prochain cours afin que les élèves puissent recevoir une rétroaction. Le cours se terminera par la distribution du sujet pour la dissertation. Il s’agit d’une comparaison entre un extrait du roman de Godbout et un poème de Gatien Lapointe, « Ode au Saint-Laurent ». La question sera : « La représentation du Québécois face au pays vous apparaît-elle similaire chez Lapointe et Godbout? » Les élèves auront trois semaines pour rédiger leur texte qui pourrait valoir 30 %. Comme conclusion, l’enseignant pourrait remettre aux élèves un extrait de l’essai Le Buffet (1998), texte écrit par Godbout et Richard Martineau. L’essai parle du Québec à l’an 2000 et un lien pourrait être fait entre la vision qu’avait Godbout du Québec dans les années 70 et celle qu’il a présentement.
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1 Jacques Godbout dénonce l’américanisation du Québec et l’immobilité des Québécois.
2 Donald Smith, « Jacques Godbout et la transformation de la réalité » dans Lettres Québécoises, nº25, printemps 1982, p. 52-61.
3 Ibid., p. 60.
4 Jean Royer, « Jacques Godbout, entre Marilyn Monroe et les dragons » dans Le Soleil, 1976.
Bibliographie
BELLEMARE, Yvon, Jacques Godbout : le devoir d’inquiéter, Brossard, Humanitas, 2000.
GODBOUT, Jacques, C’est la chaude loi des hommes, Montréal, Les Éditions de l’Hexagone, 1960.
GODBOUT, Jacques, L’Isle au dragon, Montréal, Boréal, 1996 (édition originale : 1976).
GODBOUT, Jacques, L’écrivain de province. Journal (1981-1990), Paris, Seuil, 1991.
GODBOUT, Jacques, Le Réformiste. Textes tranquilles, Montréal, Quinze, 1975.
Jacques Godbout écrivain-cinéaste. Dossier de presse 1961-1980, Sherbrooke, Bibliothèque du séminaire de Sherbrooke, 1981.
Jacques Godbout écrivain-cinéaste II. Dossier de presse 1959-1985, Sherbrooke, Bibliothèque du séminaire de Sherbrooke, 1986.
PELLETIER, Jacques, Le roman national, Montréal, VLB Éditeur, coll. « Essais critiques », 1991.
PELLETIER, Jacques, « La problématique nationaliste dans l’œuvre romanesque de Jacques Godbout » dans Voix et Images, vol. 6, nº 3, printemps 1981, p. 435-451.
ROYER, Jean, « Jacques Godbout, entre Marilyn Monroe et les dragons » dans Le Soleil, 1976.
SMITH, André, L’univers romanesque de Jacques Godbout, Montréal, Éditions Aquila, 1976.
SMITH, Donald, Jacques Godbout. Du roman au cinéma. Voyage dans l’imaginaire québécois, Montréal, Éditions Québec/Amérique, 1995.
SMITH, Donald, « Jacques Godbout et la transformation de la réalité » dans Lettres Québécoises, nº 25, printemps 1982, p. 52-61.